Patrick Graham




Patrick Graham - Salon du livre de Saint Etienne 2007


Il existe des auteurs dont les romans ont peut être du mal à bercer pour lesquels le cœur bat. L'évangile selon Satan fait partie de ceux-là à la différence qu'un buzz important s'est créé autour de ce premier roman plus que prometteur. Patrick Graham nous fait l'honneur de répondre à nos questions et de nous offrir un présent qui vous ravira très certainement. Ce cadeau est à la fin de l'interview, alors un peu de patience.

 

Nous commençons toujours par une petite présentation, mais nous respecterons votre souhait de rester discret sur vous-même. Nous direz-vous quand même ce qui vous a donné l'envie d'écrire ?
  Je vis pour le moment près de Paris dans une maison perdue au milieu d'une grande forêt assez sombre. J'ai 39 ans, je suis marié et j'ai trois enfants. J'ai aussi un chat. J'adore les chats car ils voient des choses que nous ne voyons pas. Quand ils feulent sans raison, que leur pelage se hérisse et qu'ils roulent des grands yeux plein de colère, c'est parce qu'ils voient des morts. Je suis sur que les chats protègent les vivants de certains morts qui reviennent pour se venger. C'est pour ça qu'il faut toujours avoir un chat chez soi.   Pour ce qui est de la deuxième partie de la question, j'ai eu envie d'écrire à la seconde où j'ai terminé Simetierrede Stephen King sous une tente une nuit de grand vent. J'avais 16 ans et je me souviens encore de la puanteur de sac plastique s'échappant de la gueule de Spot - le chat mort-vivant des Creed - des vagissements de Cage attendant son père avec un bistouri dans l'escalier et surtout de la voix pleine de terre d'Eilen Creed revenant à son tour d'entre les morts après avoir été ensevelie dans le vieux cimetière indien. Brrrr.... Définitivement c'est là que j'ai eu envie d'écrire.

 

Il semble que l'Evangile Selon Satan soit votre premier roman, mais avez-vous déjà écrit sous d'autre noms (on ne vous demandera pas lesquels, promis). Si oui, sur quel(s) sujet(s) ?
   
L'Evangile est effectivement mon tout premier thriller. Mais je vais rattraper le retard, c'est promis ! 


D'où vous est venue l'idée de ce livre ?
    Tout a commencé lors d'un dîner à Rome il y a deux ans avec un ami d'enfance devenu prêtre puis membre influent d'une congrégation du Vatican. Entre deux gorgées de grappa, il m'a parlé des bibliothèques interdites de la Chrétienté et des difficultés que l'Eglise peut avoir à gérer certains manuscrits sulfureux surgis du passé. Pas les évangiles apocryphes qui ne posent le plus souvent que des problèmes d'interprétation mais des manuscrits beaucoup plus anciens qui ont traversé les siècles en passant de mains en mains et qui racontent une autre histoire en contradiction totale avec le dogme. Des ouvrages pleins de mystères retrouvés au cours des siècles par l'Inquisition et les croisades dans les citadelles cathares et les forteresses d'orient. Avant la fin du repas je savais que je tenais là une histoire qui valait la peine d'être écrite.

Pour ce roman, vous avez choisi un sujet assez « chaud », cela a-t-il compliqué la publication ? Qu'est ce qui vous a poussé vers cette voie de la bataille entre le bien et le mal ? 
    Je n'ai envoyé le livre qu'à une seule maison d'édition qu'on m'avait vivement recommandé et encore le manuscrit n'était pas achevé. L'éditeur m'a rappelé le lendemain en me disant qu'il avait terminé de lire à 22 heures la veille et qu'il s'était réveillé en hurlant à une heure du matin. Donc non la publication n'a pas posé de problème même si depuis quelques temps la société semble se raidir et que l'Eglise opère un retour en force dans la conscience collective.  

 

Une question un peu indiscrète à laquelle vous n'êtes pas obligé de répondre : Etes-vous croyant ? Si oui, en quoi ou en qui ?
    Je crois profondément que l'homme a crée Dieu à son image et que, depuis les temps préhistoriques les plus lointains, les chamans, les sorciers, les druides puis les prêtres ont tenté d'enfermer le temps dans des sabliers pour gouverner les hommes. Le vrai pouvoir ce n'est pas l'argent ni les armes, c'est le temps. Mais je crois aussi et avant tout que l'univers n'est gouverné par aucune autre puissance supérieure à lui-même. Et quand bien même il y aurait eu un créateur, cela fait longtemps que sa création n'a plus besoin de lui pour fonctionner. Ce qui signifie qu'à mon sens il n'y a pas de forces vigilantes ni intelligentes à l'œuvre au-dessus de nos têtes. Simplement un gigantesque système autosuffisant qui obéit aux lois mathématiques et en particulier à celle de l'économie qui veut que rien ne se perde et que tout se transforme. Ce système n'a pas conscience de nous. Il ne nous veut aucun mal mais il ne nous veut aucun bien. C'est pour ça que nous avons inventé Dieu et le Temps. Pour donner un sens à ce qui n'en n'a pas besoin.


Dans L'Evangile Selon Satan, vous nous faites voyager à la fois de par le monde, mais aussi à travers le temps. Cela a du nécessiter un gros travail de documentation ?
    Pour réunir la matière de cette histoire, j'ai effectué des centaines d'heures de recherche dans les archives du Vatican ainsi que dans les grandes bibliothèques de la chrétienté.  J'ai aussi rencontré beaucoup d'ecclésiastiques et d'historiens de l'Eglise et j'ai enquêté en profondeur dans les milieux de l'exorcisme et du satanisme. J'en suis revenu (à peu près) indemne. La difficulté résidait surtout dans le fait de rendre abordable cette masse d'informations sans que cela freine trop l'action. D'où le personnage de Ballestra et, surtout, les visions de Marie qui permettent ces allers-retours en direct dans le passé.  


Quelles ont été les réactions du milieu ecclésiastique lors de la sortie de votre livre ? Vous avez du vous faire des tas d'amis (quoique le Vatican a mis un certain temps à réagir au Da Vinci Code)
    Je me souviens, pas loin de chez moi, de réunions que l'Opus Dei avait organisées dans les salles paroissiales pour expliquer aux gens pourquoi il ne fallait pas lire le Da Vinci Code. Je ne verrais aucun inconvénient à ce que l'Évangile subisse le même traitement même si, encore une fois, mon propos n'est pas la polémique. l'Évangile selon Satan est avant tout un roman, pas un brûlot.  Une petite anecdote tout de même : ma fille de dix ans va au catéchisme (c'est sa maman qui veut) et un jour que le prêtre demandait aux enfants « est-ce que quelqu'un connaît le nom des évangélistes ? », une forêt de petites mains s'est levée pour répondre : « Marc, Luc, Matthieu... ». Puis, alors qu'il ne restait qu'une seule main levée (celle de ma fille), le prêtre lui a demandé si elle connaissait un autre évangéliste. A quoi elle a répondu toute fière : « oui ! Satan ! ». Et devant le trouble du pauvre homme elle a rajouté « si j'vous jure, mon papa est en train d'écrire l'Évangile selon Satan ». Donc je suis déjà grillé...  

 

Les archives secrètes du Vatican sont au cœur de tous les mythes et de tous les fantasmes. Que peuvent-elles bien contenir réellement, à votre avis ?
    Beaucoup de poussière, de souvenirs et de regrets. Il existe une partie ouverte au public que l'on peut consulter assez librement pour autant qu'on soit muni des bonnes autorisations. A intervalles réguliers, les archivistes libèrent certains documents brûlants qu'ils jugent suffisamment refroidis pour être exposés. Mais la véritable sécurité autour de ces archives résident dans le fait qu'il faut parfois un ou plusieurs doctorats pour les déchiffrer et en comprendre le contenu. Pour le reste, les archives secrètes contiennent une partie de cette mémoire de l'humanité que l'Eglise a captée durant les siècles les plus sombres de son histoire où elle pensait que le savoir écartait les hommes de la sainte crainte de Dieu. Elles contiennent sans doute aussi des preuves que l'Eglise n'a pas tout dit. Ou plutôt qu'elle ne peut pas tout dire.


Qu'est-ce qui vous attire le plus ? Les manipulations et secrets de l'Eglise, ou la fascination pour le mal ? Ces deux thèmes sont de plus en plus présents dans les romans, cela est-il un reflet de notre époque ?
    Je suis très attiré par l'univers de Parks où la fiction se mêle en permanence à la réalité. C'est un cocktail intéressant pour créer l'effroi. Il faut d'abord parvenir à se saisir de l'imaginaire du lecteur sans qu'il s'en rende compte, puis il faut essayer de faire naître en lui des impressions qui vont peu à peu le déstabiliser. Exactement comme si vous vous retrouviez dans un univers habituel et réconfortant et que cet univers se mettait à déraper. Ça commence par un détail dans un coin du tableau puis ça prend de l'ampleur. C'est ce qui est très pratique avec un personnage comme Parks qui ne sait jamais elle-même si ce qu'elle voit est vrai ou si c'est encore un court-circuit quelque part dans les profondeurs de son cerveau. C'est là en fait où ça devient angoissant : quand vous ne parvenez plus à faire la part entre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Quant à appeler ça la fascination du mal je ne sais pas. J'ai de toute façon toujours trouvé le mal plus intéressant que le bien, en tout cas plus porteur et plus dramatique. Je n'aime pas les histoires qui se terminent bien et les héros qui gagnent à la fin. J'aimerais réussir un jour à mettre en scène le tueur en série le plus odieux et parvenir à le rendre sympathique aux yeux du lecteur non pas pour ce qu'il fait mais pour ce qu'il est. Un être cabossé qui cabosse à son tour. J'aime assez les personnages cabossés même si je ne les excuse jamais. En fait, quand je me promène et que j'aperçois la surface lisse d'un étang, j'aime y balancer une pierre et regarder les vaguelettes se creuser comme des rides sur de la peau. C'est mon côté sale gosse.  

 

L'Evangile selon Satan est souvent comparé au Da Vinci Code de Dan Brown : Honneur ou fardeau ?
    Ni l'un ni l'autre. Brown a un énorme talent et on ne vend pas autant de millions d'exemplaires sur un malentendu mais je ne me reconnais pas dans les théories du grand complot qu'il aborde. Pour moi il n'y a pas de manipulation ni de conspiration. Simplement une certaine somme d'erreurs très anciennes que le Vatican a du mal à rattraper. Bien sûr l'histoire de la chrétienté est émaillée de crimes impardonnables et de dérapages sanglants mais la religion catholique a aussi donné beaucoup d'espoir à l'humanité ainsi qu'un sens à l'existence des hommes. Paradoxalement, à force d'enquêter sans concession sur elle, j'avoue ressentir une sorte de respect mêlé de tendresse pour cette vieille dame qu'est l'Eglise. Je pense simplement qu'elle a fini par se prendre au piège de ses propres contradictions et qu'elle a parfois du mal à s'en dépêtrer.    

Que voudriez-vous dire aux lecteurs qui n'ont pas encore lu votre roman ? Et à ceux qui l'ont déjà lu ?

    A ceux qui ne l'ont pas encore lu je voudrais leur souhaiter autant de plaisir à le lire que j'en ai eu à l'écrire. A ceux qui l'ont déjà lu et qui l'ont aimé je voudrais dire merci. Aux autres qui ne l'ont pas aimé ou pas compris, je voudrais dire que j'y ai mis tout mon cœur et une bonne partie de mon âme.

 

Nous tenons à vous avertir qu'il existe un RISQUE DE SPOILER pour les deux questions suivantes! ;-)  

Quels sont vos projets d'avenir « littéraire » ? Pourrons-nous retrouver Marie et le Père Carzo dans une suite ? (Il faut dire que la fin de L'Evangile Selon Satan est plutôt "ouverte")
    J'entame depuis quelques semaines une longue série de déplacements pour mon prochain roman. Marie Parks est bien évidement de la fête. D'ailleurs je n'ai écris que soixante pages et la pauvre chérie est déjà dans une panade effroyable. Pour le père Carzo je ne sais pas encore. Je vais peut être le mettre en repos jusqu'au troisième roman. Je ne pense pas avoir envie d'écrire immédiatement une suite de l'Evangile. Ça se fera au troisième volume sous une forme dont je vous réserve la surprise mais où l'on replongera à la fois dans le passé et dans les arcanes du Vatican. Pour le prochain en tout cas je suis en train d'enquêter sur les vestiges archéologiques du bassin du Mississippi et en particulier sur des traces étranges que certains indiens précolombiens ont laissées derrière eux. Quelque chose qui s'est passé il y a plus de 11000 ans et qui continue à retentir dans le présent.

RISQUE DE SPOILER


Comment vous est venue l'idée de personnages comme Marie et le Père Carzo ?
    Marie est née dans une vieille maison en pierre, un soir de tempête à l'extrême pointe de la Bretagne. Nous jouions aux cartes avec trois couples d'amis en buvant du whisky japonais (le meilleur) et en fumant des plantes bios. A un moment de la soirée, un ami a proposé une séance de spiritisme. Une autre de nos copines, une médium, a refusé en argumentant que c'était dangereux et que nous risquions d'ouvrir une porte sur le monde des morts. Elle nous a expliqué que c'est ce qui s'était passé quelques semaines plus tôt pendant une séance qui avait mal tourné. Sans doute à cause du lieu qui avait été choisi et qui semblait particulièrement chargé en ondes néfastes. Devant l'accumulation des phénomènes paranormaux qui commençaient à échapper à tout contrôle, quelqu'un avait paniqué et la séance de spiritisme avait été interrompue sans que toutes les portes n'aient été refermées. Il y a eu un silence et j'ai demandé à ma copine ce qui s'était passé ensuite. Sans me regarder, elle m'a répondu que le lendemain, la personne qui avait rompu le cercle avait eu une attaque cérébrale et que depuis elle était plongée en coma dépassé. Je crois à ces choses-là. En tout cas c'est comme ça que Marie est née.

Pour le père Carzo c'est plus compliqué. Disons qu'il est la réunion de plusieurs personnages que j'ai eu la chance de rencontrer au cours de mes recherches. Des exorcistes assermentés et désignés par le Vatican. Des vrais. Ceux dont on n'entend jamais parler et qui travaillent dans l'ombre sans faire de bruit. Le genre de soldats de Dieu précocement vieillis par leur ministère que l'on expédie dans des maisons de retraite secrètes quand ils craquent ou quand ils sont eux-mêmes victime d'une forte possession. J'en ai rencontré trois en Italie et deux en France, dans la région de Marseille et au nord de Paris. Grâce à eux j'ai eu la « chance » d'assister à deux exorcismes particulièrement éprouvants.

Il faut bien comprendre comment ça fonctionne. Les exorcistes sont d'abord et avant tout des scientifiques qui abordent les phénomènes inexpliqués non sur le plan de la Foi mais sur celui de la science. En plus d'être prêtres et docteurs en théologie, ils sont souvent hautement diplômés en psychologie, en sociologie ou en mathématiques. Ce qui signifie que paradoxalement à leur ministère, leur premier réflexe est toujours de douter lorsqu'ils se trouvent face à un cas qui ressemble à une possession. Ils commencent toujours par vérifier qu'il ne s'agit pas d'un problème psychologique, d'une névrose ou d'une psychose, ou pourquoi pas d'une tumeur cérébrale qui expliquerait la dégradation de l'état psychologique du « patient ». Ils épuisent ainsi toutes les autres explications et parviennent de cette façon à apporter une explication rationnelle à plus de 98 pour cent des cas qu'ils rencontrent.

Mais quand il arrive que toutes ces explications scientifiques échouent, et surtout quand les « symptômes » maléfiques soigneusement définis par l'Eglise s'accumulent sans conteste possible, alors ils admettent la possession. A ce moment, et à ce moment seulement, ils cessent de réagir en scientifiques et enfilent leurs ornements sacerdotaux pour livrer bataille contre le mal.

L'un de ces exorcistes m'a expliqué qu'il existait une hiérarchie des possessions. Pour faire simple, on distingue les « tourmentations » qui sont des possessions légères et épisodiques. Puis viennent les « infestations » qui sont des possessions assez graves mais où le contrôle de sa personnalité par le sujet n'est pas remis en cause. Ensuite il y a les « invasions » avec dédoublement et morcellement plus ou moins important de la personnalité. Puis les possessions proprement dites qui mettent en cause des démons plus ou moins puissants, les plus dangereuses étant les possessions du troisième au premier cercle dans la hiérarchie démoniaque. Et enfin les possessions suprêmes ou sataniques, très rares, qui mettent en cause Satan lui-même ou Lucifer ou n'importe lequel des quatre puissants rois des Enfers. Je lui ai demandé s'il avait déjà été confronté à ce genre de possession suprême. Il m'a répondu que si tel avait été le cas, il ne serait pas là pour en parler. 

Qui sont vos écrivains ou vos derniers romans coup de cœur ?

     Stephen King sans réserve, surtout pour Ça et pour Simetierre. Dans un univers très éloigné du mien, mon dernier énorme coup de cœur va à Richard Morgan pour ses enquêtes de l'ex-Diplo Takeshi Kovacs et en particulier pour Carbone Modifié qui m'a laissé sans voix. Je suis horriblement jaloux du talent de ce mec. Je voudrais le kidnapper pour aspirer le contenu de son cerveau et me l'injecter. Sinon il y a Grangé que je vénère comme une divinité aztèque depuis que je l'ai découvert sur un vieux bateau rouillé sur lequel je faisais la traversée Venise-Izmir. Il a transformé quatre jours de mal de mer en quelques heures de bonheur. Qui d'autre ? Ah oui Brett Easton Ellis pour son immoralité totale. Un style très viande froide que j'adore. Pour finir cette liste (et j'en oublie des tonnes) quand j'étais plus jeune j'ai été stupéfié par le Seigneur des Guêpes de Ian Banks. Il faudra d'ailleurs que j'en parle à mon psy. Sinon pour le moment je relis la série des « Martine » avec ma fille. Mais pas trop parce que le monde de Martine m'effraie un peu.

Avez-vous des lectures à nous conseiller pour pousser plus loin dans la voie de L'Evangile Selon Satan ?

     Malheureusement non dans la mesure où les livres qui m'ont inspirés sont pour la plupart des manuscrits très anciens inaccessibles au grand public, soit parce qu'il faut un traducteur érudit pour les comprendre soit parce qu'il faut montrer patte blanche pour pouvoir les consulter.

Vous avez le mot de la fin ....

    Comme mot de la fin voici le premier jet à peine corrigé du début du prochain, rien que pour vos yeux.   

   Du même auteur sur Plume Libre : Biographie, chronique, interview    

                         


 

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