Jérôme Camut et Nathalie Hug

 

 
 
 
Jérôme Camut et Nathalie Hug




Bonjour, Nathalie et Jérôme, cela fait maintenant un peu plus de dix ans que vous écrivez à quatre mains, quel est votre regard sur votre collaboration et en quoi a t-elle évoluée ?
Les années passent et le métier rentre. En d’autres termes, on commence à prendre de la bouteille. Plus sérieusement, notre collaboration s’affine roman après roman. Ça signifie que certains des écueils d’avant n’arrivent plus et que les rôles sont distribués plus précisément. Nous sommes différents dans notre façon d’aborder l’écriture, quand l’un de nous préfère les mises en situations ou travailler le premier jet, l’autre adore réécrire, découper, peaufiner les dialogues et ciseler le rythme. Notre écriture est entremêlée, comme nos vies.
Sinon, nous écrivons toujours des histoires qui nous plaisent à mille pour cent, et inventons des personnages dont la plupart rentrent dans nos souvenirs comme des membres de la famille. D’ailleurs, maintenant que nous en sommes au quatorzième roman à deux, ça fait beaucoup de bouches à nourrir et les réunions de familles sont parfois houleuses.


Comment fonctionnez-vous pour la création et l’écriture d’un roman ?
L’idée première d’un roman jaillit du cerveau d’une des deux facettes du Camhug. C’est grosso modo l’unique chose que nous ne partageons pas. ( Le cerveau !) Ensuite, tout est discuté, argumenté à deux, il n’y a pas de compromis entre nous. On n’a jamais contractualisé cet aspect de notre travail, mais le fait est, ça doit tenir à nos personnalités. Pas de compromis concernant une direction que doit prendre l’histoire, ou ce qui va arriver à l’un de nos personnages. Le compromis, ce serait bancal et les lecteurs le verraient. Alors on discute et la meilleure idée (selon nous) l’emporte. Pas d’engueulade non plus, ce n’est pas notre truc. Il y a du respect entre les Camhug. S’il arrive à l’un de dire une énormité, ça fait marrer l’autre !
Je me souviens d’une fois (c’est JC qui parle) où je venais d’écrire un chapitre mettant en scène un personnage féminin. Quand il est passé entre les mains de NH, je l’ai entendue éclater de rire. Elle m’a dit : « jamais une femme ne dirait des conneries pareilles ! (si, si, il arrive à NH d’être grossière). Je me suis drapé dans mon mépris au moins cinq minutes, et puis c’est passé. Mais elle avait raison. C’est d’ailleurs pratique d’être un duo homme-femme, ça permet d’affiner les personnages des deux genres.
Revenons à nos moutons : on travaille l’histoire, les personnages, pendant des semaines, des mois, on fait des recherches, on peaufine tout ça, et puis on dresse le plan des premiers chapitres, une vingtaine, une trentaine, ça dépend de l’histoire et de sa complexité. Et puis JC se lance dans la première écriture, puis le texte passe ensuite entre les mains de NH, qui le réécrit, le déstructure pour le reconstruire, et puis le repasse à JC, qui remet le nez dedans, (et ne reconnaît rien la plupart du temps !) et ainsi de suite. En réalité, nous travaillons comme un seul auteur.


Islanova - Jérôme Camut et Nathalie HugVotre nouveau roman Islanova est inclassable, comment le définiriez-vous?
Facile : Inclassable ! La réponse était dans la question.
Non, vraiment, vous voulez en savoir plus ?
Islanova, c’est un thriller, ça c’est déjà une étiquette identifiable. C’est aussi un roman militant, mais sans bord politique. Pas de ça chez nous. La politique, ça nous ennuie. Du moins la politique telle qu’on la vit aujourd’hui. En revanche, la ronde du monde, de notre planète, l’endroit où nous vivons, où nos enfants vivent et vivrons, l’injustice omniprésente, où que nos regards se tournent, c’est ça que nous appelons la politique, ça qui nous passionne et qui est la source de nos romans. Islanova n’y échappe pas. C’est même notre roman le plus militant. Le plus important, peut-être. Jusqu’au prochain !


Quel a été le point de départ pour l’écriture d’Islanova ?
Une grosse colère qui dure depuis que nous sommes en âge de regarder les infos : le fait qu’on meurt de trop manger chez nous quand dans le même temps on meurt de ne pas assez manger ailleurs.
Et puis on a mêlé ce ressentiment à une idée qui nous trottait en tête depuis des années. On s’était dit : et si demain, une bande de gugusses armés débarquait sur les côtes françaises, plantait un drapeau et disait « maintenant, c’est chez nous », comme les Français l’ont fait en Afrique, en Asie, en Océanie dans les siècles passés, il se passerait quoi ? C’était l’idée d’un thriller. On en a fait Islanova, un thriller à notre façon.


Comment avez-vous choisi le lieu où se déroule l’histoire d’Islanova, personnage à part entière de votre roman ?
Le hasard d’une semaine de vacances en juillet 2016. Islanova était déjà « en chantier », et puis nous sommes allés passer quelques jours sur l’île d’Oléron. Précisément là où, dans notre histoire, se trouve le domaine touristique chinois. Cet endroit de l’île est vraiment magnifique, sauvage. Dans la forêt, vous croisez des marcassins, des renards, des chevreuils, une multitude d’oiseaux, (et parait-il des loups, enfin…dans le roman !) Il n’y a vraiment personne alors qu’à moins de dix kilomètres de là, le tourisme de masse concentre les gens.
Initialement, Islanova devait se passer sur le littoral landais, mais en fréquentant la pointe sud de l’île d’Oléron, on s’est dit, et c’était une évidence commune, ce sera là !

L’écologie est au cœur de votre roman, si un tel projet se développe un jour, en feriez-vous partie ou agiriez-vous d’une autre façon ?
Toute la question est : est-il acceptable d’imposer aux peuples quoi que ce soit par la force des armes ?
À chacun d’y répondre. Mais pour ce qui concerne l’écologie, et plus précisément l’avenir de l’humanité, un jour viendra où il faudra sans doute imposer un cadre, notamment dans nos façons de consommer ici ou ailleurs. Mais ce n’est pas pour demain, pas tant que le modèle de société sera basé sur la liberté de consommer, la liberté de polluer et l’expansion de l’humanité sur les terres jusqu’alors réservées aux espèces sauvages. Nous avons tous une responsabilité devant le naufrage annoncé. Et pourtant, on n’a jamais eu autant de voitures, la concurrence pour des billets d’avion de moins en moins chers n’a jamais été aussi féroce, le tourisme permet à chacun d’aller polluer loin de chez soi, un luxe inouï. Mais les générations à venir auront une bien piètre opinion de nous. Pourquoi croyez-vous que nous avons emprunté à François Villon cette phrase en exergue d’Islanova : « Frères humains, vous qui longtemps après nous vivrez, … »


Les attentats qui ont endeuillé la France sont présents dans votre roman, vous avez aussi rendu plusieurs hommages aux victimes sur les réseaux sociaux. 
Ce roman est-il aussi pour ne pas les oublier ?
Un couple d’amis assistait au concert, le soir du 13 novembre. Un seul d’entre eux est sorti vivant. L’histoire d’Islanova leur est dédiée, nous n’oublierons jamais.


Ces événements terribles ont-ils modifié votre façon d’écrire, d’aborder vos histoires ou leur sujet ?
D’une certaine façon, oui. Ils ont scellé le sort de certains de nos personnages de papier. La vie dehors était si dure que nous ne pouvions pas sauver nos héros juste parce que nous les aimions.


Vos romans sont à chaque fois truffés de personnages plus attachants les uns que les autres, alors petite question piège, vous devez chacun en choisir un seul dans Islanova ou dans votre œuvre et pourquoi?
JC : perso, j’aurai toujours une tendresse pour Franklin Adamov, alias Nemo, dans Malhorne, parce que c’est mon premier roman et que cette histoire m’a habité presque une décennie. D’ailleurs, il est toujours présent. Nemo a engendré Léon Castel, l’empêcheur de penser en rond. Et aussi Vertigo. Ces trois personnages sont différents les uns des autres, mais ils ont une racine commune. Et je suppose, si NH en est d’accord, que d’autres personnages « casse-bonbons » égayeront nos futurs romans.
Mais cette question est difficile ! Et Hervé, le simple d’esprit dans W3 ? Et Harry dans Les yeux d’Harry ? Et Vincenzo dans Islanova, et Diégo, Wanda, Leny, Charlie, Kit, Julian, Abigail, Novak, Vertigo, Aguir, Arya, et la tête, alouette !

NH : désolée, je ne veux pas choisir, c’est impossible. Je les aime tous. C’est un peu comme si vous me demandiez quel est mon enfant préféré.


Vous avez publié une nouvelle donnant un avant-goût de votre nouveau roman, comment vous est venue cette idée ?
Une demande de notre éditeur, qui aimait l’idée de fêter notre arrivée au Fleuve Noir avec nos lecteurs, en leur offrant un bonus. Nous étions évidemment très enthousiastes !


Vous qui êtes habitués aux longues sagas, cet exercice, a-t-il été difficile ? Avez-vous envie de revenir à un format plus court ?
Ce texte fait 20 pages, eh bien oui, son écriture nous a occupés trois semaines ! La nouvelle est un art bien différent de celui du roman. Quant à revenir vers un format plus court, pourquoi ? En réalité nous ne réfléchissons pas en termes de longueur mais de sujets à aborder, de personnages à inventer, et nous adorons les histoires chorales !


Vous avez consacré un récit sur Ilya Kalinine de la série W3, est-ce que cela veut dire que vous n'avez pas totalement coupé le cordon avec les personnages de cette série ?
On ne coupe pas les ponts avec Ilya Kalinine ! C’est lui qui décide s’il vous laisse en paix ou pas.
Vous les reverrez un jour, simples passants dans un prochain roman, ou personnages principaux. Islanova, par exemple, va vous donner l’occasion de retrouver Anne Chassin, la journaliste de W3 et de rencontrer Paul Mendès, le père de Lara, disparu des années plus tôt lors d’un congrès en Espagne. Inattendu, non ? ☺


Quels sont vos projets en duo ou individuellement ?
Un roman à deux en cours pour une publication en 2018.
NH est sur un roman solo, une jolie histoire d’amour à sa façon.
JC se demande s’il ne va pas retourner un jour ou l’autre vers ses premières amours littéraires, à savoir un roman fantastique. Mais pas tout de suite. (Et pourtant ça le démange !)


Y a t-il des projets d’adaptations cinématographiques en cours d’un de vos romans ?
Toujours Prédation. Ca fait des années, mais les producteurs viennent de passer la vitesse supérieure. On ne s’emballe pas ! En matière d’adaptation cinématographique, on est sûr de l’existence du film seulement lors de la première, quand vous êtes bien installé dans la salle et que la lumière s’éteint.

Et ça, c’est notre mot de la fin !

 
 
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