Jean-Luc Istin


Interview de Jean-Luc Istin


Bonjour Jean-Luc Istin, une petite tradition chez Plume Libre ; pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Avant tout, je suis un Breton. Ça compte d’être un Breton qui rêve en respirant l’air marin tout en écoutant chanter les goélands. Je suis un lecteur passionné de BD et de romans. J’ai une belle collection chez moi et j’aime prendre le temps - malgré tout mon travail - de lire, découvrir et relire les albums et les livres qui affaiblissent, sans aucune pitié, mes étagères. Fort de ma passion, j’ai décidé, alors que je n’étais qu’un gamin, d’en faire mon métier. Je n’étais pas certain de parvenir à réaliser mon rêve, d’autant que je n’étais pas aidé par ma famille, peu encline à apprécier ces formes d’art, et qui pensait qu’il s’agissait là, tout simplement, d’un métier de saltimbanque. Ce manque de soutien m’a fait perdre pas mal de temps surtout que je me suis retrouvé à l’école de notariat de Paris. Un jour, le Directeur, digne dans son costume trois pièces, m’a surpris en train de le caricaturer en Tortue Ninja. Bon, ce dessin n’était pas de l’ordre du chef d’œuvre. Il m’a alors dit : « Monsieur Istin, peu importe que vous choisissiez le droit ou le dessin pour en faire votre métier. Dans les deux cas, il vous faudra travailler dur. Et que ce soit en droit comme en dessin, vous êtes pour le moment  tout aussi mauvais ! »
Je n’étais pas si mauvais que ça en droit mais ce qu’il disait était lourd de sens et surtout plein de bon sens !
J’ai quitté le droit et commencé à me mettre sérieusement au dessin et à l’écriture des scénarios, en lisant ceux des maîtres en la matière.
De longues années plus tard, J’ai fini par devenir dessinateur saltimbanque et scénariste saltimbanque par la même occasion. Puis, par extension, je suis devenu directeur de collection, ou éditeur selon les jargons.
Ça fait maintenant plus de 14 ans…
Et tous les jours, j’apprends.


Scénariste, dessinateur, directeur de collection … Comment conciliez-vous toutes ces facettes du métier de l’édition ?
De la même façon.
En tant que directeur de collection, j’ai parfois une idée que je demande à des auteurs de développer. En tant que scénariste, je développe une idée. En tant que dessinateur, je dessine des idées.
Tout n’est qu’idée.
Pour concilier toutes ces facettes, je gère de façon chaotique l’ensemble en fonction des urgences.
Je n’ai pas à proprement parler un planning avec le lundi, scénariste, et le mardi, éditeur etc... Parfois, le matin, j’ai l’intention d’écrire des pages de LE CINQUIEME ÉVANGILE et je me retrouve à gérer des contrats urgents, à demander des couvertures à des illustrateurs, à demander des corrections sur certaines cases, à faire payer un auteur qui n’a pas pu livrer ses pages en temps et en heures, à écrire des résumés d’albums dont je ne suis pas l’auteur parce que l’auteur n’est pas joignable etc… Finalement, je dois bien souvent faire face à l’imprévisible ou au prévisible mal géré et apporter des solutions. Et j’écris quand tout redevient calme. Quoique… Parfois, je ferme tout moyen de communication et j’écris quoi qu’il en coûte.
Le dessin est un peu en stand-by en ce moment. Je me contente de story-boarder des pages ou de faire des illustrations. Ce qui me va très bien, pour le moment…


Vous êtes directeur de plusieurs collections aux éditions Soleil, « Soleil Celtic » « Soleil Ésotérique » « Anticipation » « 1800 » et « Serial Killer », comment sont nés tous ces projets ?
Soleil Celtic fut la première collection que j’ai créée. Je venais d’écrire MERLIN qui a eu un succès inattendu disons-le, mais bienvenu, disons le aussi. Puis je déménage. Je me retrouve comme par hasard en Bretagne, allez savoir pourquoi – Je vous ai déjà dis que j’étais Breton ? Et en furetant dans une librairie froide et austère, je tombe sur quelques recueils de contes bretons. J’en parcoure un à la vitesse d’un éditeur qui flaire un bon coup et je rentre chez moi certain qu’il faut les adapter en BD  sous forme de collectif. J’appelle Erwan Lebreton, un ami qui fait des effort pour me faire plaisir rien qu’avec son nom et lui demande : « Tu connais ces contes ? ». Là, il me répond : « Oui, ma grand-mère m’en racontait autrefois ». Forcément, je tiens mon scénariste et on décide d’appeler cela LES CONTES DU KORRIGAN. Quelques mois plus tard, c’est le succès. Je prépare alors une liste de titres et envoie un mail à Mourad Boudjellal précisant que je veux créer la collection Soleil Celtic.
Il me répond dans les 5 minutes : OK. Voilà, comment est née cette collection.
Je ne vais pas trop m’étendre sur les naissances de chaque collection sinon je vais finir par vous demander de me payer au signe, mais voici en quelques mots ce que je peux ajouter :
Au sujet de la Collection Secrets du Vatican, renommée, il y a peu Soleil Ésotérique, je voulais écrire des thrillers ésotériques. Pour ça, Loge Noire chez Glénat était parfait. J’étais chez Soleil, je l’ai proposé chez Soleil. Mourad rentre en scène et me dit ok mais on appelle ça Secrets du Vatican. Personnellement, j’avais misé sur Soleil ésotérique mais le grand manitou avait parlé et je ne pouvais que me réjouir. Va pour secrets du Vatican !
Ironie du sort :  Guy Delcourt rachète Soleil et souhaite qu’on appelle cette collection, Soleil Esotérique.
Je l’ai souvent dit, je voulais être le nouveau Jodorowsky de la BD pour pas mal de raison – et surtout parce que  je suis un accroc de SF. La collection Anticipation, c’est pour répondre à cette addiction. Pas beaucoup de séries pour cette collection mais je m’en occupe avec soin.
La littérature de genre du 19ème siècle, c’est extraordinaire !  De là, naît l’évidence d’une collection avec des noms aussi célèbres que Sherlock Holmes, Frankenstein, Allan Quatermain, Mister Hide, le capitaine Nemo, Dorian Gray ! Qui ne les connaît pas ? Ce sont des stars et ils méritaient bien une collection.
Pour l’habillage, je pensais à quelque chose de noble comme l’avaient créé les éditions NEO. Laurent Arnaud, notre chef de studio, chez Soleil a créé la ligne 1800, une ligne remarquable, avec une identité propre. Par ailleurs, comme nous rentrions dans une période difficile commercialement parlant, j’ai tenu à limiter les nombres de tomes des séries 1800 à 2 tomes maxi, 3 si on est gentil avec moi. Et vous remarquerez qu’il y a peu de triptyque. Oui… ils ne sont pas gentils avec moi.


Comment navigue-t-on entre des univers si différents ?
En fonction de deux choses :
L’urgence, Eh oui, encore l’urgence. Mais si un dessinateur vous dit : « hep  Monsieur Istin, j’ai besoin de la suite du scénario ! », vous n’avez plus qu’à trouver l’énergie pour créer les pages.
Et l’inspiration. Elle n’est pas toujours là (sauf en cas d’urgence, on la force un peu)  et quand elle vient, et bien il faut la capter et la laisser vous conduire la main. Que ce soit pour une histoire, pour un dessin ou encore, pour divers titres sensés agrémenter une collection.
Mon petit truc pour changer d’univers ? Changer de musique.
J’écoute  Carmina Burana, je vous écris une fantasy.
Je mets la BO de Sunshine et je vous écris un thriller.


Comment choisissez-vous les titres qui paraîtront dans chacune d’elles ?
Tout à fait logiquement. En fonction du thème. Parfois, il y a des croisements. D’ailleurs, c’est pas difficile, j’ai un exemple concret.
L’ORDRE DES DRAGONS est sorti en collection Secrets du Vatican. Et DRACULA, L’ORDRE DES DRAGONS est sorti en 1800. C’était plus pertinent.


Comment choisissez-vous les illustrateurs avec qui vous collaborez sur les différents projets ?

Je ne choisis pas vraiment, je rencontre. C’est souvent le fruit du hasard bien fait, vous savez.
Je suis à Angouléme, un jeune homme me montre son travail que je trouve remarquable. Je lui demande si il aime les Zombies, il me répond oui. Je rentre chez moi, j’appelle Olivier Peru avec qui je commence à  pas mal travailler et je lui demande d’écrire ZOMBIES. Quelques mois plus tard ZOMBIES sort. Le jeune homme c’est Sophian Cholet.
Dans d’autres cas, ce sont des auteurs qui me présentent à d’autres auteurs. Et puis dorénavant, il y a même des agents qui m’aident à trouver des dessinateurs pour des scénarios qui me tiennent à cœur.



Comment est née la collection 1800 et comment êtes-vous arrivé dans ce projet ?

Pour être plus précis que je ne l’ai été plus haut, j’ajouterai que le point de départ de 1800 est une plaisanterie qui s’avère, au final, plus sérieuse.
Je voulais créer une collection dénommée VERSUS qui mettrait en scène des combats entre monstres fantastiques du 19ème siècle avec des titres comme :
Allan quatermain contre les Zombies, Dracula contre le fantôme de l’opéra, Sherlock Holmes contre les vampires etc….
Mais comme entre temps, j’avais aussi envie d’adapter des romans comme ELLE et de faire ALAMO, j’ai donc élargi la collection pour l’appeler logiquement 1800.
Comme quoi tous les chemins mènent à Rome et qu’il n’y pas de sot chemin.


Va-t-elle se décliner sur d’autres époques, 1900 par exemple ?
Surtout pas.
Quoique… Mais ce sera de votre faute car je n’y avais pas pensé avant.


Quel est le cahier des charges à respecter pour les dessinateurs et scénaristes de cette collection?
Être bon, très bon. Faire tenir l’histoire dans 2 albums voir 3 si vous êtes gentils.


Comment choisissez-vous les grands classiques et les thèmes fantastiques abordés dans chaque volume ?
En fonction de mes propres lectures et préférences. Mais dernièrement j’ai demandé à Guy Delcourt de me donner des titres qui lui plairaient de voir adapter. Je travaille dessus. Parfois, des auteurs viennent me voir avec une idée et elle me séduit.

Qu'auriez-vous envie de dire aux lecteurs qui n'ont pas encore découvert ces collections ?
Mon Dieu ! Mais où étiez-vous ces 10 dernières années ? Au Goulag ?

Quels sont les livres, BD ou films qui vont ont le plus marqué ces derniers temps ?
Livre : Midnight Movie de Tobe Hooper et Alan Goldsher : un délicieux délire dont j’adore les dialogues.
BD: 7 Missionnaires. Superbement dessiné et habilement écrit. J’aurais adoré le signer.
Film : Hugo Cabret. J’ai pleuré 3 fois. 2 fois plus que pour E.T.

Quels sont vos projets ?
Ecrire pour le cinéma et la T.V.
Développer de nouveaux titres en BD qui me tiennent à cœur mais que je ne peux dévoiler ici. De nos jours, on se fait piller un titre très facilement, donc j’apprends à me taire.
J’aimerais bien devenir propriétaire à Toulouse. Quelle belle ville !
Redresser la France ! Continuer à m’occuper des mes enfants, rencontrer Dustin Hoffman et soigner ma phobie de l’avion.
Et vivre 115 ans minimum.

Merci beaucoup, Jean-Luc Istin, nous vous laissons le mot de la fin.
Chiche !

 



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