Hervé Commère

 

 

 

Hervé Commère

 

 

Bonjour Hervé Commère, que s’est-il passé dans votre vie professionnelle depuis notre dernière interview d’avril 2011 ?
Un grand et bon changement puisque j’étais à l’époque encore commerçant à Rennes. J’ai vendu mon affaire en juillet dernier, et ma chérie et moi vivons maintenant à Paris. Je suis employé dans une grande librairie du 12e, je déballe les cartons. Parfois, je vois passer mes livres…


Hervé Commère - Le deuxième hommeVotre troisième roman : Le deuxième homme est sorti au mois d’octobre, pourriez-vous nous le présenter ?

Pour faire court, je dirais que c’est l’histoire d’un homme qui n’a pas eu de père, qui a grandi sur cette faille, qui n’a jamais eu l’impression d’être vraiment quelqu’un. Jusqu’au jour où cet homme, qui se trouve être le narrateur, rencontre une femme et se sent soudain vivre, enfin. Et puis le drame arrive…


Comment est né ce roman ?  D’où vous est venue l’idée de départ ?

Je vais trahir le suspense mais tant pis.
Il y a une quinzaine d’années, j’ai entendu un homme raconter son histoire : dans les années 70 ou 80, cet homme avait rencontré une femme lors d’une semaine de vacances, petite histoire au soleil et sous la tente, et chacun avait repris son chemin une fois la semaine écoulée. Mais une fois rentré chez lui, l’homme s’était rendu compte que la fille qu’il avait serrée dans ses bras huit jours durant avait finalement pris plus de place dans son cœur qu’il ne le pensait. Elle lui manquait. Dans l’insouciance et la légèreté des vacances, ils ne s’étaient échangé aucun numéro de téléphone, pas d’adresse, pas même un nom de famille. Elle lui manquait mais il n’avait aucun moyen de la retrouver.
Quelques temps après, il avait rencontré une femme, qui ressemblait à s’y méprendre à la première. Il l’avait séduite, puis épousée.
Quand j’ai entendu cet homme raconter cette histoire, cela faisait vingt ans qu’ils étaient mariés et qu’il aimait la première à travers la seconde, sans que personne n’en sache rien.
J’avais trouvé ça incroyable, terrible, j’y ai pensé souvent. Et puis voilà, j’en ai fait un roman.
Sauf que dans « Le deuxième homme », c’est le narrateur qui se rend compte que sa femme en aime un autre à travers lui depuis le départ. C’est là que tout s’écroule.


Avec Le Deuxième homme, j’ai eu l’impression de lire plusieurs romans en un seul.  L’ambiance de la première partie diffère totalement de la seconde, où les révélations arrivent très tôt, et la suite est encore un retournement de situation qui étonne le lecteur.    Comment faites-vous pour surprendre autant vos lecteurs et  maintenir le suspens en nous racontant une histoire d’amour ?

Merci beaucoup !
Je dis merci parce que c’était exactement le but. Je voulais écrire un polar, un roman à suspense, qu’il y ait autant de tension que possible, en racontant une histoire qui ne comporte rien d’illégal, pas de drogue, pas de vol, pas de coups ni d’arme à feu, juste des sentiments.
Et pour ce qui est de surprendre le lecteur, j’ai essayé de le faire entrer doucement dans la tête et le cœur de mon narrateur, tout en conservant un rythme assez sec pour ne pas l’ennuyer. Une sorte de main de fer dans un gant de velours, un étau qui se resserre dans la douceur, comme ce que vit mon « héros », puisque, en surface, rien ne change : la vie semble toujours aussi belle, sa femme est là et lui murmure des mots d’amour. Tout ce qui change, c’est qu’il sait que ça n’est pas à lui qu’elle parle en vérité.


Vos romans sont souvent basés sur le hasard, par contre avec Le Deuxième homme, on a le sentiment qu’aucun des mots utilisés n’a été choisi au hasard, qu’un gros soin a été apporté à la langue. Comment travaillez-vous ?

Jusqu’à présent, je n’ai jamais vraiment laissé le hasard intervenir dans mon écriture, non. Par contre, j’ai inauguré quelque chose dans une longue nouvelle, « Départs », écrite pour la SNCF de Bretagne l’année dernière : la tirade finale, qui fait en gros deux pages, je l’ai écrite d’une traite, sans rature et presque en m’essoufflant. Je me suis dit « c’est de la poésie, là on est libre ». Et j’ai adoré.
Dans l’écriture du Deuxième homme, j’ai traversé plusieurs phases comme ça, des moments lyriques, au rythme des émotions de mon narrateur qui parfois perd complètement pied, lâche prise et tourbillonne. Pour atteindre ce lyrisme, j’ai besoin de me laisser aller, de ne plus avoir peur, pas peur de bien écrire, pas peur d’être un poète, pas peur d’en faire trop, bref, y aller, quoi.
Ce que je peux vous dire, c’est que « Le deuxième homme » a lentement muri dans ma tête, des mois durant. Je savais ce que je voulais dire. Une fois tout pensé, je l’ai écrit. Et la base était suffisamment solide pour que je puisse me laisser aller sur le style. Le tout, c’est de se sentir à l’aise. Là, c’était le cas.


Lors de notre interview d’avril 2011, vous nous aviez confié le scoop suivant : « 4 étoiles et nicotine » qui, à l’époque, vous vous en doutez, ne nous disait absolument rien.   Comment s’est effectué le choix du titre ?
Hé oui, le titre initial était « Quatre étoiles et nicotine », j’avais eu cette idée-là (pour rappel, c’est le titre du roman que Yvan, un des deux héros des Ronds dans l’eau, écrit en prison).
Et puis mon éditrice a eu cette réflexion simple et juste, elle m’a dit que ce titre n’était « pas très immédiat ». En discutant de l’histoire, disant « le deuxième homme » au détour d’une phrase, elle a remarqué que « le deuxième homme », tiens, ça ferait un bon titre.  Ça n’a pas été plus compliqué que ça.


Vous nous racontez cette histoire d’amour uniquement via le regard de l’homme, à aucun moment, le ressenti de la femme n’intervient.   Pourquoi ne pas lui avoir donné la parole à la fin du roman ?

Peut-être se trompe-t-il sur toute la ligne, peut-être se fait-il une montagne de ce qui n’est en réalité qu’une simple coïncidence. Mais peu importe, il lui est impossible de relativiser, il lui est impossible de prendre du recul, de mettre quoi que ce soit en perspective.
J’ai voulu raconter une histoire d’amour, oui. Mais « Le deuxième homme », c’est aussi l’histoire d’une folie, et surtout, l’histoire d’une solitude.
Quant à donner la parole à la femme, j’y pense, mais pas maintenant. Ecrire la face B, un roman entièrement écrit par Norah, qui raconte son histoire et ses doutes, sa solitude à elle et ses amours aussi. Mon éditrice et moi avons d’ailleurs déjà le titre. On verra bien.


Vous avez, en ce moment, une actualité chargée, puisque les éditions Pocket rééditent votre premier roman J’attraperai ta mort, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce dernier ?

Oui, mon premier roman, sorti en 2009, qui ressort sous la forme d’un super joli livre de poche bleu mat, je n’y croyais plus !
L’histoire nous est racontée par les trois habitants successifs d’une petite maison en pierre dominant Etretat. Le premier narrateur est un truand, on le suit dans ses coups. Les habitants suivants n’ont rien à voir avec tout ça, ils viennent juste d’acheter une maison. Mais emménager dans l’ancienne tanière d’un truand de haut vol, ça a quelques conséquences…


Comment vous est venue l’idée de ce scénario diabolique, les plans de Paul sont très efficaces, comment avez-vous fait pour les mettre en place ?

Je voulais que ce soit carré, infaillible, malin jusqu’au bout. Je voulais qu’on y croie, que tout ça soit possible. Je crois que c’est un point commun à tous mes romans, je veux qu’on puisse s’identifier, qu’on puisse regarder son voisin en se disant « Si ça se trouve, c’est lui ». Et pour ce qui est des coups parfaits de Paul, hé ben… j’ai réfléchi !

Hervé Commère - J'attraperai ta mort
D’où vous est venue l’idée d’en faire un roman en deux parties ?

L’idée de départ était : un couple habite une maison, tout s’y passe très bien, l’image du bonheur. Jusqu’à ce que quatre hommes en noir débarquent un dimanche, proposant au couple une somme faramineuse pour acquérir leur petite maison. Pourquoi une telle somme ? Qui est le type pour lesquels les quatre hommes travaillent ? Que renferme la maison, que représente-t-elle, que s’y est-il passé pour que quelqu’un veuille y mettre un tel prix ?
Voilà, au final le roman n’a presque rien à voir avec cette idée de départ, mais les deux parties sont là : un couple dans une maison, et ce qui s’y est passé avant.


L’arrivée d’Alice et Mathieu, déroute un peu (beaucoup) le lecteur, c’est bien sûr l’effet sur lequel vous comptiez, comment sont-ils arrivés dans toute cette histoire ?

J’ai un petit peu répondu plus haut mais je vais ajouter quelque chose, dont je vous ai déjà parlé : j’aime mettre des personnages de tous les jours dans mes romans, ni flics ni truands, ni tueurs, ni quoi que ce soit de « bizarre » ou de « noir » ou de « suspense », etc. Des gens comme vous et moi, que rien ne prédispose à vivre des histoires aussi sombres. C’est le cas d’Alice et Matthieu, qui n’avaient rien demandé à personne.


La curiosité de Mathieu pourrait bien lui être fatale, pensez-vous qu’elle est un vilain défaut ou que, parfois, savoir devient vital ?

Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question. Un vilain défaut, non, je ne crois pas… Tant qu’on n’empiète sur le territoire de personne, on fait ce qu’on veut, non ?
Pour ce qui est de Matthieu, sa curiosité le perdra, oui. Mais je pense que ça n’est pas simplement de la curiosité, il s’agit des cendres de son père, il veut savoir où elles sont passées, ce qui s’est tramé, pourquoi on les lui a volées, c’est un besoin, plus que de la curiosité.


Jacques, l’un des personnages principaux de Les ronds dans l’eau, est un gangster, dans J’attraperai ta mort Paul l’est aussi, pourquoi ce choix ?  Pourquoi avoir fait de Paul un bandit comme on n’en fait plus, sans toute la grosse artillerie mais avec cette classe et ce « code » qu’il y avait avant ?

Je trouve que Jacques et Paul sont deux gros enfoirés, deux sales types sans scrupule. Bizarrement, je constate que ces deux salopards plaisent aux femmes… ! En tout cas, j’ai fait de ces hommes des truands parce qu’il me semble évident que notre vie est guidée par l’argent, on fait chaque jour des tas de choses parce qu’il faut payer le loyer, acheter à manger, etc. Chaque jour. Eux, ils ont décidé de ne pas s’embêter plus longtemps. Ils ne courent pas après la richesse, ils courent après la liberté.
Je fais la même chose quand j’écris.   


On sent qu’il y a un véritable attachement à vos personnages, comment naissent-ils ?

Je suis un peu chacun d’eux, et puis je me projette, je m’imagine à leur place…
Et comme chacun sait, le bien et le mal n’existent pas, le noir et le blanc non plus. Il n’y a que du gris, et des circonstances.
Mes personnages naissent comme ça, au gré des histoires que je me raconte, que j’entends et que je vis, et en fonction de ce que j’ai envie de dire ou que j’essaie de saisir…


Quand on termine un de vos romans, on ne peut s’empêcher de penser que vous nous avez manipulé de bout en bout.   Est-ce une volonté affirmée de votre part dès le départ ou est-ce plus inconscient ?

Je ne veux pas manipuler le lecteur, plutôt le surprendre.
J’aimerais qu’il soit libre dans sa lecture, qu’il me lise simplement parce qu’il aime l’histoire et le style, et non parce qu’il est pris à la gorge avec le besoin de savoir la suite. Pour l’heure, je continue de ménager le suspense au fil des pages, j’ai encore besoin de ça pour raconter des histoires. Mais j’ai l’impression de m’écarter doucement de ce sillon. D’ailleurs, on dit souvent du Deuxième homme que ça n’est pas un polar, mais un roman et voilà tout. Ça me fait très TRES plaisir.


Quel regard portez-vous sur internet et notamment sur les différents blogs et sites littéraires qui fleurissent sur la toile ?

Lorsque je vois une mauvaise critique sur un de mes livres, je suis simplement tout d’un coup favorable au rétablissement de la peine de mort, prêt à militer pour la liberté de port d’arme et fervent défenseur du droit de faire justice soi-même, rien de plus. A l’inverse, quand la critique est élogieuse, je porte soudain ce blog en haute estime, trouvant tout à fait scandaleux qu’il n’ait pas meilleure audience.
Plus sérieusement, j’ai parfois l’impression d’une sorte de compétition entre blogueurs, ce qui me laisse assez pantois. L’heure est aux bilans, tous font le total des romans lus l’année passée, comme un concours permanent, 120 ici, 115 là, 140 ailleurs. « Etre le premier » semble être une donnée importante, et je trouve ça bien dommage. On lit (et on écrit) pour s’évader, penser, réfléchir et rêver, pour partager aussi, ok, pas pour « gagner », si ce n’est en plaisir.


Allez-vous régulièrement à la rencontre de vos lecteurs lors de salons du livre ?  Que vous apportent ces échanges ?

Je fais une petite dizaine de salons par an, oui, et j’adore ça. On s’y rencontre entre auteurs, l’ambiance est toujours excellente. Et puis les lecteurs arrivent, certains me connaissent déjà grâce à un roman passé, d’autres me découvrent. Je fais aussi des dédicaces et des rencontres en librairie. Ça donne parfois des échanges un peu bizarres. Ce maire d’un arrondissement parisien, par exemple, qui prend « Les ronds dans l’eau » en main, grimace immédiatement en disant « ho là là, c’est noir, ça », le repose, et prend, sans s’en rendre compte, un autre exemplaire des Ronds dans l’eau, et me dit « ça c’est mieux, je le prends ». Ou bien cette femme qui m’a expliqué très précisément que « J’attraperai ta mort » ne se terminait en réalité pas comme ça du tout, que je m’étais trompé. Un type, aussi, qui m’a dit qu’il voulait publier un roman, et qui se demandait s’il fallait l’écrire avant… Et puis aller dans les salons et librairies, c’est se rendre compte que les romans existent, vivent, résonnent. C’est même parfois presque troublant.


Quels sont vos projets ?
Différents salons que j’annonce au coup par coup sur ma page Facebook.
Par ailleurs, le collectif Calibre 35 (10 auteurs Rennais, dont je fais encore partie malgré mon déménagement vers la ville lumière !) sortira son premier recueil de nouvelles vers le printemps, aux éditions Critic. Ça s’appellera « Rennes, ici Rennes », et ça comportera toutes les nuances de noir.
Plus personnellement, je travaille actuellement sur un projet dont je ne peux rien vous dire. Juste un indice : ça fera 6 fois 52mn.
Côté roman, le suivant est en route, un peu retardé par le projet en cours cité plus haut, mais bien coloré dans ma tête. J’ai les images et la musique, les personnages et les saveurs. Et ce sera le plus sauvage de tous.
Enfin, un petit texte que j’écrirai bientôt, j’ignore combien de pages ça fera, peut-être une soixantaine, qui n’aura rien d’une fiction. Il y sera question de moi, de demande en mariage et d’infection pulmonaire. Je vous en reparlerai.



Merci beaucoup Hervé Commère, comme d’habitude, nous vous laissons le mot de la fin.
Vous m’avez envoyé ce questionnaire par mail il y a un mois, je vous ai dit que j’y répondrais bientôt.
Et puis je me suis fait cambrioler, et mon ordinateur a disparu. Je n’en ai pas racheté tout de suite, et vous ai à nouveau prévenu, depuis mon travail, que j’allais vous répondre début janvier.
Nous voilà début janvier, nous sommes le 2. Et ma chérie et moi sommes bloqués à la Réunion, un cyclone épouvantable va nous passer sur la tête d’ici quelques heures. Un vent du diable souffle déjà derrière les vitres et des trombes d’eau nous menacent. Notre vol de retour est annulé, l’aéroport est fermé jusqu’à nouvel ordre. Il paraît que les rafales vont dépasser les 250km/h.
La dernière fois, je vous avais dit « la suite, on la découvrira presque ensemble ». C’est toujours vrai !

 

Du même auteur : Biographie, chronique, interview

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