Hervé Jourdain

 





 Hervé JOurdain

 

Bonjour Hervé Jourdain, vous venez de commettre votre deuxième forfait avec Psychose au 36 après Sang d’encre au 36. Alors comme avant tout bon interrogatoire pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 38 ans, j’ai grandi en Vendée, dans le Marais poitevin, avant de m’installer en région parisienne à l’âge de 22 ans. Je travaille au sein de la police judiciaire parisienne depuis une dizaine d’années, après quelques années passées en banlieue et un court intermède dans le milieu du renseignement. 

Vos romans ont pour décor  le 36 quai des orfèvres. Que représente ce lieu mythique pour vous en tant que policier et romancier ?
Le 36, c’est une adresse, un lieu central dans le paysage judiciaire parisien. Dans le domaine du cinéma et de la littérature, c’est l’endroit le plus souvent filmé ou décrit. Le décor n’a rien d’exceptionnel mais on aime y cultiver une certaine forme de clair obscur. On aime parfois s’y mettre en lumière à l’occasion d’une affaire réussie tout en restant vigilent à ne pas dévoiler nos recettes. Le 36, c’est aussi 120 ans de faits divers (Violette Nozières, Petiot, l’attentat du Petit-Clamart, Guy Georges…) et surtout une famille qui, malgré le temps partagé au cours de certaines enquêtes, a du mal à se séparer à leur issue.

 

Vous décrivez votre vision du métier de policier et les limites de la justice mais aussi les interactions entre la vie personnelle et professionnelle. Quels sont les retours de vos collègues et de votre hiérarchie par rapport à vos romans ?
Les retours de « Sang d’encre au 36 » ont été très bons dans mon entourage professionnel. Beaucoup de mes collègues m’ont dit avoir offert le roman à leurs proches pour leur faire partager leur univers. Pour moi, c’est le plus bel hommage.


Beaucoup de policiers se lancent dans le thriller Jean-marc Souvira, Guillaume Laurent, Michel Vigneron... Est-ce une façon de montrer la réalité de votre quotidien ou une  soupape par rapport à votre métier ?

J’ai lu un livre de chacun des policiers que vous citez. Je crois surtout déceler chez eux une volonté de faire partager leur univers, de montrer une facette du métier où l’enquêteur est souvent amené à douter, à se remettre fréquemment en cause. Je pense réellement que nous sommes surtout  des conteurs, tout comme les nombreux avocats et magistrats qui se sont mis au polar. Maintenant, à titre personnel, j’ai débuté l’écriture à une période où ma vie professionnelle était compliquée. Peut-être est-ce lié, je ne sais pas…


Vous avez un métier très prenant, quand trouvez-vous le temps d’écrire ?

Il s’agit de la question qui revient le plus souvent. Surtout lorsque je discute avec des collègues. Je réponds souvent que je me lève très tôt et que je bois beaucoup de café pour tenir, ce qui est vrai. À côté de ça, j’ai un formidable soutien logistique et je ne regarde jamais la télé contrairement à une majorité de Français qui passe quatre à cinq heures par jour devant leur écran.


Quelle a été votre motivation pour vous lancer dans l’écriture ?

Deux éléments : le désir de faire partager un métier mal connu, parfois incompris ; et puis la rencontre d’un auteur. Le roman Moloch de Thierry Jonquet m’a véritablement donné l’envie de me lancer. Il a été l’un des rares auteurs français à décrire avec autant de justesse et de finesse le fonctionnement d’un groupe d’enquêteurs. Rovère, Dimeglio et consorts sont si différents que le lecteur est amené à douter d’eux et de leur capacité à résoudre une affaire. Et pourtant ça marche. Le groupe fonctionne parce que l’intérêt commun prime sur leurs problèmes personnels.


Vos intrigues se nourrissent-elles d’affaires que vous avez réellement traitées ?
Pour « Psychose au 36 », oui. J’ai beaucoup puisé dans des affaires que j’avais traitées lors de mon passage à la brigade des mineurs. Sans rien révéler sur le fond de l’histoire, je dirais que je me suis servi de plusieurs affaires du même type dont l’une a connu un ressort assez inattendu —pour ne pas dire machiavélique — quelques années plus tard.
Pour « Sang d’encre », j’ai monté l’intrigue en m’inspirant exclusivement de tueurs en série américains.


Dans Psychose votre héroïne principale est une jeune flic, française d’origine maghrébine. Est-ce une forme de témoignage de  votre part en réponse à certaines accusations médiatiques ou livre de Sihem Souid Omerta dans la police qui est accusée d’abus de pouvoir, d’homophobie, de racisme et de sexisme au sein de la police ?

Il n’y a pas de volonté polémiste de ma part. Nora Belhali est arrivée un peu par hasard dans le groupe. Maintenant, il est vrai qu’elle n’a pas une situation des plus confortables puisqu’elle est la seule femme de l’équipe, la plus jeune, la moins gradée et qu’elle est d’origine berbère. Face à toutes ces composantes qui la rendent si fragile, elle est condamnée à s’investir corps et âme pour gagner la confiance de ses collègues.  
Une fois encore, je n’ai rien inventé. Je dis souvent que la Police est un copier-coller de la société. Sans faire la publicité de mon administration, je trouve que l’on y vit bien, que l’on s’y épanouit. Pour preuve le métier vit une forte féminisation, et les faits de discrimination ne doivent guère être plus importants qu’ailleurs.

 

Dans psychose au 36 vous mettez l’accent sur les portraits de femmes. Pourquoi ce choix pour ce roman et comment avez-vous travaillé pour créer vos personnages ?
Ce choix était volontaire, bien sûr. Je suis parti d’un constat très simple : dans la chaîne judiciaire, les femmes ont toujours le même rôle : celui de victimes ; sauf dans un domaine bien particulier, celui de la délinquance sur les mineurs. En effet, hormis les affaires de mœurs et de pédophilie qui touchent exclusivement des hommes, les femmes, les mères, sont assez souvent mises en cause dans le cadre des rapports éducatifs (ce qui s’explique par leur investissement dans ce domaine) . Je me suis alors lancé dans une étude des rapports entre les hommes et les femmes, y compris dans le temps et dans l’espace, travail qui a servi de cadre à mon intrigue.
Quant à  mes personnages féminins, ils sont inspirés en partie de femmes célibataires qui ont des difficultés à gérer vie maternelle et vie professionnelle, et d’autres qui arrivent à cumuler les deux aspects avec une force hors du commun.


Comment percevez-vous le métier de flic à travers la littérature policière ? Trouvez-vous les polars en général réalistes ou plutôt exagérés, voir sortant complètement de la réalité du métier ?
La question est vaste. Je me souviens qu’avant de découvrir l’œuvre de Thierry Jonquet j’ai longtemps été déçu par les portraits croqués par les auteurs. Je trouvais effectivement que les flics de fiction étaient trop « anguleux », parfois caricaturaux. Et puis, en prenant la plume, je me suis aperçu de la difficulté de composer un flic qui accroche le lecteur. Et pour composer un flic « accrocheur », il faut lui trouver des faiblesses, des fragilités, un comportement borderline. Ce qui fait qu’une évidence m’a sauté aux yeux : un flic de fiction ne pourrait pas faire un bon flic, en tout cas pas très longtemps ; et un flic « normal », stable, n’intéresserait aucun lecteur.
Quant au côté «esprit de l’enquête » des romanciers, il est souvent très éloigné de la réalité. Certains auteurs revendiquent complètement cette distance et se moquent d’évoquer un mandat de perquisition qui n’existe pas dans le Droit français ; d’autres comme Franck Thilliez font des recherches poussées, voire très poussées sur la médecine légale, la police technique et scientifique, sur les méthodes d’enquête et notre manière de bosser. J’avoue que je referme très vite les romans dits procéduraux où je constate cette absence d’effort.


Quels sont les portraits de flics que vous trouvez les plus réussis dans la littérature policière ?
Les personnages d’Ed Mac Bain et ceux de James Ellroy.


« Sang d’encre au 36 » et « Psychose au 36 », deux romans totalement immergés dans un univers policier actuel. Envisagez-vous d’écrire un jour dans un autre domaine ?
Je retravaille actuellement un roman policier historique. L’Histoire me passionne, elle me rassure. J’espère un jour pouvoir publier un ouvrage de ce type.

Dans « Sang d’encre au 36 », vous évoquez les difficultés rencontrées par un « inconnu » pour se faire éditer. Quelle a été votre expérience à ce niveau ?
Je me suis effectivement mis dans la peau d’un type qui n’arrive pas à se faire éditer. En fait, à l’époque, j’avais une telle image du monde de l’édition que je m’étais persuadé qu’aucun éditeur n’accepterait l’un de mes manuscrits. Ce qui fait que je n’envisageais qu’une seule voie : celle du concours sur manuscrit anonyme du genre « prix du quai des Orfèvres ». J’ai donc tenté ma chance sur ce prix avec un premier roman intitulé « Souffrances ». J’ai échoué en finale, ce qui m’a poussé à recommencer. J’ai alors écrit « Sang d’encre au 36 » que j’ai présenté de la même manière, mais à un autre prix : prix polar VSD. J’ai  eu la chance d’être l’un des gagnants et de signer un contrat avec Les Nouveaux Auteurs, la maison d’édition associée au prix.
Pour l’heure, je n’ai jamais envoyé ou remis un seul manuscrit sous pli à un éditeur. J’espère que cela durera. J’aime ce concept d’anonymat, avec la mise en place d’un vote par un jury grand public.  

Vos romans sont édités Aux nouveaux auteurs avec un comité de lecteur citoyen. Comment avez-vous vécu cette expérience et quel est votre regard sur Internet ?
Expérience très enrichissante, car vous êtes en lien direct avec le lecteur ou la lectrice. Suite à divers commentaires sur mes manuscrits, il m’est arrivé de solliciter des conseils de leur part; sur le titre par exemple, ou sur un personnage. Et puis surtout, chaque manuscrit est épluché et noté par un comité de lecture assez large, ce qui oblige nécessairement l’auteur à se remettre en cause.
Pour ce qui est d’internet, j’essaie d’y être présent. Je possède un compte Facebook et glisse à la fin de chacun de mes romans mon adresse mail afin d’avoir un lien le plus important possible avec le lecteur du genre « votre avis m’intéresse ».

Etes-vous un grand lecteur ? Quelles sont vos influences littéraires, vos derniers coups de cœur ?
Je ne suis pas un très grand lecteur bien qu’un grand éditeur m’ait récemment invité à lire deux fois plus que les autres pour me sortir de mon univers professionnel. Je lis beaucoup de polars français, souvent de jeunes auteurs d’ailleurs. J’aime beaucoup ce que font Pierre Lemaître et Hervé Le Corre, aussi. Outre-Atlantique, mes choix s’arrêtent sur les incontournables Dennis Lehane et James Ellroy.

Quels sont vos projets ?
J’ai un projet d’intrigue dans les milieux de l’intégrisme catholique, sur fond d’élection présidentielle cauchemardesque. J’ai tracé les grandes lignes. Reste la rédaction.  

Quelle est la dernière phrase que vous avez écrite ?
« Chère Sophie, j’espère que cette immersion au cœur de la brigade des mineurs vous passionnera. Amitiés. Hervé Jourdain ». Vous l’avez compris, il s’agit d’une dédicace portée sur mon dernier polar.

Merci beaucoup, nous vous laissons le mot de la fin.
Compliqué de conclure... Je vous remercie de m’avoir accordé cette tribune et surtout d’avoir pris le temps de me lire.

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