Alexandra Echkenazi

 



Alexandra Echkenazi - Le joueur de Baccara

 





Bonjour Alexandra Echkenazi, votre nouveau roman, Le joueur de Baccara, est paru en novembre 2017 chez Belfond, pourriez-vous nous le présenter ?
    C’est le roman de la naissance de James Bond. On le sait peu, mais avant d’être un héros de cinéma, James Bond est un héros de roman crée dans les années 50 par l’écrivain anglais Ian Fleming. Fleming raconte qu’il s’est inspiré de sa propre expérience comme agent de renseignements à la Navy durant la seconde guerre mondiale pour créer son personnage, mais en creusant sur lui j’ai découvert que c’était faux.  L’activité d’espionnage de Fleming s’est résumée à un travail administratif derrière un bureau, ce qui a engendré chez lui une grande frustration. Il rêvait d’être sur le terrain, mais ce n’était pas un homme d’action, mais un type fragile, torturé et dépressif. En réalité il n’avait pas grand chose à voir avec son futur James Bond. C’est en fait suite à sa rencontre avec Dusko Popov, un agent double britannique d’origine serbe, qu’il va écrire à 44 ans son premier roman et inventer James Bond. Popov est en tout point semblable à James Bond, beau, riche, séducteur, joueur de casino, amateur de femmes et de voitures. Il est considéré par les spécialistes comme l’un des plus grands «maîtres espions » de la seconde guerre mondiale. Alexandra Echkenazi - Le joueur de Baccara
Il n’existe qu’une seule trace officielle de la rencontre entre les deux hommes. Dans ses mémoires, Popov se remémore une fameuse de partie de baccara à laquelle il a participé en présence de Fleming au casino d’Estoril, près de Lisbonne, en juin 1941. C’est cette partie de casino dont Fleming va s’inspirer pour écrire Casino Royale, le premier opus des James Bond. En dehors de cet épisode, on ne sait rien. Je me suis beaucoup documentée et j’ai très vite eu la conviction que les deux hommes se sont croisés à de nombreuses reprises. Quand ? Comment ? Pourquoi n’ont-ils rien dit ? Ce sont ces questions sans réponses qui m’ont poussée à écrire ce roman. C’est à la fois l’histoire de la relation entre un écrivain et son modèle, un roman d’aventure et un polar avec du suspens puisqu’il se déroule durant la seconde guerre mondiale et qu’il a pour cadre l’une des plus grosses opérations d’espionnage de tous les temps, l’opération « Double Cross » sur laquelle Fleming et Popov travaillaient ensemble.



Après Mary Meyer dans Le journal de Mary, vous revenez avec Dusko Popov, un autre personnage trop peu connu du grand public, d'où vous vient cet intérêt pour les personnes de l' « ombre » ?
    Mary Meyer m’a immédiatement fascinée tout comme Popov. Je ne connaissais pas ces personnages et j’ai eu envie de faire partager ma découverte. Je me suis dit : c’est fou qu’ils soient si peu connus, je ne peux pas garder ça pour moi ! Mary Meyer a été effacée de l’Histoire car elle dérangeait, quant à Popov son parcours est par définition secret. On connaît très peu de choses sur eux. Il existe bien des essais, des documents qui leur ont été consacrés – que j’ai tous lus - mais on en ressort avec encore plus d’interrogations. J’ai réalisé que seul le roman pouvait permettre de les appréhender. On me demande souvent si je cherche à rendre justice à ces personnages de l’ombre. Si c’est le cas tant mieux, mais ce n’est pas mon intention première. Mon intention première et de donner vie à des personnages, de les faire exister.



Fan de James Bond ou simplement curieuse, comment vous est venue l'idée et l'envie d'écrire sur ce sujet ?
    Comme pour Kennedy, je n’étais pas particulièrement fan de James Bond. Pour moi James Bond,  c’était un héros de cinéma à la limite de la caricature et assez macho.  C’est Popov, dont j’ai découvert l’existence par hasard, en tombant sur une vieille émission de Bernard Pivot sur les espions de la seconde guerre mondiale, qui m’a donnée envie d’écrire ce roman. J’ai commencé à me documenter sur lui et de fil en aiguille, je me suis plongée dans tous les romans de Fleming, et j’ai revu tous les films de James Bond. Aujourd’hui, je n’ai qu’une hâte, que le nouvel opus avec Daniel  Craig sorte au cinéma ! En fait je suis devenue une fan en écrivant ce roman. Mais vous l’aurez compris « Le Joueur de baccara » n’est pas un roman qui s’adresse uniquement aux bondophiles. Quelqu’un qui n’a jamais vu un James Bond s’y retrouvera autant qu’un fan de James Bond. C’est un roman d’action avec tous les ingrédients d’un James Bond, avec une multitude de clins d’œil à James Bond, mais ce n’est pas un roman d’initiés.



Comment se sont passées les recherches concernant Dusko Popov et Ian Fleming ?
    J’ai lu des dizaines et des dizaines de livres, biographies, essais historiques, politiques etc... Mais se documenter ne suffit pas, j’ai croisé les infos, les biographies, pour voir s’il n’y avait pas des correspondances et des détails à partir desquelles je pouvais imaginer des scènes. Tiens à telle date Fleming et Popov étaient dans la même ville, assistaient à la même soirée, ou untel était un ami en commun etc…En fait l’usage que je fais de la documentation est très étrange. Dans un premier temps elle me sert à faire un état des lieux, à élaborer le fil historique et véridique autour duquel le roman va se construire. Mais dans un deuxième temps, le plus excitant en réalité, je cherche ce qui n’y est pas pour pouvoir l’inventer ! Je comble les trous, en fait.



Lors de notre précédente interview, vous nous parliez des questions que l'on se pose quand on écrit sur des personnages réels, avez-vous eu les mêmes interrogations au moment d'écrire Le joueur de Baccara ?
    Lorsqu’on écrit sur des personnes qui ont existé et dont la famille est toujours en vie, même si l’on est sûre de son bon droit en tant qu’artiste, impossible de ne pas se demander comment cela va être réçu. J’ai découvert que le fils de Popov habitait le sud de la France. J’ai pensé le contacter alors que j’étais encore en écriture, puis j’y ai renoncé. J’ai senti que cela serait plus une entrave qu’une aide. Il n’était pas né à la période dont je parlais, il n’avait pas connu le Popov dont je parlais, donc il ne pouvait pas m’apporter plus de choses que les documents nombreux auxquels j’avais eu accès. J’ai décidé de lui envoyer mon texte une fois terminé. Je n’attendais pas son accord, le bon à tirer était lancé, aucun retour en arrière n’était possible. Je tenais juste à l’informer par correction avant publication. J’étais sereine, mais j’avoue que j’aurais été un peu embêtée s’il n’avait pas aimé. Mais c’était une possibilité à laquelle je m’attendais. Il m’a fait un retour très positif. Il a compris que c’était un roman, que je n’avais pas prétention à raconter la « vérité » historique. Ce qui lui importait surtout c’est que le rôle de son père dans la lutte contre les nazis soit mieux connu et qu’on n’en fasse pas seulement le modèle de James Bond, ce qui est le cas dans mon roman.


Quelle est l'anecdote concernant Popov qui vous a le plus marquée ?
    Dans ses romans Fleming qualifie James Bond de « machine », c’est à dire comme un animal à sang froid, sans sentiments. Or, ce n’était pas le cas de Popov. Certes, malgré sa mission plus que périlleuse – entrer au cœur de l’Abwerh, le service de renseignements nazi – il n’a jamais flanché et a fait preuve d’un sang froid remarquable. Mais ce n’était pas une machine. C’était un homme qui se faisait aussi du souci pour sa famille, qui s’interrogeait sur le bien fondé de sa mission et un ami fidèle. Il a terminé la guerre avec 9 ulcères à l’estomac en raison du stress. C’est aussi ça qui m’a intéressée : si le vrai James Bond est un homme doté de plus de courage que la moyenne, il reste un homme comme les autres, avec ses doutes et ses peurs.



Quels sont vos projets ?

    C’est encore trop tôt pour vous en parler. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il y en a un troisième en cours.

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