Somoza José-Carlos






Clara et la pénombre

 



Coup de coeur


Dans un 2006 alternatif, l'art a connu une évolution majeure : l'hyperdramatisme.
Les œuvres d'art sont désormais des personnes. Apprêtées, peintes, préparées psychologiquement, les toiles humaines font fureur. Cela va de l'œuvre "utile" (une jeune fille-table, un vieillard-lampe) aux chefs d'œuvres des grands maîtres, en passant par l'art-shock, où sont mises en scène tortures et violences sexuelles.
Les toiles humaines sont vendues, louées, exposées à des prix exorbitants. Mais la résistance est présente : des associations militent violemment contre ce qu'elles estiment être de l'exploitation humaine et sexuelle.
Bruno Van Tysch est un "maître". Ses œuvres se monnayent à coups de dizaines de millions d'euros, et sa Fondation fait la pluie et le beau temps sur le marché de l'art. Mais un tueur rôde. Une jeune fille de 14 ans est retrouvée démembrée, puis deux frères jumeaux obèses et psychopathes. Enfin non, aux yeux du service de sécurité de la Fondation Van Tysch c'est pire que ça : ce sont des œuvres d'art qu'on a détruites, saccagées. Imaginez qu'on lacère la Joconde à coups de cutter en somme !
Clara est une œuvre d'art. C'est sa raison d'être, toute sa vie. Elle ne se perçoit jamais en tant que personne, ne s'aime que peinte, exposée, "artisée" en quelque sorte. Elle est choisie par le maître pour faire partie de sa prochaine exposition. Et, peut-être, par le tueur pour être "détruite"...


Roman fascinant et dérangeant, Clara et la Pénombre frappe les esprits et reste en tête longtemps après l'avoir refermé. Bien sur, il y a une trame policière (qui est le tueur ? Quelles sont ses motivations ?), mais ce n'est pas là l'intérêt du livre, loin s'en faut.
José Carlos Somoza pose avant tout des questions essentielles sur l'humanité et l'art. Qu'est-ce que le sentiment d'être humain ?
Par exemple, Clara ne se considère jamais comme une personne, mais comme une toile brute ou une œuvre, c'est selon. Elle ne vit et s'accomplit qu'en étant un tableau, quitte à être torturée psychologiquement pendant des jours pour arriver au résultat voulu par le peintre.
Deux avis qui s'opposent aussi au sein même de la Fondation qui enquête sur ces crimes sans en avertir la police : qu'est ce qui est le plus grave : détruire une œuvre d'art ou la mort d'une fillette de 14 ans ? L'art peut-il être prétexte à toutes les dérives ?

Bref, c'est avant tout un roman "existentiel", qui place chaque lecteur face à sa propre humanité et l'amène à s'interroger sur sa place dans ce monde. Du grand art (si je puis dire) , servi par une écriture fine et dense à la fois, où les personnages sont esquissés à petites touches de plume, où l'ombre et la lumière sont présents à chaque page, dans chaque phrase.
A lire absolument !


Clara et la pénombre, Parution 09/2003 aux Editions Actes Sud
Clara et la pénombre, Parution 01/2005 Collection Babel

 

 

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