Gwen Orval

 





 Octobre 2007




 

Bonjour Gwen Orval, vous sortez Nord Western dans la collection Polar en Nord. Avant de parler de votre roman pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous décrire votre parcours ?

Avec plaisir! Je suis Gwen Orval, j'ai 29 ans et suis nordiste. J'ai eu une formation littéraire au lycée, avant de faire mes études à l'Institut d'Etudes Politiques de Lille. J'ai ensuite écumé les concours de la fonction publique. J'ai décroché le concours de directeur d'hôpital. J'ai passé deux années à Rennes, à l'Ecole Nationale de la Santé publique. J'ai passé mon temps libre à lire, j'y ai découvert le polar via Ellroy et Izzo.

Ensuite, avec mon premier manuscrit en poche, j'ai tenté d'approcher les éditeurs. En vain! Loin de m'écoeurer, ces refus ont été effacés par le désir que j'avais de faire vivre mon personnage, héros anonyme évoluant au fil du temps, de ses rencontres et de ses deuils. J'ai vécu avec lui durant quatre années, et c'est avec lui que j'ai sorti Leçon de ténèbres, chez L'harmattan. Ensuite, j'ai écrit deux autres livres, dont Nord Western. Ma collaboration avec Gilles Guillon, le gourou ;-) de Polar en Nord, tient à un encart paru dans le magasine Nord à propos des éditeurs régionaux. Je lui ai fait parvenir un premier manuscrit, qui se déroulait dans les Alpes. Gilles était intéressé dans le cadre de l'extension géographique possible de sa collection, mais il voulait du nord pur et dur, d'où Nord Western.

 

 
Pouvez vous nous présenter Nord Western ?

         Nord Western est le récit d'une errance, celle de paumés au grand coeur qui tentent de retrouver pied dans une réalité économique qui les dépasse. Le personnage central est un ancien mercenaire. De retour d'ex-Yougoslavie où il a tout perdu, il tente de se reconstruire affectivement. Seul écueil: le centre de sa vie d'avant, le café des arts, a été racheté par un entrepreneur immobilier véreux. Le tenancier et ami, Jean, a disparu. C'est l'histoire de cette quête d'un monde meilleur au travers des yeux de ces hommes et femmes sans regrets no remords que j'ai voulu faire partager au lecteur.


 
Nord Western peut être classé comme un polar social digne successeur des romans de  Frédéric H Fajardie ou Jean-Claude Izzo. Est-ce une filiation que vous revendiquez ? Quelles ont été vos influences ?

        La situation sociale de mes personnages n'est pas neutre en effet. Je ne souhaite pas uniquement bâtir une enquête, mais aussi rendre compte des conditions de vie dans le nord et de la manière dont la souffrance, la peur et l'inquiétude sur le lendemain peuvent générer un sens plus aigu de la justice et une quête du bonheur. C'est un pied de nez aux considérations sur le déterminisme de la pauvreté: les laissers pour compte de la société sont de superbes héros, ils se jettent dans la bataille avec leur espoir pour seule arme, et en mettant en jeu leur seul capital, c'est à dire leur vie. Mes écrivains français préférés sont Pagan et Izzo. L'un et l'autre manient à la perfection, avec un vocabulaire simple et juste, une atmosphère désespérée, non pas au sens nécessaire d'un cul de sac psychologique, mais comme la porte ouverte à un dépassement des conditions ordinaires de l'existence: la fin des espérances marque chez le personnage principal de Nord Western le début d'une ascèse et d'une remédiation progressive aux souffrances qui l'accaparent: la disparition de son ami, l'enquête sur la jeune fille disparue, la captation et l'appropriation de son passé, de ses erreurs, la quête d'une vie sentimentale stable.


 
Quelle est votre méthode de travail pour l'écriture de vos romans ? Nord Western est une histoire riche, dense qui aurait pu se décomposer en deux parties. Pourquoi le choix d'un seul roman de 384 pages ?

         La crainte de la page blanche sans doute! Comme vous l'avez justement remarqué, la trame est une hélice d'ADN modélisé, où les parcours intérieurs et extérieurs se recoupent sans cesse. Ce choix vient du souhait de nouer intrigue et roman social. J'ai choisi de laisser l'un des personnages secondaires, Michel, l'un des compères du héros dans son aventure yougoslave, mener sa petite enquête dans le milieu des clandestins et de la construction immobilière. Ce personnage, je l'avais effleuré dans Bora, ce manuscrit laissé dans un tiroir. Avec Nord Western, je souhaitais avancer en compagnie de personnes attachantes, d'un abord rude mais plein de fond. Michel cache sous une armure d'indifférence savamment entretenue une sensibilité à fleur de peau. Je ne pouvais pas le cantonner à un rôle de porte flingue. L'histoire est donc passée de une à deux voix. Et encore, pour l'anecdote, Nord Western tel qu'il se lit en version officielle était en fait plus épais de cent pages en unplugged, retraçant le retour dans le Nord du héros et faisant intervenir de manière encore plus conséquente les deux soeurs italiennes recrutées par Michel pour braquer la tanière de l'exploiteur immobilier!

            Ma méthode de travail pour ce livre est quasi inexistante, j'ai progressé au fil de la plume: je suis parti avec l'idée de faire revenir le héros dans le Nord, et ensuite, je me suis demandé pourquoi y faire. J'ai retracé les biographies des personnages qui m'intéressaient le plus, et j'ai noué les fils de l'intrigue, reprenant, raturant... Rien n'était prévu à l'avance.

 

Votre roman met le doigt sur quelques dérives de la société actuelle : l'extrémisme, les ravages de la guerre, l'abandon des anciens par leur famille, les magouilles immobilières et politiques...Le constat est plutôt noir sur celle-ci. Est-ce que pour vous, le polar est un moyen pour dénoncer ces choses là ? Pensez-vous que le polar a aussi un rôle de réflexion ?

        Le polar américain s'est construit depuis Hammet sur la dénonciation des dérives de notre temps. Le livre est souvent pour l'auteur le moyen de transcender ses frustrations notamment sociales en dépeignant les faits subits, autant qu'en attribuant à son héros des travers ou une grandeur d'âme qu'il élève en exemple. Le polar s'inscrit donc à mes yeux dans cette dimension, même si je peux concevoir que d'autres écrivains le considèrent comme un exercice de style. Quand au rôle de réflexion, c'est en effet la fonction première du livre. Je n'ai pas envie de commettre des bouquins de détente, mais de plonger le lecteur dans une ballade au froid et au noir, pour l'amener à longer des récits de vie qui prennent aux tripes. Les hommes de Nord Western sont des éclopés comme on en croise fréquemment dans les villes qui entourent la périphérie lilloise. Ils ont une vie, ont nourri des rêves. Je propose au lecteur d'en savoir un peu plus sur eux et de s'élever, non pas en considérant la misère des autres, mais en apprenant à reconnaître et à apprécier l'humanité et la dignité qui se niche dans tous les hommes et toutes les femmes tant qu'ils ont décidé de se battre.

 

 
Une bonne partie de votre roman se déroule dans le Nord. Quelle a été l'influence de cette région sur l'histoire de votre roman ? Sera-t-elle présente dans vos prochains romans ? Quels sont vos projets ?

        Les lieux influencent mon récit en y apportant la touche de féerie morbide nécessaire à l'intrigue. Les squats tourquennois, les usines en friche et les autoroutes désertes du sud lillois sont un imaginaire urbain superbe, il faut savoir tirer partie de cette touche dramatique et la transposer dans le quotidien des héros. Sur mon prochain roman, il y aura encore une dimension nordiste. Je suis actuellement à l'oeuvre sur un polar valenciennois, mais je préfère ne pas vous en dire d'avantage. Je me projette déjà sur le roman suivant, entre autofiction et roman noir. Je ne sais pas si la dimension intrigue sera encore là. À suivre!

 

 
Votre personnage sans identité, les règlements de compte et le titre Nord Western, font penser à l'univers cinématographique dont les westerns de Sergio Leone. Vous ont-ils  influencé pour ce roman ? Quels sont vos films coup de cœur ?

 
        Dans mes bras, cher Stéphane ! Vous avez cerné l'un des ressorts essentiels du roman, qui est sa dimension temporelle effectivement empruntée à Leone. L'attente du train au début d'Il était une fois dans l'ouest m'a profondément marqué quand j'ai vu le film pour la première fois. Je venais de comprendre que le temps long et le tragique ne sont pas antinomiques. Il peut y avoir achmée dramatique et absence d'action, voire négation de l'action. Ainsi du récit final des deux soeurs siciliennes dans Nord Western. Elles mettent en scène sous la neige une fusillade entre un gardien scrupuleux et une fille en imper et fusil à pompe, sauf que la confrontation n'aura jamais lieu, pour le plus grand bonheur de tous. Mes films coups de coeur, sans surprise, sont donc tous ceux qu'a fait Sergio Leone, avec une préférence pour ceux dans lesquels apparaît Eastwood, avec son cigarillo et son Colt argenté!

 


Quel est le livre que vous auriez aimé écrire ? Et quels sont vos conseils littéraires du moment ?

          Le grand nulle part, d'Ellroy! Quelle perle, quelle théâtralité. Je n'ai jamais rien lu d'autre dans lequel la petite musique de l'amertume, de l'incertitude et de la violence sont à ce point noués. J'aurais aimé avoir le talent littéraire de l'auteur du quatuor de LA. Mes conseils littéraires du moment sont dons Houellebecq. J'adore ce mélange de théories scientifiques simplistes, de considérations schopenhaueriennes et de registres lexicaux passant du rapport d'audit au dictionnaire des gros mots. Je suis un inconditionnel de l'auteur, et je relis à intermèdes réguliers tous ses écrits, pour me mettre en jambe et me rassurer aussi: il n'est pas nécessaire d'avoir l'idée du siècle pour écrire un livre, mais il faut un style sans lequel rien n'est envisageable. Un seul regret: son manque de prolixité.

 

 

Y a t'il d'autres formes d'écriture (scénario télévisuel, cinématographique ou de bandes dessinées, paroles de chansons...) ou artistiques qui vous attirent ?

           J'ai tenté le cinéma (rires) enfin disons que j'ai écrit un scénario de film. Je l'ai envoyé au CRRAV à Roubaix, je suis allé les voir. On m'a bien accueilli, souhaité de ne pas me perdre sur le chemin du retour. Mais comme le disent Curry et Coco, groupe de rock lillois connu du petit nombre, « comme on est le meilleur groupe de rock du monde il ne peut rien nous arriver ». Donc j'attends mon heure! (Nouveaux rires sans espérance)

 

Merci, on vous laisse le mot de la fin

           Rien n'est jamais acquis. Ça vous va? Sinon, j'ai en tête la phrase d'un ami que l'ami du héros de Nord Western, Michel, n'aurait certainement pas renié: « Au pire, ils te disent que t'es nul. Et en admettant que c'est vrai, et alors? Qu'est-ce que ça change? Mettons que c'est vrai que tu sois nul, que tu sois le roi des cons... Peut-être, mais celui qui a écrit le bouquin c'est toi. Donc ils se la ferment ». Notez la construction stylistique de type hypothético déductive par l'absurde, et l'intérêt littéraire également: vous pouvez remplacer « a écrit le bouquin » par ce que vous voulez, notamment (surtout) au travail. Je ne vais pas plus loin sinon les gens vont me prendre pour un misanthrope. Je remercie donc toute l'équipe de Plume Libre pour le boulot considérable que vous faites pour le roman noir, et aussi pour avoir été les premiers à vous intéresser à Nord Western. A plus!

 

Ses romans chroniqués:



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