Philip Le Roy






Septembre 2006

 





La première question est rituelle sur Plume Libre.
Qui est Philip Le Roy ?

Un schizophrène zen à tendance mythomaniaque. En d'autres termes, un auteur de thrillers proche de son personnage.

 

Et plus précisément, comment le démon de l'écriture s'est emparé de vous ? Et quand cette passion s'est transformée en objectif de carrière ?
L'envie puis le besoin d'écrire a germé dans un terreau fertilisé par des milliers de souvenirs de voyages aux quatre coins du monde, des milliers d'heures de création publicitaire et de milliers de films visionnés. C'est ce mélange d'expériences fortes, de maniement des mots et de boulimie d'histoires qui m'a orienté vers cette voie. Le démon de l'écriture a fini par me conduire au Diable Vauvert.

 

Andréa H. Japp nous expliquait que lorsqu'elle écrivait, l'histoire se créait au fur et à mesure de la rédaction. Avez-vous une idée précise du déroulement de l'intrigue lorsque vous commencez à écrire ou bien laissez-vous faire la plume ?
Quand je tiens le premier chapitre ainsi qu‘un axe dramatique et un axe thématique qui vaillent la peine que j'y consacre au moins deux ans de ma vie, je me documente, je rassemble des notes et définis dans les moindres détails le profil des personnages principaux. Surtout pas de plan. Alors seulement je commence à écrire. Je confronte mes personnages à la situation de départ et je les laisse se débrouiller. Certes, j'ai une vague idée de ce qui va arriver et même de la façon dont tout ça va se terminer, mais si en chemin survient un évènement imprévu qui remet tout en question, tant mieux. C'est bon pour le suspense. J'écris une première version du manuscrit qui fait en général plus de 1000 pages. Ce sont les rushes, la partie créative du travail. J'attaque ensuite la seconde version, définitive, en ne retenant que 60 à 70 % de la version 1. C'est le montage.

 

Justement, pourriez-vous nous décrire votre travail d'écriture ?  Une journée de Philip Le Roy lorsqu'il écrit ?
Je n'ai pas d'horaires fixes, ni de bureau fermé, ni de rituel particulier. Sinon je serai fonctionnaire. J'ai juste besoin d'un ordinateur portable et d'une connexion ADSL pour avoir accès à toutes les infos requises. Aucune journée ne ressemble à une autre. Il m'arrive d'écrire dans mon jardin face à la mer, dans mon bureau où l'on entre comme dans un moulin, j'écris n'importe où, n'importe quand, le jour où la nuit, avec de la musique ou du silence. La seule contrainte que je m'impose est de me lever le matin pour accompagner ma fille à l'école. Au moins je suis sûr d'être devant mon écran à neuf heures. J'ai entendu un jour Bertrand Blier dire qu'il ne se mettait pas écrire s'il n'était pas sûr de disposer de huit heures devant lui. Moi, je m'y colle dès que j'ai cinq minutes.

 

Matthieu Kassovitz dit qu'il commence toujours l'écriture d'un scénario par le titre parce que c'est ce qui lui vient en premier.
Quel est en général votre point de départ ? Quelle est la petite étincelle qui allume votre imagination ?

L'étincelle c'est le « chapitre 1 », le déclencheur qui conditionne tout, qui doit faire basculer le lecteur dans mon univers, qui doit bouleverser la vie des personnages. Dans la plupart des romans que je lis, le début est raté, ennuyeux, bavard, confus. Mon expérience publicitaire m'a appris à accrocher le lecteur dès le premier mot. Le titre, lui, me vient souvent à la fin de la première version du manuscrit.

Philip Le roy - Le dernier testament

 

Avec Le Dernier Testament , vous surfez sur la mode du roman ésotérique sans jamais tomber dedans. Une véritable envie ?
Depuis mon enfance, catholique, je suis intrigué par ce que cachent les caves du Vatican. Au fil des années, j'ai amassé de la documentation sur le sujet. Lorsqu'en 2001, j'ai attaqué mon troisième roman, j'ai commencé par écrire une scène de massacre dans un laboratoire secret de recherche clinique au fin fond d'un Alaska hanté par des créatures monstrueuses. Un mystérieux visiteur débarquait en hélicoptère pour éliminer l'équipe scientifique ainsi qu'un agent du FBI présent sur les lieux et un cobaye humain mort depuis un an. A ce moment de l'écriture, je n'en savais pas plus, sauf que je devais retomber sur mes pieds et trouver une explication crédible à tout ça. J'ai mis le FBI et Nathan Love sur le coup. Je les ai laissés démêler l'intrigue. Peu à peu, il est apparu qu'il pouvait y avoir un lien avec le Vatican. La documentation que j'avais amassée allait servir. Mon roman est sorti en pleine Da Vinci Code mania. Cela a donné l'illusion d'une mode. J'ai eu de la chance car le protagoniste de Dan Brown ne pratique pas le zen et les arts martiaux.

 

Comment est né Nathan Love ? Sa « philosophie de vie », que l'on retrouve également à travers la lecture de Pour adultes seulement, est-elle également la vôtre ?
C'est le personnage le plus complexe que j'ai jamais créé. Il est à la fois le fruit de nombreuses recherches, d'une pratique personnelle des arts martiaux et du zen, de l'enseignement dispensé par de grands maîtres. Je cherchais à créer un personnage positif à l'encontre de la plupart des enquêteurs désabusés, divorcés, alcoolo, portant sur leurs épaules tous les malheurs du monde. Bien que le passé de Nathan soit marqué par une tragédie, c'est quelqu'un de détaché, qui a fait le vide et n'a pas la même notion du bien ou du mal que nous. Il cherche à revenir à l'essentiel, à retrouver son état originel, celui d'avant les dégâts causés par un conditionnement dont nous sommes tous victimes. Les arts martiaux qu'il pratique sont un art de vivre et de mourir qui s'appliquent à tous ses gestes quotidiens. Alors que les Occidentaux ne voient dans les arts martiaux que des techniques de combat, Nathan Love y tire aussi la maîtrise du temps, l'énergie, la respiration juste, l'osmose avec l'environnement, une perception sensorielle aiguë, le sens de la psychologie de l'adversaire. Il n'en demeure pas moins que confronté aux tentations du monde moderne, à la perfidie des hommes et au mal, il commet de nombreuses erreurs.

Cette philosophie de vie qui trouve des échos chez les peuples premiers est omniprésente dans mes écrits, que ce soit dans mes romans, mes nouvelles ou mes chansons. Sur ce plan, ma démarche est proche de celle de M. Night Shyamalan qui développe la sienne depuis cinq films.

 

Sans rien révéler, la fin du roman paraît définitive pour Nathan Love. Pourtant, vous travaillez sur la suite de ses aventures. Pourquoi avoir décidé de le ramener sur le devant de la scène ? Est-ce une envie propre ou une demande de l'éditeur ?
Lorsque j'ai terminé d'écrire Le dernier testament, j'ai eu un pincement au cœur. Difficile de quitter des personnages avec qui j'avais vécu pendant trois ans. Nathan Love est un personnage hors du commun dont j'étais loin d'avoir exploité toutes les facettes. Ses capacités me permettent d'explorer des univers difficilement accessibles pour un enquêteur classique. Comment créer un autre personnage après celui-ci ? J'ai même écrit entre-temps un roman où le protagoniste est carrément antipathique ! C'est pourquoi, lorsque l'engouement des lecteurs pour le héros du Dernier Testament a poussé mon éditeur à me demander s'il était possible de travailler sur une suite, j'ai envisagé cette perspective avec enthousiasme. Il me fallait cependant trouver une manière crédible de le faire revenir. Aujourd'hui, c'est chose faite et l'on va bientôt retrouver Nathan Love.

 

Vous faites voyager votre héros sur des distances assez grandes. Visite-t-il des pays
que vous connaissez personnellement, ou travaillez-vous sur votre seule imagination pour les décors ?

J'ai voyagé dans les pays traversés par Nathan Love. Les décors jouent un rôle important dans l'intrigue. Pour les décrire, j'ai recours à mes souvenirs personnels parfois magnifiés, à des cartes pour respecter les distances, les temps de déplacements, les décalages horaires et à mon imagination pour leur donner des couleurs. J'aime embarquer le lecteur dans des endroits où il n'a pas forcément mis les pieds, dans le cercle arctique par - 50°C, dans les back-rooms torrides d'une boîte SM de San Francisco ou dans les bas-fonds de Manille.

 

Nous parlions de cinéma et de scénario tout à l'heure. Et en lisant vos romans, on découvre un style très visuel et une ambiance musicale très particulière. Une atmosphère à la Tarantino. L'écriture d'un scénario original pour le cinéma est-il parmi vos projets ? Une adaptation du Dernier Testament ?
Merci pour la référence à Q.T. qui est l'un des plus grand cinéastes du monde et probablement le meilleur dialoguiste de tous les temps. Mon deuxième roman Couverture Dangereuse était un scénario original que j'avais écrit pour le cinéma. Faute d'être devenu un film, j'en ai fait un roman qui sera peut-être adapté un jour au cinéma. J'ai travaillé sur un synopsis du Dernier Testament qui est entre les mains de plusieurs producteurs.

 

Plus généralement, comment voyez-vous l'explosion du thriller dans l'édition en France ? Quel est votre sentiment vis à vis de cette pépinière de jeunes auteurs que l'on découvre ces dernière années ?
Avant, le thriller était le domaine réservé des Américains. Depuis, il y a eu Les Rivières Pourpres dont le succès a donné le droit aux Français d'écrire autre chose que du Maigret ou du San Antonio. Merci Jean-Christophe Grangé donc. La nouvelle génération qui s'engouffre dans la brèche, plus influencée par le cinéma que par la littérature d'ailleurs, pousse vers la retraite les vieux auteurs de polars soixante-huitards, de romans policiers banlieusards, introspectifs ou régionaux. Tant mieux. Il faut juste veiller à ne pas copier ce que font les Anglo-saxons.

 

Et que pensez-vous de la politique des éditeurs de vouloir de plus en plus lancer certains auteurs comme des produits marketing ?
Pour avoir fait des études en marketing et travaillé dans la pub, je sais comment fonctionne le système. Ça se résume à étudier ce que veulent les gens pour le leur donner. Certains éditeurs se sont spécialisés là-dedans. Beaucoup de bouquins peuvent être lancés comme du papier hygiénique... et utilisés comme tels ! Pratique pour ceux qui aiment lire aux toilettes. On peut même imaginer une « Writer Academy » sur TF1. L'art procède de l'inverse. Il est là pour secouer les gens, pas pour les caresser dans le sens du poil, ni passer chez Laurent Ruquier. Maintenant, s'il s'agit de communiquer par la pub sur la sortie d'un livre, je suis le premier à dire oui. Je préfère voir la photo du dernier Elmore Leonard en 4X3 que celle de la dernière Citroën. Et dans une pub TV, Toni Morrison aurait plus de charisme que Claudia Schiffer.

 

Etes-vous un gros lecteur ? Et quels ont vos modèles littéraires ?
En tant que lauréat du Grand Prix de Littérature Policière 2005, j'ai intégré le jury pour la sélection du prix 2006 et j'ai donc eu l'occasion de lire la plupart des polars publiés cette année. J'avoue que je suis tombé sur pas mal de trucs indigestes, boursouflés, alambiqués, prétentieux. C'est peut-être pour ça que je préfère le cinéma. Un film est une œuvre collective. Le scénariste y apprend l'humilité et il y a toujours quelqu'un pour dire au réalisateur, « oh mec tu te la pètes pas un peu trop là ? ». Au cours de l'écriture d'un roman, il n‘y a personne qui tape sur l'épaule de l'auteur pour lui dire « Eh oh, t'es sûr que ça intéresse les gens ce que tu es en train d'écrire ? ». Les écrivains ne se posent pas assez souvent la fameuse question de Stephen King « A quoi rime toute cette entreprise? ». Tiens, en parlant de King, mon modèle littéraire, c'est lui.

 

Vos derniers coups de cœur littéraires et cinématographiques ?
Le meilleur bouquin que j'ai lu depuis Cul-de-sac de Douglas Kennedy, c'est Transparences de Ayerdhal. Il y aussi La colère des enfants déchus de Catherine Fradier.
Côté cinématographique c'est le dernier Michael Mann, Miami Vice, qui m'a époustouflé. Un scénar au cordeau, un jeu d'acteurs sous haute tension et surtout des scènes comme on n'a jamais vu auparavant au cinéma. J'admire les écrivains et les réalisateurs qui continuent à inventer au lieu de reprendre les trucs qui marchent.

 

En guise de conclusion, nous révèlerez-vous des indiscrétions sur votre prochain roman ?
Je viens de remettre le manuscrit du prochain Nathan Love à mon éditeur.  Sa sortie est prévue fin février 2007. Je ne peux pas encore vous révéler le thème (Dan Brown risque de me le piquer !), sauf qu'il est d'actualité et qu'il touche à notre quotidien. Le roman est très noir. Nathan sera entraîné dans un univers incroyablement dangereux. Le véritable fonctionnement du monde lui sera révélé et avec lui un terrorisme d'un nouveau type. L'action se déroulera aux USA, au Japon, en Afrique, en Méditerranée, en mer de Chine et dans les Balkans. J'emmènerai le lecteur dans les plus beaux sites de la planète, mais aussi dans les endroits les plus infâmes. Je lui montrerai ce qu'on ne montre jamais...

 

Vous avez le mot de la fin...
Mushotoku (sans but ni esprit de profit)

 

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