Val Reiyel

 

 
 
 
Val Reiyel
 




Bonjour Val, votre roman, Irineï et le Grand Esprit du Mammouth, sort le 13 septembre aux éditions Slalom, pourriez-vous nous le présenter ?
Irineï et le Grand Esprit du mammouth - Val Reiyel     Bonjour Mademoiselle Plume ! En un mot, Irineï est l’histoire d’un enfant sibérien de douze ans, qui, grâce à ses pouvoirs magiques de chaman, redonne la vie à un mammouth conservé dans le sol gelé depuis vingt mille ans. Un paléontologue américain vient déterrer ce mammouth et l’emporte à Los Angeles pour l’étudier. Il s’aperçoit que c’est une femelle, qu’elle porte un petit… et que les cœurs de la mère et du bébé battent encore. Un miracle inexplicable pour un scientifique ! Mais cette femelle mammouth ne peut pas survivre sans Irineï, qui va devoir quitter son clan et son désert de neige pour la rejoindre dans la chaleur de la Californie… une grande aventure humaine et spirituelle pour cet enfant du bout du monde.


Ce roman s'adresse à tous les lecteurs à partir de 12 ans, pourquoi avoir voulu écrire pour la jeunesse ?
    Pour faire revivre ce mammouth, je ne voulais pas refaire Jurassic Park avec une histoire d’ADN reconstitué. J’ai donc choisi la magie, à travers les pouvoirs chamaniques du jeune héros. C’est l’esprit du mammouth qui demande à Irineï de lui redonner sa place sur terre en le faisant redescendre dans le corps du mammouth de chair qui va être déterré le lendemain par le paléontologue américain. Comme tous les chamans, Irineï est un pont entre le monde matériel et le monde invisible des esprits. Et il a une connexion très forte avec les animaux, avec lesquels il peut parfois communiquer. Les enfants sont censés être plus sensibles à ces univers magiques, plus ouverts au merveilleux, voilà pourquoi cette histoire a été écrite pour eux… mais en fait elle s’adresse à tout le monde parce qu’elle contient des thèmes universels, donc j’espère que les adultes la liront aussi et qu’elle résonnera en eux. Je pense que tous les amis de la nature et des animaux s’y retrouveront, quel que soit leur âge.


Sans trop en dévoiler, comment vous est venue l'idée de départ ?
    C’est une très longue histoire, qui remonte au siècle et même au millénaire dernier… En 1997 j’ai travaillé pendant quelques mois dans une société de production de documentaires. A ce moment, elle était en tournage d’une série de trois épisodes sur l’extraction d’un mammouth en Sibérie par un paléontologue français. C’est un peuple d’éleveurs de rennes nomades, les Dolgans, qui avaient repéré ce mammouth congelé dans le sol gelé. J’ai trouvé cette expédition passionnante et je me suis dit qu’elle pouvait être le point de départ d’une grande histoire de fiction. Il y avait quelques bases réelles, il n’y avait plus qu’à inventer tout le reste…


Pourquoi avoir choisi de placer le début de votre récit en Sibérie ?
    D’après des faits réels, comme dans ce documentaire dont je vous parlais avant. En fait on trouve de nombreux restes de mammouths en Sibérie, car avec le réchauffement climatique, le sol gelé en permanence (permafrost) commence à fondre. Des défenses, donnant lieu à un marché noir d’ivoire (surtout en Chine) affleurent de plus en plus. Et bien sûr des ossements, qui contiennent encore de l’ADN fragmenté : c’est la raison pour laquelle plusieurs pays, comme le Japon, la Corée ou les Etats-Unis, essayent depuis des années de recréer l’espèce des mammouths. Des chercheurs de Harvard, par exemple, sont sur le point d’arriver à créer un hybride d’éléphant d’Asie et de mammouth, dont l’ADN est similaire à 99%.  Ils tentent d’intégrer dans l’ADN de l’éléphant des fragment d’ADN de mammouth prélevé sur des carcasses en Sibérie. On n’est vraiment pas loin de Jurassic Park !

Irineï et le Grand Esprit du mammouth - Val Reiyel


Comment se sont passées les recherches sur le peuple Dolgan, sa façon de vivre et ses croyances ?
    Hormis cette série de documentaires dont je vous parle, elles se sont passées sur internet et il y a très peu de choses sur les Dolgans. J’ai aussi fait des recherches sur les Nenets, un peuple nomade de la même péninsule du Taïmyr, et sur d’autres ethnies sibériennes. Et puis je suis allée en Norvège pendant une semaine, au-delà du cercle polaire, rencontrer les Sami, qui sont aussi des nomades éleveurs de rennes, mais de plus en plus sédentarisés. Ils vivent aussi en Suède, en Finlande et en Sibérie. J’ai passé une journée avec eux dans la montagne, à courir après des rennes pour rassembler le troupeau… quelle expérience ! En fait, ce que je raconte des Dolgans dans le roman, c’est un peu un mix de de tous ces peuples. Leurs vies sont de plus en plus compliquées : en Sibérie, la toundra est polluée par de nombreux puits de gaz autour desquels les rennes ne peuvent plus pâturer. Au nord de la Norvège, beaucoup de terres ont été récupérées par l’armée et les rennes doivent faire d’énormes détours par rapport à leurs routes naturelles. Ils sont perdus, désorientés. Le monde moderne est partout, et pas toujours pour le meilleur…
 

Dans le monde d'Irineï, la culture chamanique tient une très grande place, un état d'esprit qui place l'équilibre entre le monde des esprits et le «nôtre» au cœur de ses pratiques.
Pensez-vous qu'avec notre hyper-connectivité et notre hyperconsommation, nous passions à côté des choses vraiment importantes ?
    Oui, c’est une évidence. Une des choses les plus importantes étant : le temps. On vit dans un monde à cent à l’heure, les yeux rivés sur nos téléphones portables. On veut des réponses immédiates à nos questions, on se jette sur nos moteurs de recherche pour les trouver dans la seconde et on devient dépendant de ces instruments. On ne se pose plus pour regarder autour de soi. On prend des photos très vite et ensuite, à la maison, on regarde ces photos pour voir ce qu’on n’a pas pris le temps de regarder en vrai. On ne sait plus admirer le monde, en revanche on est très fort pour le détruire. On a perdu le lien avec la nature et avec le vivant. La compassion, l’empathie sont des valeurs essentielles bien mises à mal par l’obsession du gain et de la possession des choses. On change de téléphone portable tous les ans, sans penser à la pollution engendrée. On mange de la viande sans faire le rapprochement avec l’animal qui a vécu et a été abattu dans des conditions abominables au sein de l’élevage industriel. Les multiples emballages en plastique des objets que nous utilisons finissent dans les océans.
A l’autre bout du monde, des gens et des enfants payent les conséquences de notre surconsommation. Mais il va falloir revenir très vite à un mode de vie plus simple et plus respectueux, car de toute façon notre planète ne pourra plus supporter nos excès très longtemps et un jour on n’aura plus le choix.
Et bien sûr cette course vers l’extérieur et le matériel nous coupe de la spiritualité et de notre monde intérieur. Ici il est question de chamanisme, c’est un sujet qui m’intéresse depuis très longtemps. Il y a des chamans partout dans le monde, dans différentes cultures. Ils ont gardé le lien sacré avec la nature, les animaux et les plantes. Je crois qu’ils sont les derniers gardiens de la Terre et qu’on devrait vraiment les écouter avant qu’il ne soit trop tard…


Un peuple nomade de Sibérie qui rencontre des chercheurs américains, c'est un choc culturel important et des différences de comportements. Quand il arrive en Amérique, on retrouve chez Irineï un côté Mimi-Siku, une façon de nous montrer toutes ces différences avec humour et à travers les yeux d'un enfant ?

    Ha ha oui, Mimi-Siku, c’est ça ! Oui Irineï débarque à Los Angeles avec ses vêtements en peau de renne. Il découvre la ville, les voitures, les plages, l’océan, la douche dans une salle de bains, les palmiers géants, la piscine dans le jardin. Il découvre aussi nos drôles de coutumes et nos supermarchés débordants… ainsi que notre manque de respect de la nature et des animaux, qui le choque. Il a un regard d’enfant sur tout ça, et, qui plus est, un regard d’enfant d’une culture radicalement opposée à la nôtre. Donc un regard direct, sans filtre. Comme Mimi-Siku en effet, Irineï est un Candide qui livre un point de vue extérieur sur ce que nous sommes. Ce qui donne lieu chez lui à des réflexions spontanées amusantes et pertinentes, ou à des questions parfois embarrassantes, qui nous mettent face à l’absurdité et aux contradictions de notre civilisation occidentale. Car même si l’histoire se passe aux Etats-Unis, c’est bien de la société de consommation occidentale dans son ensemble dont il est question, et pas seulement américaine.
 
 
Irineï et le Grand Esprit du mammouth - Val Reiyel


De tous vos personnages, duquel vous sentez-vous la plus proche et pourquoi ?
    Difficile à dire… peut-être qu’il y a un peu de moi dans plusieurs d’entre eux ?
Par exemple je suis un pur produit occidental, j’ai donc des points communs avec John Reeves, le paléontologue américain : son ancrage dans le monde moderne, sa culture matérialiste.
En même temps, le chamanisme d’Helina (la grand-mère d’Irineï), ses visions et ses voyages dans le monde des esprits, me fascinent et me parlent. Son amour de la liberté aussi, qu’elle inculque à son petit-fils. Elle a passé sa vie à sillonner la toundra avec les rennes, sans aucune entrave. Une vie simple et heureuse qui fait parfois rêver.
Marion Delamare, l’activiste française écologiste, qui voue sa vie à la protection des animaux, a tout mon respect. J’admire infiniment tous les gens comme elle qui se battent chaque jour sur le terrain aux quatre coins de la planète pour que le monde soit meilleur. Que ce soit dans l’humanitaire, dans l’écologie ou dans l’animalier, ces gens-là sont pour moi les héros des temps modernes.
Et enfin, je me sens proche d’Irineï ! J’ai parfois un regard étonné, voire atterré, sur la civilisation occidentale dans laquelle je vis, ses aberrations et ses dérives. Je ne supporte pas de voir les animaux maltraités et enfermés (les humains non plus…) et je rêve de tous les libérer. Alors je me suis bien amusée à faire faire à Irineï des choses que j’adorerais faire moi-même…


On ressent à travers vos mots que l'écologie, la cause animale, la survie de la Terre sont des sujets qui vous tiennent à cœur, ce sont des messages que vous avez voulu partager avec vos lecteurs ?
    Oui. Ce sont des thèmes qui me tiennent profondément à cœur depuis toujours. Le respect de la Terre et de tous ses habitants, humains et non-humains. Le respect de leur bien-être et de leur liberté. Le respect de la vie, même la plus infime. Dans le contexte écologique actuel et dans la sixième extinction de masse des espèces que nous vivons, il me semble que ce sont des messages d’une urgence extrême, prioritaire. Mes jeunes lecteurs lecteurs (qui sont censés avoir 11/12 ans, mais j’espère que leurs parents liront aussi cette histoire) devront gérer demain les conséquences des catastrophes écologiques que nos générations sont en train de produire aujourd’hui, dans une avidité terrifiante, un égoïsme stupéfiant et un manque de vision à long terme. De nombreux scientifiques disent que nous avons vingt ans pour redresser les choses… vingt ans… il est vraiment temps d’en prendre conscience et d’agir, chacun à notre niveau, pour éviter au maximum un désastre irréversible.

 
Vous avez travaillé sur plusieurs scénarios de cinéma, concepts de séries et de documentaires, comment votre travail dans l'audiovisuel a-t-il influencé votre façon d'écrire ?
    Un scénario c’est deux choses : des dialogues et un bref descriptif de ce qu’on voit à l’écran (où on se trouve, qui sont les personnages présents, ce qu’ils sont en train de faire, etc) C’est une écriture très sèche et directe, dans des phrases courtes purement informatives, on ne fait pas de style.
Je crois que pour le roman ça m’a aidée à donner un côté très visuel. J’essaye de dresser un décor en seulement quelques phrases pour situer l’action, sans faire de longues descriptions un peu rébarbatives pour les jeunes lecteurs. Et ce que j’écris le plus facilement, ce sont les dialogues. Les répliques s’enchaînent rapidement, je n’ai pas trop de problèmes là-dessus. En revanche pour tout le reste il faut remettre du style, faire des phrases qui coulent bien, agréables à l’oreille quand on les lit à voix hautes. Dans mon cas le gros du travail est là, car on n’a pas cette contrainte dans le scénario et on perd l’habitude d’écrire « joli ».


Serait-il possible de croiser Irineï au cinéma ?
    C’est le rêve ultime ! D’ailleurs, au début, il y a vingt ans, cette histoire fut écrite sous forme d’un projet cinéma. Mais à l’époque il y avait deux problèmes : d’abord, à un niveau purement technique, on n’avait pas les effets spéciaux qu’on a maintenant et faire un mammouth en 3D était extrêmement compliqué. Ensuite, on ne parlait pas encore d’écologie ni de respect des animaux et cette histoire paraissait un peu farfelue. Bref, aucun producteur n’a voulu se lancer dans l’aventure. Le mammouth a donc hiberné dans les profondeurs d’un tiroir pendant plus de 17 ans… Un jour, il y a trois ans, mon ami le réalisateur/scénariste/ superviseur d’effets spéciaux Sébastien Drouin a lu l’histoire, l’a trouvée intéressante et m’a aidée à la retravailler. Au bout de quelques mois nous sommes retournés voir les producteurs. Les thèmes écologiques étaient hélas devenus très actuels, il n’y avait plus de problème technique pour faire un mammouth… mais monter un tel projet prend du temps. Sébastien Drouin m’a dit « En attendant, fais-en un roman, au moins ton histoire existera ». J’ai répondu un truc du genre « Oui, bon, ok » Et il a fallu encore deux ans de travail et plusieurs versions pour que le livre voie le jour… grâce à ma géniale éditrice Aude Sarrazin chez Slalom, qui croit à cette histoire et que je remercie du fond du coeur ! Il ne reste plus qu’à retourner voir les producteurs avec le bouquin et nous avons maintenant une traduction anglaise du projet cinéma pour prospecter à l’étranger. D’autant qu’il y a de nouvelles possibilités à explorer : par exemple sous forme d’une série pour un Amazon ou autre Netflix, qui ont d’énormes budgets… après plus de vingt ans, on n’est plus à quelques années près… il paraît qu’il faut être un peu persévérant et tête de mule pour faire ce métier…


Qu'avez-vous envie de dire à vos futurs lecteurs ?
    Que j’espère qu’à travers cette histoire, ils vont s’amuser, rêver et voyager ! C’est avant tout une grande aventure, une sorte de quête initiatique. Au début Irineï est un jeune garçon timide et introverti, il doute beaucoup et ne croit pas en lui ni en ses pouvoirs de chaman, qui n’en sont qu’à leurs prémices. Pour les développer, il devra vaincre ses peurs et se dépasser. Avec le mammouth il va vivre une aventure extérieure et aussi une aventure intérieure, qui va le faire grandir et lui faire prendre confiance en lui.
J’ai aussi envie de dire aux jeunes lecteurs qu’ils sont tous des Irineï en puissance, dans le sens où ils peuvent tous se battre pour faire respecter leur planète et tous ses habitants. Pierre Rabhi, qui m’inspire beaucoup, dit : « Il ne suffit pas de se demander : "Quelle planète laisserons-nous à nos enfants ?"Il faut également se poser la question :"Quels enfants laisserons-nous à notre planète?" » J’espère que les enfants comprendront que le but de la vie n’est pas de piller la terre pour posséder des tas de choses inutiles qui au final ne rendent pas heureux, mais de regarder autour d’eux dans un état d’altruisme et d’empathie à l’égard de tous les êtres vivants. J’espère que le personnage d’Irineï les incitera à avoir une réflexion sur tout ça…


Quels sont vos projets ?
    Commencer les corrections du tome 2 d’Irineï qui sortira au début 2019… et retourner voir les producteurs de cinéma avec Sébastien Drouin! Maintenant j’ai une fée avec moi, mon agent Laurence Coudert qui me soutient beaucoup dans ce projet.
Je travaille aussi sur deux scénarios de comédie pour le cinéma et un projet de série télé. Et d’autres choses…


Merci beaucoup Val, nous vous laissons le mot de la fin.
    Ce roman est extrêmement important pour moi. Il est un peu ma part de colibri à apporter dans ce monde. Alors merci à vous, Mademoiselle Plume, pour cette interview qui est la première concernant Irineï et qui me permet de parler de tous ces thèmes si essentiels… je n’oublierai pas ça et j’espère bien vous rencontrer un de ces jours !


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