Ian Manook

Ian Manook





Janvier 2014




Ian Manook

 

 

Bonjour Ian Manook, commençons par le rituel de la première interview sur plume libre, pouvez-vous vous présenter ?
Comme j’aime le dire, je suis né dans la première moitié du dernier siècle du millénaire précédent. Ça veut dire que j’ai 65 ans et que j’ai été un parfait soixante-huitard : belles études et grands vagabondages de jeunesse. Pour le côté Closer, je suis marié, j’ai trois enfants et trois petits-enfants, et je bosse toujours dans la petite agence de pub que j’ai créée il y a vingt cinq ans et qui porte le nom que j’ai repris en pseudo : Manook


Quel a été le déclic pour vous lancer dans l'aventure de l'écriture d'un premier roman ?

Yeruldelgger n’est pas mon premier roman. C’est mon premier roman publié. J’ai toujours écrit et pendant trente ans j’ai accumulé des manuscrits inachevés, passant de l’un à l’autre au fil de mes (rares) temps libres et de mes (soudaines) inspirations. Ce faisant j’ai lassé la patience de ma plus jeune fille à qui je faisais lire ce que j’écrivais. Elle a juré de ne plus rien lire tant que je n’aurais pas achevé et publié quelque chose. Alors j’ai établi un programme d’écriture : deux livres par an, chaque fois dans un registre différent et avec un pseudo nouveau. La première année, ça a donné un essai sur les voyages (Le temps du voyage : petite causerie sur la nonchalance et les vertus de l’étape, chez Transboréal) et un roman pour la jeunesse (Les Bertignac, chez Hugo & Cie, prix Gulli du meilleur roman 2012). L’année suivante j’ai proposé un roman littéraire (Un roman brésilien, en cours de lecture chez les éditeurs) et un polar…Yeruldelgger.


Pourquoi avoir choisi le thriller ?
Comme je viens de l’expliquer, parce qu’il était dans mon programme d’écriture, tout simplement. Derrière étaient prévus une saga historique et un roman de société, mais en fait ça sera la suite de Yeruldelgger.


Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre roman Yeruldelgger ?
C’est un polar mongol, je crois qu’il n’y a pas de meilleure définition.


Vous avez publié sur internet, les dix raisons de ne pas lire votre roman, pourriez-vous nous en citer une bonne de le lire ?
Parce que je le vaux bien, parce qu’à mon âge c’est maintenant ou jamais, parce que ma maman est si vieille et que ça lui fait tant plaisir, parce qu’il me fait trouver de quoi payer mes impôts, parce que je suis un génie méconnu qui ne mérite pas de le rester…ou tout simplement parce que j’ai tout fait pour le construire et l’écrire de façon à donner du plaisir à ceux qui le liront.


Vous avez choisi comme titre le nom de votre personnage principal, pourquoi ce choix et quel est sa signification ?
Tous les prénoms mongols sont en général composés de deux mots. Chez les hommes, c’est en général très macho : cœur d’acier (Gantulga), mais aussi hache de fer, guerrier rouge etc. Il se trouve que Yeruldelgger est un vrai prénom composé autour de deux notions : celle de promesse, et celle d’abondance. J’ai trouvé que Promesse d’abondance était un beau prénom et un bon titre. Accessoirement c’était aussi un clin d’œil au destin pour que ce roman me rapporte une avalanche de droits d’auteur.


Yeruldelgger est un flic bourru au caractère bien trempé qui essaie de vivre avec ses blessures, on pourrait très bien trouver Yeruldelgger comme héros d'un polar new yorkais ou suédois, quelles ont été vos influences ?
Vous avez tellement raison que le personnage est en fait emprunté à un manuscrit inachevé dont le héros était un flic new-yorkais que j’avais appelé Donelli. Yeruldelgger est sa transposition physique dans ce polar.


Aviez-vous envisagé dès le départ que Yeruldelgger deviendrait une série ?
Non. J’ai laissé une ouverture possible à la fin, mais la notion de série est venue avec le bon accueil des lecteurs et de mon éditeur.


Qu'y a-t-il de vous dans Le personnage de Yeruldelgger ?
L’attachement aux racines et aux traditions comme lien social, l’amour des grands espaces, le respect des âges, et une ouverture sur des conceptions et des croyances autres que religieuse sur le pourquoi et le comment des hommes.


Yeruldelgger - Ian Manook Vos personnages secondaires sont également très développés et complexes, comment naissent-ils?
De façon très curieuse au fur et à mesure de l’écriture. J’ai une façon très particulière de construire mes romans (sentence un peu prétentieuse puisque je n’en ai encore publié qu’un seul !). Je pars d’une idée simple qui tient en quelques phrases. Ici par exemple : un polar mongol où un flic se trouve confronté à des crimes atroces sur fond de spéculations minières, crimes qui révèlent les côtés sombres d’un pays lumineux, et la part sombre du passé du flic. Puis je commence l’écriture par deux scènes que j’ai juste envie d’écrire parce qu’elles me plaisaient en elles-mêmes : ici, la découverte du petit corps sous le tricycle enterré dans la steppe, et le massacre des chinois. C’est alors seulement que les personnages secondaires apparaissent. Oyun par exemple, parce que Yeruldelgger étant présent sur une scène de crime à mille kilomètres de là, il faut bien un autre personnage pour gérer le massacre des chinois. Donc je développe Oyun par nécessité, en tissant les liens avec Yeruldelgger au fur et à mesure. Autre exemple, Je n’avais aucune idée du personnage de Gantulga avant la scène où Oyun entre dans la cage d’escalier pour essayer de suivre Saraa. Il se trouve juste que je prends plaisir à entamer un petit dialogue au cours de cette scène, et qu’un personnage en ressort, que j’intègre aussitôt aux scènes suivantes alors que trois ou quatre pages avant, je ne l’avais même pas imaginé…


Votre roman évoque les relations père / fille, comment avez-vous écrit ces passages ?
J’ai un sens oriental de la famille (je suis d’origine arménienne). Je suis très attaché à mes enfants même s’ils sont adultes aujourd’hui. La plus jeune a vingt quatre ans. Elle mène une vie d’artiste à l’étranger et elle est pour beaucoup, comme je l’ai raconté, dans le fait que j’ai mené au bout cette aventure d’écriture. Je suppose que tout ça imprègne mon écriture.

 

L'action de votre roman se déroule en Mongolie, comment s'est fait ce choix et comment avez-vous découvert ce pays ?
J’ai beaucoup voyagé dans ma jeunesse à travers des pays à l’atmosphère minérale. Islande, Patagonie, Alaska…j’aime cette nature un peu brute et sauvage sans être luxuriante, parce que je trouve que le caractère humain s’y révèle mieux. Nous avons fait en 2008 un voyage de cinq semaines en Mongolie parce que ma fille, qui y parraine un petit garçon depuis dix ans, voulait vérifier que l’argent qu’elle envoyait chaque mois était bien utilisé.


Dans son enquête Yeruldelgger est confronté à un groupuscule nazi, on peut-être étonné de trouver cette idéologie en Mongolie, est-elle vraiment si présente la bas et d'où vient elle ?

Non. Comme je l’ai longuement expliqué sur ma page Facebook, il ne s’agit que de quelques centaines de personnes, peut-être même quelques dizaines seulement. C’est spectaculaire parce que le bar dont je parle existe vraiment et que pour des occidentaux c’est choquant. Mais comme je l’explique aussi dans le livre, c’est une sorte de nazisme d’opérette, sans fondement idéologique. C’est en fait une image nationaliste que s’approprient ces petits groupes qui n’ont aucune connaissance historique de ce qui s’est passé en Europe, et encore moins des déportations. Eux traversaient, pendant ce temps, des moments tout aussi cruels d’une histoire lointaine dont nous ne nous sentions pas concernés.


On croise aussi dans votre roman des moines et leur enseignement, avez-vous l'intention de développer cette partie dans un prochain Yeruldelgger ?
Le Septième Monastère est une invention inspirée d’une histoire vraie, celle des moines guerriers de Shaolin. Ils joueront toujours un rôle à un moment où à un autre dans les aventures de Yeruldelgger parce qu’ils ont forgé, par leur enseignement, son caractère. Mais je n’abuserai pas d’eux pour faire de Yeruldelgger une sorte de héros mystique indestructible. Au contraire, j’ai bien l’intention d’exploiter les failles et les faiblesses de Yeruldelgger plutôt que ses forces.


La Mongolie est un personnage à part entière de votre roman, une véritable déclaration d'amour à ses paysages, son peuple nomade, ses traditions, pouvez-vous nous dire pourquoi et comment il faut découvrir ce pays ?
Il faut le découvrir vite parce qu’il change vite. Il faut retenir chaque belle chose que je dis de lui dans le livre, et chaque critique aussi. Et il faut s’imprégner des traditions avant d’aller dans ce pays où elles ont un rôle qui a tissé et tenu le tissu social pendant des siècles, et qui les voit aujourd’hui se déliter à vitesse grand V. Et il ne faut surtout pas abuser de l’extrême hospitalité des nomades. Si vous voulez avoir une idée plus complète de ma philosophie du voyage et de quelques souvenirs de voyage en Mongolie, lisez Le temps du voyage (Transboréal) que j’ai écrit sous le nom de Patrick Manoukian.


Quelle est la situation de la Mongolie actuellement?
Le pays est à un carrefour de son histoire. Ce qui n’a pas changé en huit siècles depuis Gengis Khan change ou disparaît chaque année un peu plus. C’est un pays improbable entre les mâchoires de la Russie et de la Chine.


Votre roman sera t-il en vente en Mongolie ? Avez-vous eu des retours de lecture de là-bas ?
J’ai reçu dernièrement un courriel très élogieux de la Librairie Papillon, librairie française d’Oulan Bator, et Yeruldelgger est au moins en vente en français dans cette librairie. J’attendais ce retour avec impatience et je suis très content qu’il confirme le bon accueil qu’avaient déjà réservés mes amis mongols à ce roman.


Pouvez-vous nous donner la vraie recette du thé au beurre salé ?
Les mongols utilisent du thé en brique qu’il faut émietter dans de l’eau à peine salée. Les Bouriates commencent dans de l’eau froide. Les mongols avec de l’eau chaude. Il faut aérer le thé en puisant avec une louche pour le reverser de haut dans la casserole. On verse ensuite le lait dans le thé en l’aérant toujours à la limite de l’ébullition. On le sert enfin en jetant dedans une petite noisette de beurre plutôt rance, ou en le saupoudrant d’une pincée de farine.


Quels sont vos projets ?
Je termine cette semaine la suite de Yeruldegger qu’Albin Michel devrait probablement publier en octobre prochain, et je vais attaquer de front le troisième et un autre roman.


Quels sont vos derniers coups de cœur littéraires , cinématographiques, musicaux ou artistiques ?
Je m’isole plutôt quand j’écris et j’essaye de ne pas voir, lire ou entendre des choses qui me marqueraient trop, de peur qu’elles ne m’influencent ou me fasse douter de moi. J’ai relu L’Arrangement d’ Elia Kazan, un de mes livres préférés. Et j’ai relu mes dix huit manuscrits inachevés pour choisir celui qui deviendra mon prochain roman.


On vous laisse le mot de la fin.
Je n’ai pas attendu pour écrire, mais j’ai trop attendu pour être lu, alors je veux rattraper le temps perdu. Et je suis vraiment étonné, dans le bon sens, par la communauté des blogueurs et le nouveau rapport qui s’instaure entre les auteurs et les lecteurs. Peut-être que c’était finalement le bon moment pour moi d’être publié.

 

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