Alec Covin

alec covin



Juillet 2005

 

 

 

 

Bonjour Alec Covin. Tout d'abord, pourriez-vous présenter et nous décrire votre parcours?
Je suis né en 1970. Après des études scientifiques (j'ai obtenu haut la main un bac C, eh oui !) je me suis tourné vers la littérature, le cinéma et les arts plastiques. Une fois mon DEA d'esthétique de l'art obtenu à la Sorbonne, j'ai travaillé dans le milieu de l'art contemporain durant plusieurs années avant de me mettre sérieusement à écrire. Si le cinéma m'a donné le goût des genres (fantastique, western, polar, S.-F., etc.), l'art moderne m'a apporté un certain regard sur les ruses de la représentation.


Pourquoi avoir choisi les mots alors que vous aviez également une formation dans l'image? Et pourquoi avoir choisi ce genre qu'est le fantastique et qui est relativement délaissé en France?
Le thème central de mon œuvre est la peur et j'aimerais décliner ce thème dans de nombreux genres. Le fantastique, mais aussi la S.-F., la comédie de mœurs, etc. J'ai commencé par le fantastique parce que c'est un genre que j'aime bien en littérature comme au cinéma.


Quelles sont vos influences? Tant littéraires que dans d'autres domaines comme le cinéma?

Voici la liste de quelques-uns des films qui m'ont sinon influencé, du moins marqué (pour des raisons, d'ailleurs, très différentes) : Le King Kong de Shoedsack et Cooper, la Féline de Tourneur, la Nuit du chasseur de Laughton, Shining de Kubrick, la Nuit des morts vivants de G. Romero, Alien de R. Scott, les Dents de la mer de Spielberg. Enfin trois œuvres magistrales de maître Carpenter : Halloween, Fog et Vampires. Comme on le voit, on peut être plus mal entouré...
Quant aux livres, je citerai Ghost Story de Straub, et surtout les premiers romans de S. King, ceux des années 70 et 80 (certes moins bien écrits que les suivants, moins « littéraires » mais, bon sang, bigrement plus efficaces !) Je suis une légende de R. Matheson constitue pour moi le saint Graal du fantastique. Parmi les livres plus anciens, je donnerai une mention spéciale au Diable amoureux du pauvre Cazotte ainsi qu'à Aurélia de Nerval, deux textes infiniment supérieurs aux productions sans âme de Théophile Gautier.


Parlons maintenant un peu plus de votre roman, Les loups de Fenryder. Comme je l'ai dit, il s'agit de votre premier roman. Vous y traitez la Peur sous toutes ses formes. Pourquoi ce choix qui touche à un aspect des plus intimes de l'être humain? N'avez pas eu peur d'être dépassé et de tomber dans du déjà-vu bien que vous arriviez à vous renouveler à travers le roman?
En littérature fantastique comme ailleurs, tout a déjà été dit. Les découvertes de nos prédécesseurs sont devenues nos stéréotypes. Le rôle de l'écrivain, aujourd'hui, est de se confronter à ces formes figées, de les interroger et de les revivifier. En somme, agiter de nouveau le cocktail et permettre une nouvelle redistribution des ingrédients afin de conférer à l'ensemble une couleur inédite. Quand Kubrick reprend dans son film Shining le thème archi rebattu du lieu maudit, il en donne une nouvelle lecture en utilisant non pas un vieux château à la Poe mais un grand hôtel tout ce qu'il y a de plus contemporain. Dans mes Loups de Fenryder, c'est (avec beaucoup d'ironie, je l'avoue) un Bed&Breakfast perdu dans les forêts septentrionales de la Louisiane d'aujourd'hui. Plusieurs faits sont à noter ici.
* 1 D'abord, j'ai retenu, comme cadre de mon roman, le nord de la Louisiane et non le sud pour ne pas verser dans le cliché de la Louisiane marécageuse avec ses cajuns, ses crocodiles et ses cyprès « chauves ». J'ai voulu montrer un autre visage de la Louisiane, une Louisiane moins connue que celle de la Nouvelle-Orléans et de Baton Rouge.
* 2 Contrairement aux habitudes du genre, le danger ne vient pas des bois qui entourent la demeure des Baldwing. Au contraire, les bois leur apporteront le salut et cela en pleine nuit !
Je laisse à la sagacité de mes lecteurs le soin de continuer ce petit exercice d'interprétation.


Fenryder est un général sudiste qui vit dans un sarcophage noir, on y ressent une référence consciente au mythe des vampires. Ce genre de références sont nombreuses que ce soit par rapport à des films (Dents de la Mer, Zombies....) que par rapport aux croyances populaires (Comme notamment cette secte qui complote dans l'ombre...) Dans quels objectifs sont faites ces références? Renvoyer le lecteur à des terreurs qu'il connaît? Jouer avec des stéréotypes pour les détourner?

En effet, c'est le versant « hitchcockien » de mon travail. J'aime prendre le contre-pied des attentes du lecteur. Pour vous donner un autre exemple, prenons la « fameuse » scène du requin. Quand on parle de squale, on s'attend d'ordinaire à ce qu'il exerce ses talents de tueur en pleine mer ou en bordure de plage mais certainement pas dans une piscine municipale aux heures où elle est réservée aux plus petits !
Prenez un bon stéréotype, ajoutez-y une bonne dose de réflexion et deux ou trois gouttes d'humour plus ou moins noir, agitez le tout puis versez dans un grand verre et dégustez. C'est ça, ma recette du frisson !


Pour reprendre à une question posée dès le début du roman, Connaissez-vous la Peur? Et quelle est-elle? Que ferait apparaître un Loup devant vous?
Là, je prends mon joker !...


Ce roman est le premier volet de la trilogie. Pouvez-vous nous en dire plus sur le prochain? Et sur le chemin que va prendre la trilogie dans son ensemble?
On retrouvera dans les prochains volets la jeune journaliste noire Sarah Widar ainsi que le très mystérieux caïd 10-13, et je vous annonce déjà que ces deux-là ne couperont pas à une franche explication avec l'effroyable Fenryder. Quant au petit Scotty, je vais le laisser souffler un peu et se remettre de ses émotions pour le reprendre dans le dernier opus. Les deux prochains romans mettront en scène plus directement le général Fenryder qui est seulement évoqué dans le premier volume.


Alors que je faisais des recherches sur vous, je suis tombé sur un article de chapitre.com qui complimentait vos dialogues. Notre chronique a également appuyé sur ce point. Vous arrivez à placer dans la bouche de vos personnages un certain réalisme par leur façon de parler. Axez-vous une grande partie de votre travail sur les dialogues? Y accordez-vous une attention particulière?
L'homme, selon moi, est avant tout un animal parlant. Pensant ? Je ne sais pas. Parlant, oui. (Rires) Il est donc normal que j'accorde aux propos de mes personnages un soin particulier. La littérature, à mon sens, est une question de tons, de registres.
Plus généralement, mon roman peut être lu comme un drame de la parole. Au commencement, une grand-mère, rompant le silence qu'elle s'était imposé durant des décennies, décide de raconter à son petit-fils une horrible histoire de bal. Prudente, elle fait promettre au garçon qu'il ne révélera jamais rien de ce qu'elle vient de lui avouer et qu'il ne deviendra jamais un de ces maudits écrivains qu'elle exècre. Bien sûr, le petit-fils, devenu adulte, transgresse ces deux interdits... pour son plus grand malheur ! A la fin du roman, Scotty, le garçon des Baldwin, devient aphasique par suite du trauma qu'il vient de subir à son tour. Silence au début, silence à la fin, donc. Avec, entre ces deux silences traumatiques, la tragédie noire du récit.
En fait, j'ai voulu que le prologue, qui pose d'emblée les tabous de la parole, présente le roman comme un immense conte crépusculaire.


Comment se passe pour vous le travail sur un roman? Avant la rédaction? Et la rédaction en elle-même?

Il y a d'abord une longue phase de réflexion. Après quoi je me mets à l'écriture. Je n'ai pas de rythme de travail clairement établi. Je peux ne rien écrire de toute une semaine, mais quand le démon de l'écriture me possède, il n'est pas rare que je me réveille à 2 heures du matin et que je sois alors incapable de me rendormir, mon cerveau fonctionnant à plein régime.


Vous jouez avec le lecteur et sa peur. Vous arrivez à effrayer le lecteur et à le surprendre. Notamment, vous n'hésitez pas à tuer des personnages principaux. On ne peut alors s'empêcher de penser à Stephen King. Quelle est votre réaction lorsqu'on parle de vous comme du Stephen King Français?
King est une référence pour moi en matière de narration. C'est un des plus grands conteurs du XXe siècle. Stanley Holder, mon personnage de romancier, est inspiré en partie de King.
Là où je crois différer de lui et de mes autres confrères en horreur (horreur au singulier, s'il vous plaît), c'est en ceci que le fantastique que je prône évacue l'aspect encore un brin moralisateur du fantastique contemporain. Honnêtes gens, ne buvez pas d'alcool de crainte de devenir comme ce pitoyable Jack Torrance égaré dans les couloirs glaçants de l'Overlook (Shining de King). Restez fidèle à votre épouse devant Dieu ou bien vous connaîtrez ce que connaît David dans Otage de la nuit (un bouquin de Richard Matheson). Et puis, nous prêche du haut de sa chaire le « révérend » Koontz, respectez la sainte mère Nature, sinon gare à vous ! Avec ça, ne jugez jamais les gens sur leur apparence (dixit Rosemary's baby de Ira Levin), etc.
Moi, je joue plutôt avec les tabous comme on lance des dés : seules les combinaisons m'intéressent. Leur effet structurant. Il n'y a pas de leçon à tirer de tout cela. Moins moral donc, mon fantastique se révèle pourtant plus « politique » au sens originel du terme. Les deux questions qui dominent tout le roman sont celles de la maîtrise authentique et du vivre ensemble. D'une part : Qui sont les véritables maîtres ? Et, d'autre part : L'homme est-il vraiment cet animal social dont on nous rebat les oreilles depuis Aristote ?


Quelle est votre relation avec les lecteurs?
Au risque de choquer, je vous avouerai que le lecteur quel qu'il soit n'entre pas en ligne de compte dans mon travail. J'écris pour moi, en égoïste consommé. Je cherche à composer l'histoire à mes yeux idéale, avec une grande part d'action, une bonne dose de réflexion et des personnages que je cherche à faire les plus émouvants possible.
Les romanciers qui prétendent écrire pour leurs lecteurs mentent ou bien ils prostituent tout simplement leur talent en faisant œuvre de commerce et en laissant entendre qu'une œuvre peut être le compromis né d'une vulgaire enquête d'opinion. Dans tous les cas, le lecteur est trompé. L'écrivain véritablement généreux, c'est celui qui ne donne que ce qu'il a conçu pour sa satisfaction personnelle. Là est la vraie richesse, là est le véritable don aux autres.


Comment voyez-vous cet outil qu'est internet? Comptez-vous en servir en créant un site qui serait le complément de votre oeuvre comme a pu le faire Maxime Chattam ou Dan Chartier?
On m'incite à créer mon propre site mais j'hésite encore. J'aime le secret. Pas le mystère, mais le secret (A Yann Plougastel qui me demandait quelle était la différence, j'ai répondu que le mystère était un secret qui se montre, qui s'expose, qui se signale à notre attention pour que nous résolvions son énigme. Le mystère, c'est un secret tape-à-l'œil. Le vrai secret reste à jamais inconnu, irrésolu, car inconnaissable. Le mystère vise à être percé ; le secret aspire à ne jamais être trahi. Mon roman est l'histoire d'un secret.)


Comment définiriez-vous votre style?

Je suis un visuel. Cela ne veut pas dire que mon roman soit cinématographique. Par ma formation universitaire (j'ai suivi des cours d'esthétique du cinéma) je suis très sensible à la chose image. C'est donc naturellement que mon écriture peut paraître visuelle. Mais, à parler franchement, je ne considère pas mon travail romanesque comme l'esquisse préparatoire d'un éventuel scénario. Le coup de l'épilogue où j'introduis un ultime personnage à l'avant-dernière page n'est d'ailleurs pas cinématographique. C'est un tour de force essentiellement romanesque. Autre exemple parmi d'autres : le jeu sur les bribes de pensées dans la scène de l'auto-stoppeuse paraît difficilement transposable à l'écran. Que le roman donne à voir est une chose, que ce qu'il donne à voir soit montrable au cinéma en est une autre.


Le Monde parle, en traitant de cette vague d'auteur dont vous faites partie, de "thriller à la française" tandis que d'autres médias parlent d'américanisation de la littérature française. Qu'en pensez-vous? Où vous situez-vous?

Au final, le débat me semble assez vain. Quand un livre est bon, qu'importe qu'il soit écrit par un Européen ou par un Asiatique, par un Français de Nice ou par un Français de Brest. Si un auteur non américain s'essaie au roman à l'américaine, la seule chose qu'on soit en droit d'attendre de lui, c'est qu'il fasse aussi bien, voire mieux, que les Américains eux-mêmes. Sinon gare au ridicule ! A part cela, je ne vois aucune raison de ne pas toucher au thriller. Je ne crois pas aux chasses gardées pas plus en littérature que dans le milieu du vin (où il y a maintenant de très bons crus californiens et australiens !).


Finalement, vous nous avez parlé au début de cet entretien de vos influences littéraires. Mais pourriez-vous nous donner vos derniers coups de coeur que ce soit en romans ou en bandes dessinées?

Les enfants perdus
, le dernier Peter Straub. Même quand il n'écrit que la moitié d'un roman, Straub arrive à m'épater.


Vous avez le mot de la fin.

Le mot de la fin, c'est justement qu'il n'y a pas de fin. La peur est sans fin. Elle est née avant l'homme et survivra à sa disparition bien qu'elle ait trouvé en lui l'un de ses plus puissants vecteurs. L'homme n'est qu'un épisode dans une tragédie cosmique.

 

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