Egolf Tristan

 




Le Seigneur des Porcheries

 






Un livre est avant tout une histoire, tout le monde en conviendra. Celle du Seigneur des Porcheries est somme toute assez simple. On pourrait la résumer par : c'est l'histoire d'un type qui n'a pas de chance.

John Kaltenbrunner était taillé pour faire de grandes choses, pensez vous, à 8 ans il était déjà à la tête d'un élevage agricole prospère. Seulement, pour faire les grandes choses pour lesquelles il était destiné, il aurait fallu qu'il naisse ailleurs qu'à Baker, au fin fond du Midwest. Une charmante bourgade minière où inceste, violence, stupidité et alcoolisme sont les mots d'ordre. Pourtant, John Kaltenbrunner est une célébrité à Baker : prononcez son nom, et les visages se ferment, les regards se détournent, les langues se nouent, et parfois un poing pourrait même se dresser. Bref, John est le personnage principal de la mythologie locale, responsable évident et bien commode de toutes les catastrophes qui se sont abattues sur Baker.
Sauf quand un homme qui l'a bien connu entreprend de réhabiliter sa mémoire et de raconter l'histoire de John telle qu'elle s'est vraiment passée, et non telle que la mémoire collective préfère se la rappeler. Une lente montée de colère devant la stupidité des hommes, jusqu'à la "fissure" et l'ultime vengeance de John sur les habitants de Baker.

Et cela donne Le Seigneur des Porcheries, un roman tumultueux, colérique, drôle, avec un style époustouflant. Un roman qui ne se lit pas en diagonale, loin de là : chaque phrase, chaque mot, chaque virgule y a sa place et son importance. La lecture en est parfois épuisante, mais toujours jubilatoire. Lisez le, et vous saurez enfin ce que sont les "torches-collines", les "rats d'usines", les "trolls" ou les "harpies méthodistes". Il y a du Steinbeck chez Tristan Egolf, et du Tom Joad (le héros des Raisins de la Colère) en John Kaltenbrunner. On retrouve des échos du monde ingrat des années 30 dans le Baker de Tristan Egolf.

Un roman est avant tout une histoire, donc. Et parfois, un roman a aussi son histoire. Le Seigneur des Porcheries a été refusé par 70 éditeurs américains. De dépit, Tristan Egolf part en France et se retrouve musicien de rue, sous le Pont des Arts à Paris. Alors qu'il gratte sa guitare, il rencontre une jeune fille qui lui offre un café et l'écoute parler de son roman. Et comme parfois les histoires sont joyeuses, cette jeune fille n'est autre que la fille du romancier Patrick Modiano. Et voilà comment un manuscrit refusé par 70 éditeurs américains sera publié chez Gallimard et deviendra un franc succès. Mais comme parfois les histoires sont tristes, Tristan Egolf s'est suicidé en mai 2005.

Le seigneur des porcheries, parution octobre 2000, Editions Folio

 Du même auteur sur Plume Libre : Biographie, chronique, interview

 




 

 

 

 

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