Philip Le Roy

Philip Le Roy





Avril 2018

 

 
 
 
Philip Le Roy - Le neuvième naufragé
 




Bonjour Philip Le Roy, votre nouveau roman Le neuvième naufragé vient de paraître, pourriez-vous nous le présenter ?
Philip Le Roy - Le neuvième naufragé     Comme le dit Michael Mann, il n’y a qu’une seule façon de présenter une œuvre, c’est de répondre à la question : « De quoi ça parle ? » Je vous propose donc le pitch suivant :
Huit naufragés en état de choc sont retrouvés sur une petite île sauvage de Méditerranée revendiquée par plusieurs pays. Leur voilier a brûlé et l’un des passagers a disparu. Interpol envoie en urgence Eva Velasquez une jeune psycho-criminologue chevronnée mais inadaptée à l’environnement hostile de l’île et confrontée au machisme des garde-côtes espagnols et marocains. Elle interroge les naufragés dans des conditions précaires pour savoir ce qu’il s’est réellement passé et décider vers quel pays les évacuer. Eva comprend vite que les naufragés lui cachent quelque-chose. Commence alors un compte à rebours car une tempête approche et il faut évacuer l’île. Mais Eva ignore que plus elle s’approche de la vérité, plus elle fait le jeu d’un adversaire qui accomplit une vengeance diabolique.


Comment vous est venue l'idée de cette histoire ?
    Cette histoire tourne dans ma tête depuis neuf ans avec l’ambition d’écrire quelque chose qui blufferait tout le monde. J’étais dans le même état d’esprit que Night Shyamalan quand il a écrit Sixième sens. J’ai d’abord développé cette histoire sous forme de scénario, car elle requiert beaucoup de dialogues et le twist final est très visuel. Et puis je me suis mis à écrire le roman. C’était le meilleur moyen de ciseler au millimètre chaque rouage d’une narration à la fois complexe et cohérente. L’écriture du Neuvième naufragé venait au bon moment après trois romans qui m’avaient demandé un énorme travail de recherche et de documentation.  Je tenais cette fois à me concentrer sur l’écriture, sur la construction de l’intrigue et sur les personnages. Tout ce qui ne servait pas l’intrigue était éliminé. La documentation fut donc pour ce roman beaucoup moins volumineuse. Elle s’est bornée à quelques notions de géologie, de navigation et de profiling, et bien sûr à l’expérience de Stanford.
 

Ce roman met en scène neuf personnages avec des caractères très forts, comment les avez-vous créés ? Vous êtes-vous inspiré de personnes réelles ?
    Je voulais que mes personnages, à l’exception d’Eva et de Dorian qui sont atypiques, soient des gens auxquels le lecteur puisse facilement s’identifier. Ils sont très différents les uns des autres même s’ils partagent des points communs qui justifient qu’ils se retrouvent tous sur le même voilier. Je m’inspire souvent de gens que je fréquente ou que j’ai rencontrés au cours de mes voyages. Je leur vole des traits de caractère pour donner plus de vérité à mes personnages et éviter ainsi les stéréotypes. Mes personnages apparaissent ainsi plus ambigus, plus nuancés et difficiles à cerner, comme dans la vie. C’est cette vérité qui donne de la force à leur caractère. Je connais par exemple un flic plein d’aménité comme Paco, une actrice au QI élevé comme Diane qui préfère se faire passer pour une gourde, un ami qui a un boulot très sérieux  comme Damien et se transforme en elfe le week-end, une amie comme Sandra qui hésite entre les hommes et les femmes…


Habituellement, nous trouvons un peu de l'auteur dans un de ses personnages, duquel vous sentez-vous le plus proche et pourquoi ?
    Je mets évidemment aussi un peu de moi dans mes personnages. Parmi les naufragés je me sens peut-être le plus proche de James. Sa misanthropie et son recul sur les évènements ne me sont pas étrangers. Je lui ai donné quelques-unes des meilleures répliques. « C’est le principe de l’ignorance, on croit tout savoir lorsqu’on ne sait rien » est une phrase que j’aurais pu prononcer. Mais de tous les personnages, c’est Eva dont je me sens le plus proche. Elle intellectualise tout et mène ses investigations en recourant aux méthodes talmudiques ! J’ai également quelques points communs avec Gabriel qui assiste Eva avec humour et ne se soucie pas du politiquement correct.  


L’îlot sur lequel se déroule votre roman est-il issu de votre imaginaire ou existe-t-il vraiment ?
    C’est la première fois que j’installe une action dans un lieu imaginaire. C’est mon Castle Rock à moi. Je voulais une île hostile et inhabitée, revendiquée par plusieurs pays, et donc sans nom ni nationalité, susceptible de disparaître à tout moment à cause de son caractère volcanique. Elle est un élément clé du roman qui devait remplir tellement de critères qu’il fallait que je l’invente.


Les réseaux sociaux sont à l’origine de la rencontre des personnages, votre histoire montre les dangers des réseaux sociaux ? Quel rapport avez-vous avec eux ?
    J’ai un bon rapport avec les réseaux sociaux car j’en use avec précaution et vigilance. Ton compte Facebook c’est comme ta maison. Tu invites des gens mais pas n’importe qui. Facebook est pour moi le seul moyen de garder le lien avec les lecteurs et les blogueurs. Je l’utilise presque exclusivement pour cela. Je ne fais pas suffisamment de salons pour vous rencontrer tous ! Je dédie d’ailleurs ce roman à tous mes amis Facebook, car je sais qui ils sont et qu’ils me suivent.  J’ai également un compte Tweeter pour émettre parfois une opinion ou diffuser une info, et un compte Instagram pour mettre en ligne des photos liées à mes déplacements. Le problème est que beaucoup de gens n’utilisent pas Facebook à bon escient. Certains s’en servent comme tribune politique, pour colporter des ragots ou pour nuire à autrui comme on peut le voir dans Le Neuvième naufragé.  


La manipulation a une place très importante dans ce roman, comment avez-vous travaillé ce sujet ?
    Ce qui m’intéresse depuis mon tout premier roman, c’est le rapport au réel. La modification et la manipulation de la vérité. J’essaye de répondre à la question récurrente que se posait Philip K. Dick : « Qu’est-ce que le réel ? » Est-ce que ce que l’on écrit, issu de notre imagination, est moins vrai que ce que nous croyons être le réel ? Cette question me fascine. Et comme nous évoluons dans le thriller, il faut un coupable, une entité qui orchestre cette illusion. A nous de l’identifier.
Avec Le neuvième naufragé, je voulais aller encore plus loin, faire de la manipulation non seulement le thème du roman mais aussi son axe dramatique. Je voulais qu’il mène à un twist final complètement inattendu et suffisamment fort pour qu’il change la perspective du lecteur sur l’histoire. Je voulais donner envie au lecteur de relire le roman avec cette nouvelle perspective qui le fait basculer dans une autre réalité. Je voulais que le roman soit court (330 pages) mais que sa double lecture en fasse du coup un roman de plus de six cent pages ! En préambule, j’avertis le lecteur en définissant la technique du mindfuck utilisée pour manipuler le spectateur.
 

Eva est un personnage flamboyant, comment est-elle née ? Va-t-elle revenir dans d’autres romans?
    Une fois de plus, je voulais que mon personnage principal se différencie de tous ces héros cabossés et ces investigateurs sinistres aux mobiles flous qui envahissent la littérature policière. Il faut aussi que je tombe amoureux de mon personnage principal, sinon le jeu n’en vaut pas la chandelle. Eva est une jeune femme de caractère qui est belle mais qui ne se sert pas de sa beauté pour réussir. Ce qui la définit c’est le fait qu’elle est plus intelligente que les autres. J’avais en tête l’actrice Jessica Chastain lorsqu’elle incarne des rôles éblouissants dans Miss Sloane ou Molly’s game. Mais son intelligence est aussi son talon d’Achille. Lorsqu’elle débarque sur l’île volcanique hostile battue par la tempête en tailleur strict et en Louboutin parce qu’elle n’a pas eu le temps de se changer, avec les tripes nouées par le vol en hélico et sa phobie de la mer, Eva perd de sa superbe et en devient plus fragile et humaine. Sur l’île toutes ces qualités, sa beauté, sa féminité, son intelligence, deviennent des handicaps. Elle trébuche sur les rochers, arrive trempée et ébouriffée devant des garde-côtes machos et met sans le savoir toute son intelligence au service d’un adversaire machiavélique. Eva reviendra-t-elle ? Cela dépendra des lecteurs. A la fin du roman, on peut constater qu’il reste du boulot. Si les lecteurs sont au rendez-vous, ils retrouveront Eva.  
 

Votre roman fait penser à quelques références littéraires ou cinématographiques comme Les dix petits nègres ou des légendes comme le triangle des Bermudes, est-ce un hommage que vous rendez à ces différents univers ?
    J’adore le mystère, les légendes, le suspense, les fausses pistes et les retournements de situation. Les dix petits nègres sont en cela une référence pour moi. J’ai rendu hommage à ce roman dans  Evana 4  (Au Diable Vauvert, 2009 et Le Livre de Poche, 2010). Mais en écrivant Le neuvième naufragé j’avais plutôt en tête des films recourant au mindfuck comme Fight Club, Le sixième sens, Incassable, Usual Suspects, Basic, Vertigo ou des romans comme Les Diaboliques ou Shutter Island. Comme vous pouvez le voir, j’avais mis la barre très haut !



Le style d’écriture du Neuvième naufragé est différent de certains de vos romans précédents avec des chapitres très courts, une ambiance huis-clos. C’est l’histoire en elle-même qui vous l’a imposé ou était-ce une volonté de votre part de changer ?
    Je voulais imposer un rythme qui ne faiblit pas de la première à la dernière page afin de donner envie au lecteur de lire le roman d’une traite et l’amener le plus rapidement possible au dénouement. Pour cela, je me suis fixé pour règle d’éliminer tout le superflu et tout ce qui n’était pas lié à l’intrigue, d’écrire des chapitres courts ponctués de cliffhangers, de privilégier les dialogues sur les descriptions, d’installer un compte à rebours imposé par la tempête et la pression des garde-côtes et des naufragés. Le plus gros écueil à éviter et qu’Agatha Christie n’a pas réussi à faire dans ses Dix petits nègres presque parfait, fut de présenter les neuf passagers sans ralentir le rythme ni plomber l’action. Je me suis servi pour cela du talent d’Eva et j’espère y être arrivé.     



Qu'avez-vous envie de dire aux lecteurs qui n'ont pas encore lu vos romans ?
    Faites comme moi ! Cherchez d’où vient l’auteur, regardez de quoi ça parle et lisez la première page. Si vous avez envie de continuer, achetez le bouquin, quelques centimes seront versés à l’auteur. Aux lecteurs qui ne me connaissent pas encore,  je dis que si vous voulez me lire, il va falloir entrer dans un univers qui ne sera pas de tout repos. Je vais vous emmener là où il y a peu de chance que vous ayez mis les pieds, en compagnie de personnes peu communes. La lecture sera parfois un peu exigeante, mais je vous garantis qu’à la fin, vous aurez appris deux ou trois choses et que vous en ressortirez un peu étourdi, avec une vision du monde légèrement différente.      



Quels sont vos projets ?
    Rien de signé pour l’instant à part une série dont le tournage devrait commencer au printemps. J’ai aussi un recueil de 40 nouvelles noires qui est en lecture. Peut-être un roman Young Adult chez Rageot qui vient de publier S.I.X. réunissant deux romans sortis chez eux (Blackzone et Red Code) et que j’ai remaniés pour cette nouvelle édition.
C’est toujours un peu compliqué pour moi de parler de projets littéraires. Tout en restant dans le thriller qui reste mon genre de prédilection, j’essaye dans chacun de mes romans de sortir des sentiers battus, d’aller là où personne ne va. Du point de vue créatif, c’est bien plus gratifiant, mais cela peut dérouter les lecteurs et surtout les éditeurs qui aiment bien vous mettre sur des rails. Cela explique pourquoi je change souvent d’éditeur. Le milieu de la littérature est très conformiste et peu audacieux. La plupart des éditeurs essayent de combiner un intellectualisme parisien d’un autre temps aux lois du marché imposant une rentabilité immédiate. Vous imaginez la qualité de la production qui en résulte ! On baisse de plus en plus le niveau pour gagner des lecteurs, et on se retrouve sous une avalanche de livres écrits avec les pieds ou avec un nom médiatique en couverture. En tant que juré à la Bibliothèque des Littérature Policières, je reçois beaucoup de polars. La plupart me tombent des mains. On reconnaît tout de suite les recettes des ateliers d’écriture, les mêmes intrigues formatées, les mêmes personnages stéréotypés nés d’imaginations stériles. On ne sait plus raconter d’histoires. Les choses les plus stupides et les plus crues sont mises en avant pour s’attirer la faveur des masses et des médias. De toute façon, il n’y a plus grand monde qui fait la différence entre la traduction d’un gros navet américain ou nordique et un roman français bien écrit. Ce milieu m’écœure, y compris celui du polar où règne l’entre-soi et la pensée commune. Si tu n’entres pas dans le moule, tu es ostracisé. Tout ça pour expliquer qu’il est également possible que Le neuvième naufragé soit mon dernier roman et que je projette de m’exiler à l’autre bout du monde pour rejoindre Nathan Love :) 



Merci Philip Le Roy, nous vous laissons le mot de la fin.
    Deux ramoneurs sortent d’une cheminée. Le premier est sale. Le second est propre. Lequel se lave ?


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