Jérémie Guez

 

 
 
Jérémie Guez
 
   

Intro


Bonne année à toi. Que peut-on te souhaiter pour cette nouvelle année ?
Juste la santé pour mes proches et moi. Je ne peux pas demander plus. L’année passée était trop dure.
7 ans. 7 ans depuis la parution de ton dernier roman Le Dernier Tigre rouge. Pourquoi une telle absence ? Scénario et réalisation ?

7 ans ? C'est marrant je pensais que cela faisait moins. J’ai pris le temps de faire celui-là. J’ai aussi travaillé sur d’autres romans. J’ai eu un problème sur qu’est-ce que je peux raconter et comment le raconter. Est-ce qu’on peut faire des romans comme des films et qui se lisent d’une traite du style je prends trois heures, mais je fais pas de pause. Plein de questionnement de fond et de forme sur un roman nouveau où je n'ai pas l’impression de me répéter. Du coup, en effet, j’ai passé cinq ans et demi à ne rien sortir, car j’en étais pas content.

 Donc tu n’as jamais arrêté d’écrire pendant cette période ?

Exactement. J’ai des ébauches que je n’ai pas finies. Il y en a que j’ai finies où j’étais content, mais je les ai laissées reposées et après je n’en étais plus content. J’ai donc écarté beaucoup de ce que j’ai fait pendant cette période.

Tu penses que parmi ce que tu as écrit, il y a des choses qui sortiront plus tard ou c’est plus un vivier pour un futur roman ?

C’est une bonne question, franchement je n’en sais rien. Il faudrait que je me replonge dedans. Pour certains, j’aimais bien l’idée mais je n’aimais pas la manière, mais je pense qu’il y a  beaucoup de choses que je ne récupèrerai pas.

Roman


Les âmes sous les néons - Jérémie GuezD’où est venu ce roman ? Quelle est son origine ?

Je suis allé souvent au Danemark pour une autre activité et j’ai traîné un peu dans ces milieux-là. Je n’y trouvais rien d’intéressant de manière naturaliste. Et puis j’ai eu l’idée de cette histoire trois ou quatre ans plus tard et donc cela c’est fait en deux temps. C’est beaucoup de décorum que j’ai digéré. J’ai pas trop d'intérêt pour le journalistique, je suis plus pour le romanesque. Je me suis dit que je pourrais faire une histoire d’amour impossible ou très compliquée. Et j’ai calqué ce décor dessus, mais cela s’est fait à posteriori.En voyant le cadre je ne me suis pas dit “Ah c’est génial faut que j’écrive dessus”. J’ai plus intégré ça et je suis passé à autre chose. Et quand j’ai eu l’idée de cette histoire, j’ai trouvé ça différent en terme d’imaginaire de les transposer dans ce décor. Et il y a ce côté très policé et progressiste des protestants de l’Europe du Nord.
Ce cadre du coup a débloqué plein de trucs sur la personnalité des personnages, l’intrigue et c’est devenu beaucoup plus fluide et moins sordide que si je l’avais fait en France par exemple. Je n’avais pas l’impression de connaître bien le milieu, je n’ai pas fait de recherches supplémentaires, j’ai juste pris ce que je savais et ce que j’avais observé et après j’ai brodé l’histoire autour.

Est-ce que tu pourrais dire que cela t’a libéré de changer complètement de décor, de plus être par exemple à Paris ?

Carrément je me suis senti plus libre. C’est aussi le défi du genre de romanesque que je recherchais. L’idée que l’on soit plus porté par le flow de l’écriture que par l’histoire, plus par le ressenti que la mécanique de l’intrigue. C’est devenu un gimmick qui m’a un peu saoulé dans le roman, j’ai une sorte de lassitude que je ressentais pour ça, comme une sorte de fatigue.

Est-ce que tu pourrais nous pitcher ton roman en deux trois phrases ?

C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui ne se connaissaient pas et qui sont reliés par un mort. Ils doivent malgré eux composer l’un avec l’autre.

Comment décrirais-tu les deux personnages principaux du roman à nos lecteurs ?
C’est une jeune fille qui a beaucoup de qualités, mais qui s’est reposée dessus et qui se réveille un beau jour complètement dépassée par une situation ultra violente. Et à l’inverse de l’homme qui a pris beaucoup de coups, qui est complètement éteint et qui va trouver une occasion de s’accomplir une dernière fois. Ils ont le même âge, mais elle est très fraîche et lui est très abîmé. Ils ont des forces contradictoires. Celui qui est habitué à ce genre de situation est malgré tout en bout de course et celle qui prend la violence de plein fouet est détruite pour la première fois de sa vie, n'a plus de ressources. Ce sont des personnages plus complexes, avec plus de fêlures que ce qu’ils laissent apparaître. Ils se complètent bien en ça.

Dans tes romans en général, et dans celui-ci en particulier, on voit bien que tes personnages prennent leurs décisions et les assument, mais malgré tout on a l’impression que leur milieu, leur entourage ou même leur histoire génèrent un prédéterminisme. Du coup est-ce que tu crois au libre-arbitre ?

Je crois au libre arbitre, mais aussi qu’on est confortable dans ce que l’on connaît. Tu peux avoir la meilleure volonté du monde, si tu restes dans un environnement négatif, ça va mal se passer pour toi. C’est un mélange des deux. Je crois beaucoup au libre-arbitre, mais je crois aussi à l’inertie. Si les personnages n’arrivent pas à s’extraire de là où ils sont, ils ne peuvent pas aller bien. Je ne crois pas, même si mes livres peuvent faire penser le contraire, au gars qui veut partir au Bahamas, mais qui se fait rattraper sur le quai de la gare. J’y crois pas en tant qu’auteur. Car je vois la superstructure derrière qui vient plaquer les personnages dessus. Alors, qu’avant d’écrire un personnage, je ne sais pas vraiment où ils vont. Et c’est leurs caractérisations qui vont les guider à travers le récit.

Ton style s’est encore plus épuré dans ce nouveau roman. En quoi l’écriture de scénario a influencé ou non ton style d’écrivain ou inversement ?

Je pense que c’est une dynamique inverse, je voulais voir si je pouvais faire comme de la poésie en prose avec du roman noir. Le scénario est un document très technique et informatif pour que les gens puissent visualiser les scènes de manière très terre-à-terre. Le combat était jusqu’où tu peux aimer le roman et le suivre alors qu’il y a plein de choses qui t’échappent, il te manque des prénoms, du contexte, mais en faisant confiance à l’écriture. C’est pour ça aussi que j’ai jeté pas mal rebellesd’ébauches en sept ans, car je n'arrivais pas à trouver un principe nouveau qui, en tant que lecteur, pourrait m’emporter. C’est chouette des personnages cool, mais il y en a eu dix milliards, les intrigues on voit à peu près où ça va. C’est quoi le temps de cerveau disponible qu'ont les gens actuellement, et moi le premier. Il y a tout un tas de romans de 400 pages que j’aime bien, je lis les cent premières pages assidûment et après ça commence à tourner à vide ou alors c’est moi qui fatigue. Comment j’évite ça ? Comment je refais pas trop un truc que j’ai déjà fait ? Qu’est-ce-que je peux raconter de nouveau ? Ce roman c’est un ou deux trajets de train, une soirée où tu vas te coucher un peu tard, une expérience un peu différente de lecture.

J’adore le titre de ce roman, comment il t’es venu ? Le titre apparaît tôt ou plutôt très tard en général ?

Je ne suis pas hyper bon en titre, un peu besogneux. Celui-là je l’ai eu assez rapidement. Il y avait un truc de gens qui sont passés au révélateur. C’était aussi une manière d’aller un peu contre les figures archétypales du roman noir. Là il n’y a pas de héros à proprement parler, mais chacun à la place de l’autre ne ferait pas beaucoup mieux. Je trouve que ça résumait bien le roman.

Quelle est ta méthode de travail  ? Horaire fixe ou au gré de l’humeur ?

Un peu des deux car je t'avoue qu'au début j’avais trouvé l’histoire, mais comme j’en avais trouvé plein pendant sept ans, cela ne voulait pas dire que j’allais aller au bout. Dès que j’ai eu l’idée du style j’ai commencé à bosser pas mal dessus et à être efficace. Les scènes fonctionnent par couleur, par ressenti et du coup c’est devenu assez organique. J’ai essayé de bosser une scène par jour. Je me suis un peu pris au jeu. Je pensais que je serai aussi emporté par l’idée du bouquin.

En tant que lecteur, les chapitres semblent spontanés comme issus d’un premier jet, quelque chose de très viscéral. Ces chapitres, tu les polis beaucoup et reviens souvent dessus ou c’est effectivement un premier jet que tu retouches un peu après ?

Les couleurs et les émotions, je les jette sur le papier et après c’est de la fausse spontanéité car je bosse dessus comme un malade pour que ça ait l'air naturel. Il y a quand même un ressenti et une spontanéité derrière chaque. Après la manière dont je l’exprime en premier jet, c’est pas terrible. C’est plus l’idée ou même des petits détails qui sont assez justes en premier abord. Le souci est que j’ai une méthode d’écriture qui revenait trop au galop et que j’ai dû casser régulièrement. Parfois je relisais et c’était tenu cinq, dix lignes, puis après ça repartait dans un autre type de bouquin que je ne veux plus faire ou que je ne veux pas faire en ce moment.

Réalisation/Scénario


Comment tu t’es retrouvé sur le scénario d’Yves-Saint-Laurent ?

Il y a un côté anomalie en effet. Mais c’est très simple. J’avais écrit un polar pour Jalil Lespert qui ne s'est pas fait. C’était l’histoire d’un français qui était envoyé pour gérer une boîte à Marbella dans les années 80. J'avais vraiment bien aimé bosser avec lui. Il avait dû aimer quelques petits trucs dedans. Je suis plus intervenu dessus en fin de course pour voir si la structure et la trajectoire tenaient la route. Mon apport est minime. Ce sont Marie-Pierre Huster et Jacques Fieschi  les vrais artisans de ce qui a été le film.

Je fais peut-être erreur mais j’ai l’impression que le cinéma a toujours été ton but et la littérature un moyen pour l’atteindre tant tes romans transpirent d’images mais aussi de son de ciné.

J’ai toujours préféré le cinéma à la littérature, mais j’ai toujours plus estimé la littérature que le cinéma. J’admire tout le monde à titre personnel, mais pour moi la Bluebirdlittérature est un art au dessus. Avec le cinéma, il y a un côté fête foraine qui me plait, mais avec la littérature, j’ai l’impression de rentrer dans une cathédrale. C’est un ressenti personnel et pas un jugement. Le cinéma a un siècle alors que la littérature…. Peut-être que dans mille ou deux mille ans, ils auront la même déférence que j’ai pour la littérature.

Quel effet cela fait de diriger son premier film ?

C’est un mélange de pression et d’hyper content. Content n’est peut-être pas le bon mot. En termes d’émotions, c’est quand même quelque chose, car il y a des gens en face. On se sent entouré même si ce n’est pas pour soi. Il y a un truc d’aventure collective. J’ai toujours rêvé de ça et puis tu y es, c’est très fort.

Et là du coup, tu avais l’impression d’être à ta place, d’être là où tu devais être ?

Non, j’ai le sentiment d’être à ma place quand je suis dans mon quartier. Le reste est toujours un peu bizarre (rires). Je suis plus un mec discret. Je suis à ma place quand je suis chez moi ou avec les gens avec qui j’ai grandi.

J’ai été assez surpris de te voir au scénario de Rebelles qui est une pure comédie (avec de bons personnages dedans). C’est un accident ou c’est un genre qui t’attire également ?

Le réalisateur Allan Mauduit avait lu un de mes scénarios ou des livres, il me semble, et on se connaissait un peu, on s’était déjà croisé. Il avait eu cette idée de comédie un peu noire. Je lui ai dit, je ne suis pas sûr de pouvoir écrire des vannes et il m’a répondu qu’il ne voulait pas faire une comédie comique. Il m’a donné des références pour écrire dans le ton. C’était une super collaboration. J’ai essayé de me mettre dans son ton et il a vraiment respecté mon travail. Je crois que j’ai réussi à capter ce qu’il voulait et à mettre un peu de ce que je ressentais.

En regardant ta filmo, on sent la montée en puissance avec du scénario, un peu de production et finalement deux films quasi coup sur coup, en plus du roman. Tu es insomniaque pour arriver à tout faire ? Ou est-ce le sentiment qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud ?

Les calendriers de sortie ne sont pas les calendriers de création. Il y a des trucs qui ne sont pas sortis à cause du confinement. Si tout s'était déroulé normalement, il y aurait eu un espacement de deux ans entre chaque. Le hasard et les galères des sorties, surtout en cette période, provoque cet état de fait.

Est-ce que tu serais tenté par l’écriture d’une série en mode showrunner ?

Dans l’idée oui. Après j’ai plus un côté artisan et je m’imagine assez mal demander à un assistant un café et des croissants (rires) ou même parler à dix mecs devant un tableau velleda. Je ne pense pas que j’ai la personnalité pour faire ça. Ceux qui font ça ont vraiment du coffre, un peu grande gueule, du souffle et ont toujours un coup d’avance. Je suis plus à bosser sur des trucs minimalistes, à me prendre la tête sur des micros variations qui n'intéressent personne. J’ai l’impression que je suis trop petit pour faire ça. Je trouve ça fantastique de créer des univers si complets dans la durée, mais je pense pas avoir le souffle. Si je dois en faire une, ce serait je pense plus une mini-série où l’on n’est pas beaucoup.

Divers


Notre dernière interview lors de Mauves en Noir 2011 date de la sortie de Paris la Nuit. Soit 10 ans. Qu’est-ce que tu aurais envie de dire à ce Jérémie Guez 2011 ?

Ce serait plus par rapport à la vie qu’à l’art, du genre de rester plus avec Abdel Hafed Benotman à Paris, de rester plus avec les gens que j’ai perdus, donc des propos plus liés au temps qui passe. Je n'ai pas réussi à tirer de grandes leçons ou de grands conseils professionnels sur ce qu’il faut faire ou pas. J’étais limite plus sûr de moi en 2011 que maintenant.

Est-ce que tu continues à être un gros lecteur ou tu as diminué la cadence ?

De roman noir j’ai diminué la cadence. Cela fait deux ans que je lis beaucoup plus de poésie. Je me refais aussi des cycles. J’ai relu récemment Joseph Hansen. Tous ses livres sont fabuleux. C’est un vrai très grand styliste. J’ai moins une boulimie de nouveauté.

Un roman/film/série à nous conseiller ?

N’importe quel roman Hansen comme, par exemple, Gravedigger. Je le relis souvent. Il y a un côté jazz, un côté puissant, mais que tu ne vois pas venir.

Le mot de la fin ?

Tenez bon c'est une sale période. Faut pas craquer. Même ceux qui sont solides ont un genou à terre. Faut pas s'en vouloir de ne pas être bien, mais il ne faut pas lâcher.



Son of philadelphia



Interview réalisée au téléphone.



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