Stéphane Carlier






Juillet 2011

 



Bonjour Stéphane Carlier, petite question rituelle sur Plume libre : pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
J’ai 41 ans et j’écris des livres dont les personnages principaux sont des femmes. J’écris énormément, tous les jours, mais j’ai aussi une occupation « normale » : je travaille aux Affaires étrangères, ce qui m’a conduit à passer dix ans aux Etats-Unis et m’amènera très bientôt à m’installer en Inde (l’un de mes rêves). Pour moi ces deux mondes, l’écriture et l’étranger, sont d’ailleurs liés – à chaque fois, on multiplie les vies.


Comment êtes-vous arrivé dans le monde de l’écriture ?
Je me souviens que j’ai tenu un journal très tôt, vers huit ans. Mais c’est véritablement la lecture qui amène à l’écriture. Je me suis mis à lire beaucoup vers l’âge de dix-sept ans : Proust, Balzac, Julien Green, Simenon, John Irving et puis James Ellroy, Frédéric Dard. J’ai alors réalisé qu’avec un stylo (ou un ordinateur) je pouvais assez simplement donner une forme de réalité à toutes les histoires que j’avais en tête.      


Le chemin de la publication d'un livre est souvent très difficile, comment cela s'est-il passé pour vous ?
Je ne connaissais personne dans le monde de l’édition. D’ailleurs, je vivais aux Etats-Unis depuis pas mal de temps et j’avais gardé très peu de liens avec la France. J’ai fini d’écrire mon roman Actrice, je l’ai signé d’un pseudonyme parce que je ne voulais pas que les éditeurs m’associent à mon père, et je l’ai adressé par la poste à une quinzaine de maisons d’édition françaises. Quatre d’entre elles ont manifesté leur intérêt assez rapidement. Sylvie Genevoix d’Albin Michel m’a même fait venir à Paris... Mais la vraie rencontre a eu lieu avec Arnaud Hofmarcher du Cherche-Midi.


Il faut pas mal d'imagination pour inventer une histoire, où puisez-vous l’inspiration ?
Je ne sais pas. C’est comme la musique. Il m’arrive de me réveiller la nuit avec des mélodies dans la tête, des mélodies très précises, très complètes... D’où ça vient ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que la réalité m’a rapidement pesé (l’école était pour moi un cauchemar) et que m’inventer des histoires m’a permis de vivre très tôt dans un monde bien plus satisfaisant. Mais n’est-ce pas ce que font tous les gosses ?


Stéphane Carlier - Grand AmourPourriez-vous nous parler de votre roman « Grand Amour » ?
C’est l’histoire d’une jeune femme pas très heureuse qui, sur un coup de tête, décide d’aller retrouver l’homme de ses rêves, un rugbyman qui a posé dans un calendrier. Autrement dit, c’est l’histoire d’une jeune femme qui décide de faire de ses rêves une réalité. Agnès est seule, elle n’en peut plus d’être seule, et elle va faire en sorte que ça change. Mais, évidemment, c’est plus simple à dire qu’à faire. 


Avec « Grand Amour » vous surprenez le public, un livre qui a tout d’un livre de Chick-lit, qui a une couverture rose comme de la chick-lit et pourtant qui n’en est pas vraiment. D’où vous est venue l’idée d’écrire un tel roman ?
J’avais envie d’une histoire qui ait tous ces ingrédients. Une histoire qui s’organise autour d’un acte un peu fou (on ne prend pas la route tous les jours en se disant qu’on va rencontrer quelqu’un qui nous a fait fantasmer dans un calendrier !), une histoire légère, drôle si possible, avec des rebondissements et des personnages auxquels on s’attacherait facilement. Avec le recul, je comprends que, si j’avais envie de cette histoire à ce moment-là, c’est parce que, dans ma propre vie, je sentais que j’allais traverser une période difficile.


Comment naissent vos personnages ? Utilisez-vous les caractéristiques physiques et/ou psychiques de votre entourage pour leur donner vie ou bien les inventez-vous de toutes pièces ?
François Truffaut disait que ce que l’on écrit, c’est 60% autobiographique, 20% de ce qu’on vous raconte et 20% de ce qu’on lit dans les journaux. C’est à peu près ça. Des Pierre-Marie, par exemple, j’en ai rencontré pas mal dans ma vie, j’en fréquente encore. D’ailleurs, le Pierre-Marie du livre fait pâle figure à côté de ceux que je connais. Donc, les personnages naissent comme ça. Après, au cours de l’écriture, j’associe des visages connus à mes personnages, des visages d’acteurs le plus souvent. Pour Agnès, par exemple, je visualisais Sandrine Kiberlain. Pour Fabien, Sam Worthington. C’est une question pratique. Ça évite de se poser la question : « comment il ou elle va réagir ? » à chaque début de phrase. Ça permet aussi d’avoir une voix en tête, ce qui est très important pour les dialogues. Surtout pour moi, qui écris « à l’oreille ».


En tant qu’homme, j'imagine que l'écriture de certaines scènes concernant Agnès, a dû être, comment dire, jubilatoire (ce qui est sûr, c'est que ça l'est à la lecture :o)). Est-ce facile pour un homme de se transposer dans la tête d'une femme ?
Ma réponse est très personnelle : je crois que ma part de féminité est plus importante que ma part de masculinité. Je n’ai toujours pas compris comment ça s’organise, parce que je suis indéniablement du genre masculin, mais j’ai constaté que mon monde, ma représentation du monde, mes manières de réagir, mes goûts se rapprochent de ceux d’une femme... Ça a probablement à voir avec mon enfance, où les figures dominantes étaient des femmes et où les hommes jouaient les faire-valoir.         


Agnès, votre héroïne, va prendre tous les « risques » pour voir son grand amour, pensez-vous qu’en amour tout est permis ?
Je dirais oui mais, là encore, c’est très personnel : je suis un grand amoureux. Je crois sincèrement qu’on ne vit que pour aimer. En tout cas, moi, oui. L’autre jour, un ami m’a raconté qu’il y a quelques années une femme à qui il ne voulait pas ouvrir la porte a passé la nuit sur son paillasson. Vous ne pouvez pas savoir l’effet que m’a fait cette anecdote... Et je vais vous faire une confidence : en juillet, j’ai l’intention de louer une voiture et de partir dans un pays du sud de l’Europe pour tenter de retrouver un grand amour passé...


Pourquoi avoir choisi un rugbyman pour nourrir la libido d’Agnès ?
Il fallait quelqu’un de beau, de très beau, mais qui ne soit pas figé ni complètement inaccessible. Je ne voulais pas d’un mannequin. Donc, un rugbyman. Je ne sais pas si vous avez déjà regardé le calendrier en question, mais certains joueurs sont tellement beaux que ça fait presque mal. C’est la phrase de Depardieu dans Le dernier métro  : « Tu es belle, Helena, si belle que te regarder est une souffrance ». La calendrier, c’est pareil. Pierre Rabadan, David Skrela... leur beauté, c’est comme une gifle. Et leurs visages racontent tellement d’histoires...


Un célèbre chroniqueur littéraire (Frédéric Beigbeder) affirme  « Il existe finalement une littérature spécifiquement féminine ; la vision du monde et le style changent selon qu'on a des testicules ou pas ». Et vous qu’en pensez-vous ?
Je ne crois pas. Julien Green et Marcel Proust avaient des testicules (jusqu’à preuve du contraire) et pourtant leur prose est plus féminine par moments que celle de Virginia Woolf. Je suis en train de lire un roman merveilleux, « Ce livre va vous sauver la vie », écrit par une femme qui s’appelle A. M. Homes. Hé bien, j’ignorais jusqu’à tout récemment que c’était une femme, j’aurais juré que c’était un homme... Et quelqu’un comme Colette, par exemple, a une écriture que je ne qualifierais pas de féminine... Les testicules sont dans la tête.


Quels sont vos projets ?
Je suis en train de finir mon troisième roman qui, normalement, sortira l’année prochaine. Une comédie qui s’appelle « les Gens sont les gens » et dont le personnage principal, je vous le donne en mille, est une femme ! Ensuite, je m’occuperai de mon déménagement à New Delhi. Puis je me remettrai au boulot. Mais, cette fois, dans la fournaise indienne.



Merci beaucoup Stéphane Carlier, nous vous laissons le mot de la fin.
Pour conclure leurs lettres, les Américains utilisent une belle formule de politesse, la plus belle qui soit, en fait : « love ». Alors, voilà : love.


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