Patrick Senécal

 

 
 
 
Patrick Senécal





Bonjour Patrick, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs français qui vont vous découvrir avec Le vide chez Fleuve Editions ?
J’ai 48 ans, je vis à Montréal, au Québec, avec ma femme et mes deux enfants. J’ai publié mon premier roman en 1994 et depuis, j’en ai publié 15. Mes histoires parlent toujours de la noirceur humaine, que ce soit à travers le thriller, le polar, le fantastique, ou carrément l’horreur. Trois films ont été tirés de mes romans.



Ce livre est sorti en 2007 au Québec. Pour sa sortie en France, avez-vous modifié votre texte d’origine ?
On a changé quelques expressions trop québécoises dans certains dialogues, pour les rendre plus compréhensibles. Mais essentiellement, c’est le même roman et il a conservé sa saveur québécoise malgré tout. Il n’était pas question qu’on ait l’impression de lire un roman européen, mais on voulait tout de même que le texte soit clair pour les lecteurs français.


Comment est né ce roman ?
D’une colère. La colère de voir le succès de la téléréalité qui, pour moi, est le symptôme d’une société de plus en plus vide et superficielle, qui cherche des réponses à son ennui existentiel dans des sensations fortes, mais furtives et vaines. J’ai voulu montrer que la télé-réalité représentait une sorte de vaste suicide mental collectif et j’ai poussé cette image jusqu’à ses limites.



Le vide - Patrick Senécal Le lecteur peut être déstabilisé dès la première page de votre roman Le Vide qui commence par le chapitre 21, pourquoi ce choix de construction ?
Si le roman avait été écrit en chronologie, il n’y aurait plus eu de suspense, puisque les vingt premiers chapitres expliquent le « plan » de Max Lavoie, tandis que les chapitres trente à quarante racontent l’enquête sur ce plan. J’aimais aussi l’idée que l’on découvre la réalité des personnages comme un puzzle, car l’humain est construit ainsi : par morceaux parfois éparpillés et contradictoires, mais qui finissent par former un tout quand on le connaît vraiment.


Le Vide est une fiction, mais l’Homme est surprenant, pensez-vous que ce genre de dérive pourrait arriver ?
Moi, je crois que le pire est toujours possible. C’est triste, mais c’est comme ça. Il y a trente ans, on n’aurait jamais cru voir un jour à la télé certaines émissions comme celles d’aujourd’hui, où tout le monde couche avec tout le monde, où on conspire contre d’autres personnes, où on doit passer des épreuves humiliantes, où des femmes doivent draguer des nains, etc, etc. Pour connaître une forme de célébrité, les gens sont prêts à repousser très loin les limites de la dignité humaine. Pour ce qui est de la finale apocalyptique de mon roman, il se passe des choses déjà aussi terribles en ce moment dans le vrai monde. C’est d’ailleurs horriblement ironique que mon roman soit sorti en France la même semaine que les attentats à Paris. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire un lien entre la finale de mon roman et ces tragiques événements. Ce malheureux hasard m’a vraiment bouleversé et m’a confirmé, hélas! que la réalité est souvent pire que mes plus sombres fictions.


Aujourd’hui trouvez-vous que les émissions de télé-réalité sont toujours aussi vides ?
Quel regard portez-vous sur les émissions de télé en général ?

J’écoute peu la télé. Je sais qu’il existe de très bonnes émissions, mais en général, elle m’exaspère. Le culte du vedettariat et du vide y est omniprésent. Ceci dit, une chose s’est vraiment améliorée à la télé: les télés-séries. Du moins, celles des Etats-Unis et de l’Angleterre (pour la France, je ne sais pas, on connaît très peu vos séries, ici, au Québec). En ce moment, des chaînes comme HBO proposent des trucs souvent plus audacieux que le cinéma. Ça, c’est intéressant. Au Québec, je trouve nos séries plutôt en retard, sauf quelques exceptions.


Auriez-vous écrit le même roman aujourd'hui ou auriez-vous été encore plus loin?
Franchement, je ne vois pas comment je pourrais aller plus loin! (rires) Disons que j’ajouterais sans doute l’élément Facebook, qui est maintenant omniprésent et qui est un autre phénomène qui participe au culte du vide et du narcissisme. Oui, Facebook aurait une belle place dans mon roman si je l’écrivais aujourd’hui...


Comment avez-vous écrit la scène qui a pour décor la Gaspésie?
C’est drôle, les gens se demandent toujours comment j’écris mes scènes les plus horribles. (rires) En fait, je les écris comme toutes les autres: je m’assure qu’elles soient claires, cohérentes, efficaces... La seule différence est que je me demande si la violence est utile, justifiée, porteuse de sens. Sinon, ce n’est pas intéressant. En général, donc, les premiers jets de mes scènes violentes (comme celle de la Gaspésie) sont encore plus sanglants, et quand je révise, j’en enlève un peu. Pas par censure, mais parce que si j’en mets trop, la scène deviendra grotesque, donc drôle et ridicule. Et une scène violente qui devient grotesque, c’est un échec total. La scène de la Gaspésie était très risquée de ce point de vue, elle pouvait facilement tomber dans le grand-guignol. Écrire la violence, c’est l’art de trouver l’équilibre. Et je suis conscient que cet équilibre est subjectif, que ce qui est justifié et efficace pour moi peut-être exagéré pour un autre. Mais si moi je peux défendre cette violence, si je peux l’assumer et y mettre du sens, alors je crois que cela marchera aussi pour plusieurs lecteurs. Si je veux trop en mettre plein la vue, si mon seul but est d’épater la galerie, alors ça ne marchera pas.


Les titres de vos romans sont toujours bien choisis car très évocateurs. Est-ce vous qui les choisissez ? Les trouvez-vous avant d'écrire votre roman ou s'imposent-ils une fois l'écriture achevée ?
C’est toujours moi qui les trouve. La plupart du temps, je les trouve dès le début. Pour Le vide, je crois que c’est ce qui est apparu immédiatement dans ma tête: le titre. Parfois, je trouve le titre en cours de route. Mais depuis deux ou trois romans, le titre s’impose difficilement. Je le trouve souvent juste à la fin, comme Faims, ou comme certains tomes de ma série Malphas. Et le roman sur lequel je travaille en ce moment, je n’ai absolument aucune idée du titre. Mais je veux quelque chose d’original, quelque chose qui ne fasse pas cliché du roman noir. J’évite des mots comme « sang » ou « noir » ou « fatal », ce genre de truc ringard. Je ne dis pas que tous les titres qui comportent ce genre de mots sont mauvais, mais ça n’arrive pas souvent.


Alors que Le Vide paraît en France vous sortez également un nouveau roman noir au Québec aux Editions Alire qui a pour titre : Faims, pouvez-vous nous présenter ce nouveau roman ?

C’est moins spectaculaire que Le vide, plus terre-à-terre, mais tout aussi sombre. Ça parle d’une petite ville tranquille où les gens mènent des vies en apparence heureuses, mais qui cachent au fond beaucoup de frustrations et de pulsions secrètes. Un cirque ambulant arrive dans cette ville et présente un spectacle qui incite les gens à assouvir leurs faims intérieures. Et comme par hasard, un meurtre est commis deux semaines après l’arrivée de ce cirque. Je parle donc ici de la noirceur du quotidien, qui est une sorte d’horreur qui nous ronge de manière plus discrète mais tout aussi destructrice. Je crois que ce roman appartient vraiment à un auteur de 48 ans qui se pose des questions très normales et très fréquentes sur la vie, le quotidien, le couple, l’ennui, la mort, etc.


Faims - Patrick Senécal Dans Faims, comme dans tous vos romans, vous allez loin, très loin, vous mettez-vous néanmoins quelques barrières, des limites à ne pas franchir ou n'avez-vous aucun tabou ?
Comme je l’ai dit plus haut, je n’ai pas de limites, sauf celles de l’efficacité et de la cohérence. En fait, je n’ai qu’un seul tabou : la violence aux enfants. Il y a parfois des enfants qui meurent dans mes romans, ou qui sont mal traités, mais je m’interdis de décrire avec précision leur mort ou leurs tortures. J’en serais tout simplement incapable.


Une fois encore dans Faims, aucun personnage n'est épargné, ils n'apparaissent pas forcément sous leur meilleur jour, vous ne croyez donc plus en la nature humaine ou est-ce une irrémédiable volonté de mettre en lumière le "côté obscur" de chacun d'entre nous?
Je crois que l’humain est capable du meilleur, mais cela n’est pas très intéressant à raconter, sauf exception. Mais je crois aussi qu’il est capable du pire, et cela, c’est intéressant à démontrer. D’abord, parce que cela fait de très bonnes histoires, et ensuite parce que cela nous oblige comme lecteur à jeter un regard au fond de nos propres ténèbres. Nous avons tous une bête en nous que nous devons apprivoiser et nourrir de temps en temps. Mais comment y arriver de manière civilisée et équilibrée? Nier l’existence de cette bête n’est pas une solution: cela mène à l’ennui, celui que décrit si bien Beaudelaire au début des Fleurs du Mal, ou alors à l’explosion. Dans mes romans, je montre des personnages qui ont basculé dans leurs ténèbres intérieures. Écrire là-dessus est pour moi une façon de dompter ma bête. Et j’imagine que pour mes lecteurs, lire ces histoires est leur manière à eux de dompter la leur. Et puis, écrire des romans pessimistes me permet ensuite d’être heureux dans la vie : j’évacue ma noirceur dans mes fictions.


Pouvons-nous espérer retrouver l'Humanus Circus ou certains personnages dans un prochain roman ou ne faisaient-ils que passer pour nous "remuer le bulbe" ?

Je ne sais jamais cela d’avance. Peut-être. On verra bien.


Un petit mot sur votre Reine Michelle Beaulieu ?
Quand je l’ai créée en 1994, je n’avais pas prévu qu’elle reviendrait dans deux autres romans (Aliss et Faims). Je ne sais pas pourquoi elle revient, comme ça. Je crois qu’elle me fascine. J’ai l’impression que son absence totale d’empathie et de morale va finir par la conduire dans un mur et on dirait que je veux découvrir ce que sera ce mur. Dans Faims, elle l’a presque rencontré... et finalement, non. Peut-être qu’inconsciemment, je veux qu’elle revienne encore dans un autre bouquin...



Vous avez écrit deux romans jeunesse, d'autres projets dans cet univers ?
J’ai écrit deux romans pour enfants pour mes deux enfants qui étaient jeunes à l’époque. Ma motivation, c’était eux. Maintenant qu’ils sont ados, je n’ai plus tellement de motivation pour retourner dans ce monde. Mais depuis quelques temps, beaucoup d’enfants me disent avoir adoré mes deux romans pour jeunes et me demandent s’il y aura une suite. Alors j’avoue que depuis quelques mois, ça me chicote. Peut-être d’ici deux ans... Il faut que j’ai une idée. Et une idée, ça ne se commande pas si facilement.


L'attente pour les lecteurs est longue entre deux romans, le prochain est en cours, une estimation de date à nous donner pour nous faire languir ?
En général, je sors un roman par année. Si tout va bien, le prochain devrait sortir à l’automne 2016.


Avez-vous des projets d'adaptations cinématographiques de prévus ?
Au Québec, faire des films est hyper compliqué. Donc, oui, il y a pas mal de projets: Hell.com, Le vide, Le passager... mais tant qu’on n'a pas les subventions pour les tourner, rien n’est sûr. J’ai le temps d’écrire quatre romans le temps qu’un film se réalise, alors... Je préfère de loin écrire des romans que des films. C’est moins frustrant, et on est plus libres.


Viendrez-vous de nouveau prochainement en France ?
Je serai au Quais du Polar à Lyon au printemps prochain. Et aussi au prochain Salon du livre de Genève.


Et vous Patrick, de quoi avez-vous Faims ?
Un peu comme tout le monde: de liberté, d’émerveillement et de plaisir. Heureusement que je trouve un peu de tout ça dans l’écriture. J’ai eu longtemps faim d’un monde équilibré, où régnerait la tolérance, la justice et le regard critique. Mais franchement, je n’y crois plus tellement.


Merci Patrick, on vous laisse le mot de la fin.
J’ai très hâte de rencontrer des lecteurs Français ce printemps !



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