Michel Bussi







Avril 2011

 




 

 

Bonjour Michel Bussi, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre parcours ?
Beaucoup de gens me prennent pour un prof de fac qui écrit des livres… en vérité, je crois que c’est l’inverse, je suis plutôt un écrivain devenu un peu par hasard professeur d’université. Le plus loin que je me souvienne, je me revois en train d’inventer des histoires dans ma tête, tout petit, sur le chemin de l’école ou sur la banquette arrière de la voiture. Je me sens un peu comme un musicien amateur qui ne peut empêcher d’inventer des mélodies, de jeter des notes de musique sur des morceaux de papiers…

Pouvez-vous nous présenter votre dernier roman « Les nymphéas noirs » ?
Un polar impressionniste, quelque chose comme cela ? Il y a un meurtre à Giverny le village de Claude Monet, deux inspecteurs, une enquête compliquée avec des mobiles qui se croisent, l’argent, le sexe, la jalousie, le trafic d’art, les fameux Nymphéas noirs, un meurtre d’enfant des années plus tôt, un « rébus » d’Aragon… mais aussi trois témoins étranges, deux femmes et une fillette. Le roman progresse comme une sorte de tableau dont la peinture se met à dégouliner sur les protagonistes, collés au lieu par un vernis invisible… A un moment, j’espère, le lecteur a l’impression de perdre pied, de sombrer, et pourtant, tout est en place, rien n’est impressionniste, au final, dans mon tableau Chaque élément de l’énigme est au contraire calé au millimètre.

 

Comment vous est venue l’idée de cette intrigue ?
Si je dis que j’avais envie d’écrire le Shutter Island du terroir, ça va faire rire tout le monde. Mais l’idée de départ était vraiment d’inventer une histoire avec un twist final bluffant qui donne envie, après avoir terminé le livre, de le reprendre au début en se demandant comment on a pu à ce point se laisser avoir… Que lors d’une deuxième lecture, on se dise « mais bien sûr, comment n’ai-je pas pu y penser, tout est là, évident, exposé devant moi, et je n’ai rien vu».


« Nymphéas noirs » nous plonge dans l’univers de la peinture impressionniste et plus particulièrement de Claude Monet et par ricochet dans le village de Giverny. Quel a été l’élément déclencheur pour ce contexte : la peinture, le village, autre?

Au départ, pour mon histoire, je cherchais plutôt un petit village qui aurait perdu petit à petit tous ses habitants, ses commerces, les enfants de l’école… un village serait mort doucement. Et puis finalement, Giverny m’a fourni l’inverse, un village de quelques centaines d’habitants, oublié pendant des décennies, avant qu’il y a trente ans, on ne rouvre les jardins de Monet et que près de 500 000 touristes y passent tous les ans… Le bassin aux Nymphéas, lui, n’a à l’inverse pas bougé depuis un siècle. Je voulais aussi un lieu dans laquelle évolue une vieille héroïne, co-narratrice de l’histoire, qui regarde son village se transformer sans trop comprendre ce qui se passe…


Votre duo d’inspecteurs est vraiment très réussi et leurs dialogues excellents, envisagez-vous de les faire revivre dans un futur roman ?

Je ne vais pas révéler la fin… mais je doute tout de même qu’ils reviennent sous ma plume. Jusqu’à présent, j’adore tellement inventer des personnages à chaque histoire que je serais très frustré de devoir retrouver à chaque nouveau roman un héros récurrent et ses acolytes… J’aime créer des personnages un peu ambigus, et j’ai l’impression que s’ils revenaient dans un tome 2, comme de vieux copains, ils perdraient beaucoup de cette ambiguïté : plus question qu’ils meurent, qu’ils ne soient le mystérieux coupable caché, ni même tout simplement qu’on les soupçonne ou qu’ils nous surprennent. Je n'imagine pas écrire sans essayer de surprendre le lecteur à chaque page. Pour en revenir au duo d’enquêteurs, Sérénac était un peu déterminé par l’histoire, impulsif, passionné, instinctif, amoureux… J’étais plus libre avec son adjoint, Sylvio Bénavides, il fallait qu’il soit le contrepoint sage et méticuleux, une sorte de « Damglard », si vous voulez… L’attente de l’accouchement comme running gag, c’est un peu du vécu ; le coup du « fugicarnophile » (collectionneur de barbecues), par contre, c’est du pur délire ! Certes, ils ne devraient pas revivre dans un roman, mais, chut, c’est un secret, on parle d’une adaptation télé de Nymphéas noirs, où les deux inspecteurs seraient plus ménagés par les scénaristes… Mais rien n’est fait bien entendu !


Dans « Nymphéas noirs » ainsi que dans « Omaha crimes », vous avez de nombreux personnages féminins. Est-ce plus difficile de vous glisser dans la peau d’une personne du sexe opposé quand vous écrivez ?

Merci de cette question ! Dans tous mes romans, sauf Sang famille, les personnages principaux sont des femmes, qui s’expriment souvent à la première personne. J’ai l’impression que mes romans s’adaptent mieux à la psychologie féminine, la violence intérieure, la détermination, le don absolu de soi ou la vengeance implacable. Les femmes sont souvent beaucoup plus fortes que les hommes dans mes romans, même lorsqu’elles sont victimes des pires machinations. Je prends vraiment comme un compliment qu’on me dise que j’ai peint avec justesse un portrait féminin, une émotion, une séduction, cela me donne l’impression d’écrire des polars pas trop « bourrins »… Une lectrice m’a écrit à propos de Nymphéas noirs que j’étais parvenu à lui faire croire que l’histoire que je racontais était écrite pour elle seule. Il n’y a pas de plus beau compliment. Essayer de faire passer ce genre de sentiments sans sacrifier aux grands principes du page-turner…


Vos romans sont tous ancrés dans votre Normandie natale. Pourquoi ce choix et envisagez-vous un jour de situer un de vos futurs romans dans une autre région et/ou pays ?
Oui… je vais sortir de la Normandie, sur la pointes des pieds d’abord, mais je vais en sortir ! Cela dit, mes lecteurs vont peut-être hurler à la trahison et m‘abandonner en route. Au fond, je suis géographe, j’ai besoin de voyager et de faire voyager mes lecteurs… Comme tout le monde, j’aime retourner dans les coins qui me sont familiers… mais aussi de découvrir des horizons inconnus.


Quand vous commencez un nouveau roman, avez-vous déjà en tête l’intégralité de l’histoire ou vous laissez-vous portez par votre intrigue, vos personnages ?

C’est un peu les deux. C’est difficile pour moi d’écrire dans l’année, compte-tenu de mon travail. Donc, pendant un an, je vis avec mon histoire et mes personnages, ils s’assoient à côté de moi dans le train, le bus, dans mon canapé. On cause, on discute, je les aime, je les torture… et arrivé l’été, tout est story-boardé, cadré au plus près, mais pas une ligne n’est écrite… Il ne reste plus qu’à mettre en mots les images qui me hantent depuis un an. C’est à la fois excitant, difficile et frustrant. Mais c’est clair, je sais exactement où je vais, même s’il n‘est pas rare que quelques personnages récalcitrants tentent de reprendre un peu de liberté au dernier moment…


Votre agenda de dédicaces est très chargé pour les prochains mois. Que vous apportent ces rencontres avec vos lecteurs ?
Tout d’abord, grâce au site internet, il y a les mots qui arrivent sur ma boite mail. C’est vraiment très agréable. Ecrivez ! Ecrivez ! Je réponds à tout, c’est le privilège de ne pas être Harlan Coben ! A l’inverse, je ne raffole pas trop des samedis après-midi dans les galeries commerçantes à attendre le client, entre ceux qui se détournent et ceux, compatissant, qui ont pitié de vous… J’aime beaucoup les salons et festivals, même lorsque l’on n’y dédicace qu’avec modération. On y discute des heures avec son voisin écrivain… sauf s’il dédicace, lui, à tour de bras (tel Douglas Kennedy, assis à côté de moi au salon du livre de Paris 2011). J’aime surtout les rencontres organisées, avec des classes de lycée, des médiathèques, des clubs de lecture. Il y a toujours ceux qui ont lu tous vos livres qui sont intarissables, et ceux qui découvrent, mais veulent en savoir plus. Mais, le plus grand plaisir, quand on a publié plusieurs livres, reste le lecteur qui vient vers vous, sourire aux lèvres, « j’ai tout lu ! J’attendais avec impatience le nouveau »…


Etes-vous vous-même lecteur ? Quels sont les livres qui vous ont le plus marqué et vos derniers coups de cœur ?

Je ne lis pas autant de romans que je voudrais, faute de temps. J’ai lu récemment beaucoup de nouvelles par contre, en tant que président de jury de concours. En vrac, des livres (policiers) qui m’ont marqué : Dix petits nègres, les rivières pourpres, un long dimanche de fiançailles… et tous les Alice de la bibliothèque verte ! J’avoue que j’ai du mal avec la majorité de ce qui sort, je suis un peu saturé des serial-killers divers et variés, même quand le paquet cadeau est somptueux (le Chuchoteur), et plus encore des polars scandinaves où l’intrigue n’est qu’un vague prétexte à une plongée ethnographique (j’ai toujours été plus Poirot que Maigret). J’aime bien le mélange des genres, par exemple, j’essaye dans mes romans de croiser le sens de la machination d’un Harlan Coben et le sens de l’écriture de Sébastien Japrisot. En voilà deux que j’apprécie.


Quels sont vos projets ?
Ecrire… bien entendu. Je termine actuellement un roman ; j’en commence un autre loin de la Normandie. J’ai aussi une idée assez avancée de thriller plus ou moins ésotérique, j’aimerai écrire de la science-fiction, des contes pour enfants. J’ai un programme chargé jusqu’à la retraite ! Les idées s’accumulent, murissent, le plus dur est d’en choisir une chaque année, un peu comme un type fier de sa cave, mais qui peine à choisir la bonne bouteille quand arrivent ses invités.


Merci beaucoup Michel Bussi, nous vous laissons le mot de la fin.
« Croire à ses rêves ». Omaha crimes a été envoyé à tous les éditeurs parisiens il y a 15 ans. Refus. Dégout. Résignation frustrée pendant plus de 10 ans. Puis, par hasard, des années plus tard, un éditeur normand, PTC, a accepté de l’éditer. Tout a démarré alors ! Omaha crimes, à la barbe des grands éditeurs, a raflé cinq prix de lecteurs nationaux… J’en conclue qu’il existe des centaines d’écrivains qui ont rangé dans leurs tiroirs des centaines de romans refusés par tous les éditeurs… Autant de manuscrits formidables qui pourraient à coup sûr trouver un lectorat. Que ces centaines d’écrivains ne désespèrent pas. Il faut croire à ses rêves.



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