Karine Giebel

 


Karine Giebel - Salon du livre 2011

 

Karine Giebel, votre nouveau roman les Morsures de l'ombre, vient de paraître aux éditions Fleuve Noir. Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours pour arriver jusque là ?

J'ai 36 ans, je suis née dans le sud, plus précisément dans le Var où je vis toujours. Scolarité sans histoire, études de droit et petits boulots dans le même temps... Jusqu'à trouver un travail stable, mais pas forcément celui que j'aurais voulu, bien sûr. Quant à l'écriture, elle a toujours été là... C'est une histoire ancienne. Ecrire, c'était (et c'est toujours) un remède. Les mots remèdes aux maux, sans doute... Et puis un jour, envie d'aller plus loin, envie d'écrire (et surtout de finir) un roman. Pour moi, pour mon plaisir. C'est vite devenu une dévorante passion. Une sorte de drogue. Ensuite, on se dit : maintenant que le bouquin est fini, pourquoi ne pas le proposer à des éditeurs ? ça semble une suite logique... Ne serait-ce que pour avoir l'avis d'un pro sur ce qu'on écrit. Manuscrit refusé de partout, bien sûr ! Et, la plupart du temps, jamais lu... Mais ça, c'est la règle du jeu, le fameux parcours du combattant ! Ceci dit, ça ne m'a pas découragée, j'en ai écrit un deuxième ; là, Jacky Pop qui dirigeait Rail Noir à l'époque, m'a remarquée et m'a demandé de lui écrire un roman pour sa collection... Terminus Eliciusest né et, en 2004, le bonheur d'une première publication m'est tombé dessus...

 

Quelles sont vos influences littéraires ou cinématographiques ? De l'univers de quel auteur vous sentez-vous la plus proche ?
Ce qui est assez curieux, c'est que je ne lisais que très peu de polars avant de me mettre à en écrire... Maintenant, j'en lis davantage, mais il me reste énormément d'auteurs à découvrir dans ce domaine, qu'ils soient Français ou étrangers ! Beaucoup de retard à rattraper, de lacunes à combler. Par contre, j'ai toujours aimé le polar au 7ème art. En ce qui concerne les auteurs qui m'ont marquée, je peux citer sans hésiter John Steinbeck, Henri Troyat, François Mauriac, Elsa Triolet, Maupassant, Richard Wright, Gilbert Cesbron, JP Sartre... J'en oublie, c'est certain ! En vérité, le polar s'est imposé à moi au moment où je me suis lancée dans la création de mon premier roman : mon écriture est noire, très sombre. En outre, j'ai découvert que j'aimais créer le suspens, construire une intrigue... Et puis, le polar est un genre proche de la société, qui n'est pas nombriliste, qui a des choses à dire...

 

Comment décririez-vous vos deux premiers romans Terminus Elicius et Meurtres pour rédemption ?
Ils sont assez différents l'un de l'autre, je crois. Terminus Elicius est un polar qui met en scène une femme psychologiquement perturbée, fragile, en proie à des phobies, à un dédoublement de personnalité, à un manque total de confiance en elle... Elle est persuadée qu'aucun homme ne la remarquera jamais... Mais elle se trompe, puisqu'elle trouve un jour une lettre, véritable déclaration d'amour enflammée, signée Elicius, pseudonyme emprunté à un Dieu. Le seul problème, c'est qu'Elicius est un tueur en série... Et qu'elle est confrontée alors à une dilemme effrayant : le dénoncer, en risquant sa propre vie ? Le dénoncer, alors qu'il l'aime ? Ou le rejoindre en fermant les yeux sur les atrocités qu'il commet ?... Quant à Meurtres pour Rédemption, c'est un roman noir à suspense, beaucoup plus long et plus violent. Violent, car il aborde le sujet de l'incarcération et que j'ai voulu que s'y reflètent la réalité et l'horreur de ce qui se passe dans les prisons de notre pays... C'est l'histoire d'une toute jeune femme condamnée à la perpétuité pour des crimes particulièrement odieux. Elle vit une incarcération difficile parce qu'elle ne parvient pas à se plier aux règles qui régissent cet univers et attire sur elle les foudres de ses codétenues ou des personnels pénitentiaires. C'est une rebelle, dangereuse, écorchée vive, incapable de se maîtriser. Un jour, la possibilité d'une sortie s'offre à elle. Mais le prix à payer pour cette libération semble terrible. Va-t-elle l'accepter ? Le refuser et renoncer à la liberté ? Aura-t-elle vraiment le choix, d'ailleurs ?...
 

On retrouve dans les Morsures de l'ombre des thèmes communs à vos précédents romans : Un personnage de femme à forte personnalité, l'enfermement, la violence, la loi du talion...

Il est vrai que certains thèmes se retrouvent, d'un roman à l'autre. Il paraît que les auteurs ont souvent des obsessions ! D'ailleurs, je pense que tout le monde nourrit des obsessions... Alors, autant les utiliser pour écrire. Mais je crois, j'espère, avoir su les traiter de manière différente et plonger le lecteur dans des ambiances nouvelles à chaque lecture. Et puis, il me reste tellement de thèmes à aborder dans l'avenir...
 

Commençons par vos personnages féminins qui ont tous une épaisseur, une force et une personnalité rarement vues dans le polar. Est-ce une démarche volontaire de votre part pour dire que les femmes aussi peuvent rivaliser avec les hommes dans des domaines ou d'habitude on les attend moins : la force physique, la violence ? Est ce une sorte de message féministe de votre part ?

C'est vrai que les personnages principaux des polars sont souvent masculins ! Mais je n'ai pas consciemment songé au « message féministe » que vous évoquez. J'ai simplement dit ce que j'avais envie de dire et j'ai créé des personnages qui me semblaient intéressants à développer, à « étudier », à faire vivre. D'ailleurs, dans les Morsures de l'ombre, le héros est un homme : le personnage masculin tient une place plus importante que son ennemie ! Et puis, les trois héroïnes présentes dans mes romans (Jeanne, Marianne et Lydia) ne se ressemblent pas tant que ça... Je ne pense pas que Jeanne soit de la même trempe que Marianne ! Quant à la force physique, elle ne caractérise que Marianne dans Meurtres pour Rédemption, et encore, il s'agit plutôt de « technique » en l'occurrence. Ceci dit, pour répondre mieux à votre question, je crois qu'effectivement il n'est jamais inutile de tordre le cou à certains préjugés qui ont la vie dure...
 

Vos personnages ont tous une dualité importante, jamais vraiment entièrement bons ou entièrement mauvais, ils sont tous des anti-héros. On souffre avec eux mais on se réjouit aussi à certain moment de leur souffrance. Cette dualité est -elle essentielle pour vous à l'écriture de vos personnages ? Pensez- vous qu'il y a toujours une rédemption possible ou au contraire que le mal est au fond de nous et reprend toujours le dessus ?

C'est évident, mes personnages ne sont jamais tout blancs ou tout noirs. Comme dans la réalité, en fait. Personnellement, le héros parfait, qui fait toujours le bon choix, au bon moment, me semble fort ennuyeux pour le lecteur ! Et j'imagine qu'il doit aussi l'être tout autant pour l'auteur. Créer des personnages complexes, à multiples facettes, les explorer en profondeur, c'est vraiment un exercice passionnant pour moi. La dualité que vous évoquez est une richesse à exploiter, une véritable mine de pierres précieuses... Et puis, c'est un pari plus difficile de rendre attachant un personnage qui, de prime abord, est « mauvais », comme Marianne dans Meurtres pour rédemption. Rendre un héros-parfait attachant, c'est plutôt aisé ; rendre un ou une criminel(le) attachant(e), c'est beaucoup plus dur ! C'est risqué et ça me plaît... Quant à la dernière partie de votre question, cher Stfoch, il serait long d'y répondre de manière exhaustive ; c'est carrément un sujet de philo pour le bac !! Je pense que, comme mes personnages, nul n'est vraiment blanc ou noir. Je pense que le mal (mais encore faudrait-il le définir avec exactitude ?) est sans nul doute présent en chacun de nous et peut s'exprimer de différentes manières en fonction des individus. A différents degrés, aussi. Tout le monde peut accomplir des choses formidables, exceptionnelles. Mais tout le monde peut, un jour ou l'autre, commettre des choses beaucoup moins belles... C'est en fonction des circonstances, des aléas, des épreuves subies... De ce que la vie réserve. Et de la nature de chacun.
 

Pour pousser au bout d'eux même vos personnages, vous les confrontez à l'enfermement soit psychologique ou physique. La privation de liberté devient-elle un révélateur de leur nature profonde ? Jusqu'où avez-vous poussé vos recherches sur le sujet ?

Les seules recherches poussées ont été faites à l'occasion de l'écriture de Meurtres pour rédemption, sur le milieu carcéral. Mais je n'ai jamais effectué de recherches sur l'enfermement à proprement parler. Oui, l'enfermement ET la liberté sont des thèmes qui m'intéressent. Ils vont de pair, bien entendu ! Qu'est-ce que la liberté ? Vaste sujet ! Vous avez raison, l'enfermement ou la privation de liberté, sous toutes ses formes (aliénation, dépendance, etc...) sont souvent l'occasion d'un retour sur soi-même, d'une introspection ; ça peut aussi être l'occasion de « tomber le masque »... En tant qu'auteur, ils sont pour moi un alibi parfait pour dévoiler mes personnages.
 

La violence est un autre élément important de votre univers, en effet dans votre dernier roman la loi du talion y est abordée. Avez-vous rencontré des réticences dans les maisons d'éditions par rapport à ce sujet ? Vous a- t- on demandé d'alléger cette violence pour être éditée ?

Non, on ne m'a jamais demandé d'alléger quoi que ce soit dans mes romans. En ce qui concerne Meurtres pour rédemption, mes directeurs de collection Rail Noir m'ont simplement conseillé de déplacer certaines scènes ou de mieux les expliquer, de les approfondir. Je suis d'accord pour retravailler autant que nécessaire un roman en fonction des remarques de l'éditeur si elles me paraissent pertinentes, car je n'ai pas du tout la prétention d'avoir la science infuse ; aussi, un regard extérieur sur mon travail est toujours précieux. Mais en ce qui concerne les thèmes à aborder ou une éventuelle censure, ce n'est pas la même chose... J'ai eu la chance, jusqu'à présent, de jouir d'une totale « liberté d'expression » ! Et je ne suis pas prête à y renoncer... Les seules barrières, c'est moi qui me les impose. Et personne d'autre.
 

Pensez-vous que le thriller soit une forme littéraire adéquate pour explorer ce genre de questionnement éthique, telle que la vengeance ?
Le thriller, le polar en général, permettent de traiter tous les sujets, tous les questionnements. Pour moi, le polar, ce n'est pas seulement du suspens ou une enquête policière. C'est beaucoup plus que ça... Sincèrement, je ne vois aucun thème qui ne puisse être abordé dans le polar.

Qu'est-ce qui vous attire dans la violence ? Son origine ? Les formes qu'elle peut prendre ? A quel moment on peut y tomber... ?
Je ne suis pas spécialement « attirée » par la violence, contrairement à ce que vous pouvez penser. La violence fait partie de la vie, comme tout autre chose. Donc, elle a sa place dans un polar, en fonction du thème choisi ou des situations décrites. Par exemple, dans Meurtres pour rédemption où j'évoque le milieu carcéral, je ne voulais pas édulcorer la réalité. C'est un milieu violent, brutal ; le livre tente de refléter au mieux cette cruelle réalité. La violence peut prendre plusieurs formes, oui : physique, verbale, psychologique, sociale. Elle peut même simplement être présente dans les sentiments. Et la violence, sous divers aspects, est en chacun de nous. Cachée ou à la surface. Ceci dit, je ne suis pas une adepte de la violence gratuite ou de la complaisance. Ça doit cadrer avec le sujet, avec l'histoire. Ce n'est pas un effet de style. D'ailleurs, Terminus Elicius n'est pas à proprement parler un roman violent ou « gore ». Je trouve aussi qu'il y a plusieurs manières de traiter la violence et je crois qu'elle doit s'accompagner d'une certaine compassion, d'une certaine empathie.

 

Vos romans sont de véritables coups de poing. Les lecteurs en sortent toujours un peu sonnés par les sujets abordés et votre style percutant. Pensez-vous pouvoir aller encore plus loin ? Quel serait votre but ultime ?
Mon but ? Continuer à améliorer mon travail, continuer à surprendre le lecteur. Même si certains thèmes peuvent revenir d'un roman à l'autre, j'essaie de les aborder de manière différente, sous un angle différent. Et il y en a encore beaucoup qui me tentent pour l'avenir !

Votre écriture est très visuelle, des rôles très forts. On pense forcement au cinéma. Est-ce un domaine qui pourra vous attirer ?
Oui, bien sûr. D'ailleurs, cette remarque revient souvent à la lecture de mes romans ! Serait-ce un signe ?! En tout cas, j'aime le cinéma, alors forcément...


Quels sont vos coups de cœur actuellement en littérature, cinéma,... ? Quel roman auriez-vous aimé écrire ?
Le livre que j'aurais aimé écrire ? Puisqu'il faut n'en choisir qu'un, ce serait Des souris et des hommes, de John Steinbeck. J'ai lu dernièrement un excellent roman signé Henri-Frédéric Blanc : les Pourritures Terrestres, aux éditions du Rocher. Au cinéma, rien de ce qui passe actuellement dans les salles ne m'a vraiment interpellée...

 

Quels sont vos projets ? Faut-il s'attendre que vous changiez éventuellement de registre, et que vous abandonniez le thriller ?
Changer de registre ? Oui, je meurs d'envie de me lancer dans l'écriture de romans pour la collection Harlequin !!! Non, plus sérieusement, pour le moment, je trouve que le domaine du polar ou du thriller -bref, le noir- est suffisamment vaste à explorer. Et je m'y sens plutôt bien. Niveau projets en cours, je n'en dirai rien, car je n'aime pas parler de mes romans avant publication.

 

Le lectorat du polar est en pleine expansion grâce à la qualité des auteurs actuels mais aussi par le nombre croissant de salons spécialisés et la nouvelle forme de communication qu'est Internet. Quel regard portez-vous sur ses rencontres réelles ou virtuelles ?
Rencontrer les lecteurs sur les salons, c'est souvent une expérience enrichissante. Surtout quand ils ont lu un de vos bouquins et viennent vous en parler... C'est très fort ! Parfois émouvant, même... Découvrir les impressions des lecteurs sur le net, c'est aussi très intéressant. De toute façon, ce sont eux (les lecteurs) qui m'encouragent à continuer dans cette voie, car le doute est toujours présent... Il ne me quitte jamais. Lorsqu'ils aiment un roman, c'est la plus belle des récompenses.

 

Vous avez le mot de la fin.
Vos questions sont redoutables, stfoch... ! En tout cas, j'aime beaucoup le site Plume Libre et lui souhaite longue vie.
 
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