Que devient un homme lorsqu'on lui enlève sa raison de vivre?
Un dicton explique qu'une vie sans rêve ne vaut pas le coup d'être vécue. Elle est tout juste subie. Mike ressent ce vide depuis qu'un beau jour d'été, sa femme Johanna meurt subitement à la sortie d'une pharmacie. Un accident de voiture crée l'agitation et le soleil tape beaucoup, il n'en faut pas plus que cette jeune femme disparaisse au grand malheur de son époux. Parce que voilà, elle était son amour, la mère de son futur enfant mais aussi son inspiration, sa muse. Mike est écrivain à succès. Ses livres, qu'il sort une fois par an, se vendent bien. Il est régulièrement dans les dix meilleures ventes. Et ses thrillers sont publiés par sa maison d'édition à date fixe. La routine est présente à chaque étape de la construction des romans. Seulement, un rouage de cette belle mécanique disparaît : Johanna. Là, Mike n'a pas plus seulement le syndrome de la page blanche, mais une phobie. Il ne peut même plus s'installer devant son ordinateur et ouvrir son traitement de texte. Il en fait un malaise.
Durant quatre ans, il essaie toutes sortes d'échapatoires, tout en ressortant des romans qu'il avait écrit auparavant pour satisfaire les demandes de son agent. Mais cette réserve n'est pas inépuisable. Il décide de tenter une dernière chose. Et s'il se rendait à Sara Laughs, leur maison dans le Maine? Villa dans laquelle il ne s'est pas rendu depuis la mort de son épouse. Arrivée là-bas, il revoit des visages qu'il n'a pas vu depuis quatre ans. Mais surtout, il reprend contact avec la vie... mais aussi avec la mort. Sa chère Johanna semblait peu avant son décès faire une enquête sur sa famille. Et les esprits semblent avoir pris possession de la bâtisse. Notamment un enfant qui pleure... Tout est-il lié ? Mike devient-il fou ?
Je vais être clair tout de suite. Il s'agit véritablement pour ma part du meilleur Stephen King que j'ai pu lire. Les personnages sont très bien travaillés et les situations démontrent une sensibilité à laquelle le maître ne nous avait pas habitué. Mike est un personnage comme on aimerait en lire plus. Ses doutes ne deviennent à aucun moment des certitudes. Mais surtout, King s'explore lui-même à travers ce personnage. On sent très nettement qu'il s'identifie à 100% à cet homme qui n'arrive plus à écrire. Qui n'en a plus la force. Métaphore d'un homme qui n'a tout simplement plus la force de vivre. Mais également, il analyse avec une froideur qui fait presque peur son métier et sa condition d'écrivain. Notamment il explique que pour lui ses personnages sont des 'sac d'os' c'est-à-dire des personnes vides. Un simple récipient où l'auteur y met ce qu'il veut comme il veut. De plus, il considère très nettement qu'un écrivain est un être qui essaie d'en savoir le minimum pour donner l'impression d'en savoir le maximum.
Mais ce roman est également une histoire impressionnante quant à sa cohérence malgré les nombreuses ramifications. Mike nous présente une galerie de portraits assez impressionnante. Et on s'attache à chacun d'entre eux. De l'effroyable salaud à la jeune femme naïve. Sur deux plans, tant littéraires que spirituels, l'intrigue nous ballade et nous intéresse à chaque page. De plus, l'écriture à la première personne nous imprègne de la folie rationnelle qui baigne le roman. Mike doute, nous aussi. Mike reprend espoir, nous aussi on veut croire que tout va aller bien maintenant. Même si on se doute...
Finalement, ce roman est le meilleur de King pour différentes raisons. D'abord pour son implication personnelle dans le personnage principal. Ensuite pour la densité de l'intrigue et le cumul du rationnel et de l'irrationnel aux bonnes doses. Enfin parce que cette histoire est une magnifique histoire d'amour teintée de fantastique. Cerise sur le gâteau: il en profite pour placer un très grand nombre de clins d'œil à d'autres romans. Ce procédé, déjà utilisé, crée une cohérence d'ensemble qui est appréciable
Sac d'os, Parution septembre 1999. Editions Albin Michel
Parution mars 2001. Editions Le livre de Poche