Henri Loevenbruck

 

Henri Loevenbruck, un petit rituel sur Plume Libre lors de la première interview. Pouvez-vous nous dire qui est Henri Loevenbruck ?
    Je crois que c’est un écrivain, chanteur et compositeur, qui n’a pas tout à fait quarante ans, treize romans derrière lui, et beaucoup d’autres devant.


Qu’est-ce qui pousse un homme à prendre la plume pour s’exprimer ? Pourquoi la plume et pas un autre média ?
    Parce que l’écriture fait partie de ces rares activités où l’on est maître de son œuvre du début jusqu’à la fin. Quand c’est mauvais, et quand c’est bon, on en est le seul responsable, et l’on n’éprouve donc jamais cette terrible frustration d’avoir vu son idée originale abîmée par quelqu’un d’autre… Et puis il y a aussi un amour de la forme écrite, que j’ai développé à l’adolescence, et qui est peut-être aussi un peu héréditaire, car mon grand-oncle, Pierre Lœvenbruck, était un auteur populaire, et il est mort… l’année de ma naissance.

L’apothicaire


Pour les lecteurs qui ne connaissent pas encore l’apothicaire, pouvez-vous nous pitcher votre nouveau roman ?
    C’est un roman qui navigue sur les voies ouvertes par Le Nom de la Rose et Les Piliers de la Terre. Ecrit à la manière d’un roman d’aventure du XIXème, avec de nombreux clins d’œil à Dumas, il raconte l’histoire d’un apothicaire parisien du XIVème siècle qui, un jour, découvre dans sa maison une pièce vide dont il avait oublié l’existence… dont tout le monde avait oublié l’existence. Persuadé que vivait dans cette pièce une personne qui, elle aussi, a disparu de toutes les mémoires, il part à sa recherche. Est-ce une femme ? Un homme ? Un maître ? Un ami ? Sa quête l’emmène à travers les routes d’Europe, de Paris à Compostelle, et de Compostelle au Mont Sinaï. En chemin, il découvre que le mystère qui l’anime intéresse beaucoup de monde, du roi Philippe le Bel à l’Inquisition en passant par une mystérieuse société secrète de gnostiques érudits…


Quelle est l’origine de l’apothicaire ? D’où vient l’étincelle de départ du roman ?
    
C’est un roman que je portais dans le cœur depuis sept ans, et que j’ai mis deux ans à écrire. Jamais je n’avais autant pris de plaisir à écrire, et jamais je n’ai autant travaillé sur un seul de mes romans, parce que je voulais donner le meilleur de moi-même, me dépasser, même, pour raconter cette histoire qui touche à des thèmes qui me sont très chers. L’altérité, la solitude, le voyage, la création… J’avais, en outre, depuis longtemps, envie de rendre hommage à deux de mes maîtres, Umberto Eco et Alexandre Dumas. Je crois que l’Apothicaire se situe quelque part entre ces deux auteurs, avec les moyens du bord, c’est à dire sans leur arriver à la cheville, sans doute, mais en tout cas naviguant dans les mêmes eaux.


La filiation qui m’a marqué à la lecture de ce roman est celle avec « Le pendule de Foucault » dans cette volonté de nous partager un savoir à travers une intrigue forte et surtout une démystification des codes. Est-ce que vous retrouvez dans cette référence ? Y-a-t-il d’autres œuvres qui ont influencé l’écriture de ce roman ?
   Je pense que Le Nom de la Rose m’a plus influencé, pour ce roman, que Le Pendule de Foucault, mais il est certain, comme je le disais, que mon amour pour Umberto Eco n’est pas étranger à 

l’écriture de l’Apothicaire. N’ayant pas son érudition, j’ai tout de même fait un livre moins complexe, moins érudit, justement, mais j’ai essayé tout de même d’y transmettre mon amour du Savoir, et l’humour que, je crois, il faut savoir garder devant l’ésotérisme.


Dans ce roman comme dans les aventures de McKenzie, vous utilisez la mécanique des codes secrets et des messages codés pour mieux dénoncer l’ésotérisme de bazar (Andreas Saint-Loup ayant bien les pieds sur terre). N’est-ce pas ambigüe comme position car vous utilisez justement à des fins romanesques les ficelles de ces conspirationnistes ?
    C’est justement l’une des choses que je partage, il me semble, avec Umberto Eco. On peut être fasciné par l’ésotérisme, l’occultisme, la spiritualité, tout en gardant un œil critique, cartésien, et dénoncer les dérives diaboliques qu’ils génèrent souvent. J’ai une vision très agnostique du monde, à savoir que je me refuse de croire en la magie des mystères qui subsiste sans être certain qu’ils ne trouveront pas un jour une explication rationnelle. Mais je me délecte aussi de ce formidable jeu pour l’esprit que procurent les légendes, les mythes, les symboles…


Le livre regorge de référence, d’anecdotes ou de citation. Le lecteur au–delà de l’intrigue ressent cet abondance de documentation. Comment avez-vous gérer cette partie du roman ? Comment avez-vous faits le tri parmi toute votre documentation que l’on imagine énorme ?
    Avec les années, après treize romans, je commence tout juste à savoir, il me semble, trouver le bon dosage dans le transfert de connaissance. Mes premiers romans, notamment Le Testament des Siècles, étaient, je crois, un peu noyés dans une documentation trop abondante qui alourdissait le récit. Dans celui-ci, elle joue un rôle essentiel : elle inscrit le récit dans une vraisemblance historique et technique, mais elle est aussi ludique. De la même manière que l’on s’amuse – et que l’on s’instruit – en découvrant l’art des bâtisseurs dans Les Piliers de la Terre, on peut, je l’espère, s’amuser et s’instruire dans l’Apothicaire en découvrant la folie du Paris du XIVème siècle et l’état de la pharmacopée à cette époque du moyen-âge.


Dans un but documentaire, vous avez justement fait, il me semble, le pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle à moto. Est-ce que se rendre sur place est vital pour la pertinence du roman et d’un roman en général ? Pouvez-vous nous parler de ce pèlerinage moderne ?
    
Dès que je peux le faire, je le fais. Décrire des lieux que je n’ai jamais vu, restituer des ambiances que je n’ai jamais senties est pour moi une épreuve de force. J’aime voyager là où mes personnages voyages, pour donner un peu plus à mes lecteurs qu’un copier-coller des guides touristiques que l’on trouve ici et là. Partir à Compostelle, c’était aussi vivre l’aventure humaine et la partager avec les trois compères qui m’ont accompagné. Certes, le faire à moto était sans doute moins fatiguant qu’à pied (et encore… les motards savent que les longs trajets ne sont pas de tout repos), mais le partage et les émotions que nous avons vécues en partageant ce pèlerinage m’ont beaucoup inspiré pour le roman.


Dans la rédaction du roman, est-ce que se sont vos personnages qui guident l’intrigue ou bien l’intrigue qui conditionne la psychologie de ceux-ci ?
    Les deux, mon général. J’écris toujours des synopsis très détaillés avant de passer à la rédaction du roman, et ce faisant, je développe petit à petit la psychologie de mes personnages. Cela se fait conjointement. Mais il est vrai qu’au stade final, celui de la rédaction, mes personnages s’enrichissent, et prennent parfois même une dimension que je n’avais pas tout à fait prévue.


Comment définiriez-vous votre style ?
    Dans ce roman, il est très différent de ce que je fais d’habitude. Ici, j’ai adressé de nombreux clins d’œil à Dumas, en utilisant une forme modernisée de sa narration… On trouve de nombreux subjonctifs hilarants dans l’Apothicaire, quelques adresses au lecteur, etc… Mais Aristote disait, très justement, que la première qualité du style, c’est la clarté. Et je ne sacrifie jamais la compréhension du lecteur. J’essaie toujours de privilégier la clarté, le rythme, l’amusement pour le lecteur.


En lisant les diverses réflexion d’Andreas Saint-Loup notamment sur la religion ou sur l’état du monde, le lecteur entend la voix du citoyen Loevenbruck ou du moins de l’homme. Le lecteur se rend aussi compte que depuis le moyen-âge certains comportements ou certaines peurs sont toujours présente. Est-ce selon vous le monde ne va jamais s’améliorer ? Etes-vous optimiste pour l’avenir ?
    Je suis un éternel optimiste, je continue de croire à la perfectibilité de l’homme et je dois reconnaître que j’ai du mal à ne pas laisser filtrer ma philosophie de la vie dans mes romans. Il y a bien sûr une peur éternelle, qui, malheureusement, ne quittera jamais l’homme, c’est celle de l’inconnu, ou plus précisément de l’étranger, mais ce qui évolue, et doit évoluer, c’est notre façon d’appréhender cette peur, et la vulgarisation de certaines valeurs. La société, en tant que groupe, apprend à s’indigner. On stigmatise souvent le politiquement correct, mais il faut reconnaître qu’une certaine exigence de correction a parfois du bon…


A priori il y avait à l’origine une autre fin prévu pour le roman. Vous est-il possible de nous la raconter ?
    Non, la fin était présente dans mon esprit dès le début de mon travail sur ce roman, car elle explique, je crois, l’un des messages essentiels de ce livre, qui est une réflexion sur la création comme partage des solitudes, et sur le savoir comme source d’émancipation.


Quelles sont vos influences littéraires ? Vous revendiquez-vous d'un auteur en particulier ?
    L’auteur que je lis le plus souvent, ou du moins l’un des rares que je lis et relis, c’est Romain Gary. Mais j’ai certainement été influencé davantage par Stephen King, Arturo Perez Reverte, Umberto Eco, Alexandre Dumas…


Quels sont vos projets pour la suite ?
    Je travaille en ce moment sur deux projets de romans-série, c’est à dire de romans courts, à suite, publiés tous les deux ou trois mois, à la manière des romans feuilleton d’antan et des séries télévisées d’aujourd’hui. Les deux projets sont collectifs, le premier avec mon ami d’enfance, Fabrice Mazza, auteur des énormes best-sellers Le Livre des énigmes 1 & 2, et l’autre avec quatre de mes compères de la Ligue de l’imaginaire.


Que pensez-vous de l'influence d'Internet sur la promotion de la littérature ? Est-ce un plus ou bien un problème dans la mesure où tout le monde ou n’importe qui (nous y compris) peut donner son avis ?
    C’est évidemment un plus, et tout ce qui facilite la communication entre les êtres est pour moi une source de réjouissance. Internet donne la parole à des gens qui ne la prendraient probablement pas, et quand on me dit qu’il faut se méfier de ce qui est publié sur Internet, je réponds oui, effectivement, tout comme il faut se méfier de ce qui est publié dans certains livres…


Êtes-vous un « gros » lecteur de roman ? Est-il facile quand on est écrivain de se détacher de la mécanique de narration des autres auteurs pour savourer un roman ?
    Je l’ai été, et je suis maintenant un gros lecteur d’essais, de documents, car j’en ai besoin dans mon travail. Pour ce qui est de se détacher de la mécanique de narration, non, vous avez raison, c’est un peu difficile, tout comme il est difficile de ne pas avoir une oreille technique quand on est musicien et qu’on écoute de la musique. Mais quand l’œuvre est bonne, on finit par oublier l’outil, et on se consacre au plaisir…


Vos derniers coups de cœur littéraires (tant au niveau roman, BD, cinéma, peinture...)?
    Le Cimetière de Prague d’Eco, est un véritable petit chef-d’œuvre d’écriture, peut-être pas à la hauteur du Nom de la rose ou du Pendule du point de vue de l’intrigue, mais ceux qui y ont vu un texte licencieux sont des crétins finis qui n’ont rien compris au travail d’Eco, qui est une sorte de trotskyste littéraire :  pour démonter un sujet, il le fait de l’intérieur. De la même manière qu’il s’est amusé à ridiculiser l’ésotérisme de bazar dans Le Pendule de Foucault en pénétrant au cœur de l’intelligentsia occultiste, il démonte l’antisémitisme en se glissant dans la peau d’un immonde antisémite. Posture courageuse, dangereuse, mais diablement intelligente et efficace pour qui sait lire autre chose qu’un annuaire téléphonique (encore qu’Eco soit un grand lecteur des annuaires téléphoniques)…


Du même auteur : Biographie, chronique, interview

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