Laurent Scalese

 

 
 
 
Laurent Scalese





Laurent, pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre nouveau roman "La cicatrice du Diable" ?
L'histoire se déroule à Paris, de nos jours. Le livre commence par le suicide d'un scénariste qui se défenestre du bureau de Cécilia Rhodes, une célèbre productrice de cinéma et de télévision. Artus Milot, le commissaire de la brigade criminelle chargé de l'affaire, n'est pas convaincu par la thèse du suicide. Il fait le lien avec la mort non élucidée de Lucie Drax, une autre jeune scénariste employée par Cécilia trente ans plus tôt. En enquêtant, Milot découvre la personnalité trouble de la productrice. Mariée à un richissime homme d'affaires qui l'a sauvée de la faillite, dévorée d'ambition, elle se sert des autres pour parvenir à ses fins. Elle n'hésite pas à exploiter Charlie Kessel, obscur romancier sans le sou, et à manipuler Kino Watanabe, son assistant, que son amour pour elle consume peu à peu. Au contact de Milot, Cécilia finit par comprendre qu'il ne s'agit pas d'une simple enquête mais d'une affaire personnelle. D'où vient son acharnement à la faire accuser de meurtre ? A force d'obstination, le commissaire rouvre la blessure qu'elle voudrait oublier et qui a laissé une profonde cicatrice sur sa peau et dans son cœur : la cicatrice du diable. Pour déterrer la vérité, Milot explore les zones d'ombre de l'âme humaine : celle de Cécilia et la sienne.



Pourquoi trois années de silence entre "Le Sang de la mariée" et "La cicatrice du Diable" ?
Tout simplement parce qu'entre-temps, j'ai beaucoup travaillé pour la télévision et le cinéma. Lorsque "Le Sang de la mariée", mon avant-dernier livre, est sorti, je n'ai pas pu en commencer un autre dans la foulée, comme je le fais d'habitude. J'ai directement enchaîné avec l'écriture de scénarii pour la télévision, à savoir plusieurs épisodes de la série « Commissaire Valence » (avec Bernard Tapie), « La Taupe 1» (avec Ingrid Chauvin et Linda Hardy), « Les Corbeaux » (avec Astrid Veillon et Jean-Pierre Michael), « La Taupe 2 »... Des projets ambitieux qui ont nécessité un investissement total et trois ans de travail non-stop. Des aventures intenses, complexes, qui m'ont nourri en tant qu'individu et qui m'ont permis de penser autrement mon métier d'écrivain. Car si l'écriture d'un livre et celle d'un scénario sont différentes, elles sont également complémentaires. Côté cinéma, j'ai fait du script-doctoring, et j'ai rencontré deux réalisateurs avec lesquels je développe des sujets.


L'histoire de ce roman est universelle et transposable à n'importe quel milieu. Mais était-elle dès l'origine dans celui de la télévision ou est-ce la découverte de ce monde en tant que scénariste qui l'a influencée ?
Le point de départ était l'histoire d'une femme de pouvoir, qui manipule et détruit tous ceux qui l'approchent. Une femme à la fois fascinante et terrifiante, qui ne laisse personne indifférent. C'est vrai, Cécilia Rhodes aurait eu sa place en politique, dans les affaires ou dans le milieu du sport. Depuis longtemps, je m'intéresse à ceux qui ont le pouvoir, à leur perception de ce pouvoir, à l'usage qu'ils en font, aux répercussions sur leur façon de penser et leurs actes. Le pouvoir est-il toujours synonyme d'argent ? Le pouvoir et la morale sont-ils compatibles ? Le pouvoir est partout. Chacun, à son niveau, est susceptible de le prendre. Si on regarde de près une cour de récréation, une entreprise ou tout simplement la cellule familiale, on s'aperçoit qu'il y a toujours le meneur et les autres. C'est un thème que je voulais aborder depuis un certain temps. L'idée de situer l'intrigue de « La Cicatrice du diable » dans le milieu audiovisuel est venue naturellement, quand je me suis aperçu que ma propre expérience pouvait m'aider à comprendre, à déchiffrer les comportements de ceux qui décident.



Votre travail de scénariste, sur des téléfilms comme La Taupe 1 et 2, Les Corbeaux... est très différent de celui d'auteur de roman. D'un coté vous êtes  l'un des maillons de la chaîne et de l'autre vous êtes le seul décisionnaire. Pour vous c'est une stimulation ou il y a quand même une certaine frustration ?
Comme je l'ai dit précédemment, s'ils racontent une histoire, le livre et le scénario sont deux choses très différentes. La mécanique n'est pas la même. Là où l'écrivain se doit d'avoir un style, une parfaite maîtrise de la langue, un univers, le scénariste doit faire passer les images avant les mots, il doit avoir une écriture visuelle, descriptive, directe, efficace et compréhensible par tous les acteurs de la machine audiovisuelle. L'écrivain est totalement libre, il peut écrire ce qu'il veut, sans se soucier du temps ni de l'argent. Il peut décrire un carambolage sur l'autoroute, une fusillade en pleine rue, l'envol d'un super-héros, l'explosion d'une maison, et même la destruction d'une planète ! Tout est possible. Le scénariste quant à lui doit impérativement tenir compte des contraintes budgétaires de la production. Il écrit une scène en fonction de sa logique et de sa crédibilité, certes, mais aussi en fonction de sa faisabilité. Il y a un code de l'audiovisuel, comme il y a un code de la route. Si le scénariste est le « créateur » à la base, il n'est pas le seul décisionnaire. En plus des figures imposées par l'écriture, il doit assister à des dizaines de brainstormings et de réunions, écouter l'avis de dizaines de personnes. Il se déplace dans un espace limité, régi par des règles très strictes .A lui d'y trouver sa liberté. S'il y parvient, ça peut devenir un jeu et être plaisant. Un peu comme un défi. C'est ainsi que je vois les choses.


La manipulation, le pouvoir et leurs conséquences sont au cœur de "La cicatrice du Diable". On ne peut s'empêcher de faire des parallèles dans d'autres milieux. Pensez-vous que le pouvoir est le réel nerf de la guerre dans notre civilisation et à l'origine de tous les maux ?
Je pense que c'est dans la nature de l'homme de chercher, par des moyens guerriers ou pseudo-constitutionnels, à dominer ses semblables. Il veut toujours avoir le dessus sur les autres. Manipulés, nous le sommes chaque jour, par l'information et la désinformation. Qui dit la vérité ? Qui ment ? Ceux qui s'intéressent à l'actualité passent leur temps à démêler le vrai du faux. La manipulation et le mensonge commencent dès les campagnes électorales, lorsque les candidats, charismatiques en diable et particulièrement en verve, promettent la lune aux électeurs. On dirait des comédiens sur la scène d'un théâtre. En général, les élections passées, les choses ne se déroulent pas du tout comme prévu ! Ce qui est grave, c'est que ceux qui ont le pouvoir ne l'utilisent pas pour améliorer la condition humaine. Mais ceci est un autre débat...


Pensez-vous que n'importe quel individu peut un jour basculer dans l'irréversible ? qu'il suffit juste d'un déclencheur ? Comment auriez-vous réagi si vous aviez rencontré Cécilia Rhodes, votre héroïne dans la vraie vie ?
Cette discussion, je l'ai eue un jour avec Christophe Hondelatte, et nous en sommes arrivés à la conclusion qu'on est tous susceptibles de commettre l'irréparable. Le facteur déclenchant sera différent selon les gens : cupidité, jalousie, haine, passion... Un exemple, une histoire banale qui se reproduit depuis l'aube des temps : un homme trompé par sa femme découvre la vérité, se procure un pistolet, débarque à l'hôtel où elle voit son amant et les abat tous les deux. On peut parler de crime passionnel. Ce même homme n'aurait probablement jamais tué personne si son épouse ne l'avait pas trahi... Si j'avais rencontré Cécilia Rhodes, je pense que j'aurais fui à toutes jambes ! Deux armes sont nécessaires pour ne pas tomber dans le piège d'une personne comme Cécilia : l'esprit de discernement et l'instinct de survie.


Les personnages sont tous très élaborés avec des psychologies très poussées. Comment vous êtes vous documenté et comment sont-ils nés ?
Après "Le Sang de la mariée", j'ai eu envie d'aller plus loin. Je ne voulais pas reproduire la construction habituelle : crime, enquête policière, résolution. Je voulais me démarquer du thriller pur et dur. Le thème du serial killer, que j'ai abordé dans deux de mes romans, est aujourd'hui rebattu, ressassé jusqu'à l'indigestion. Dans le monde entier, des centaines d'écrivains racontent chaque année l'histoire d'un tueur en série traqué par un flic. Je crois que nous pouvons tous remercier Thomas Harris et son immortel Silence des agneaux, et avant lui Robert Bloch avec Psychose, deux visionnaires qui ont ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés tous les auteurs de thrillers des vingt-cinq dernières années. Pour ma part, j'ai donné, je n'écrirai plus ce genre d'histoire. Ce changement de cap va de pair avec les personnages développés dans « La Cicatrice du diable ». Je les ai travaillés en profondeur, je voulais qu'ils existent, que le lecteur puisse les toucher du bout des doigts. Aujourd'hui, j'ai envie d'explorer l'âme humaine, dans toute sa complexité, dans toute sa vérité, parce qu'au fond l'homme reste le sujet le plus captivant. 


"La cicatrice du Diable" ne se découpe pas en chapitres mais en séquences. Est-ce uniquement pour le clin d'œil à la télévision ou avez-vous écrit ce roman en pensant à une future adaptation ?
Le découpage en séquences est un clin d'œil à la télévision, bien entendu. L'histoire se déroulant dans le milieu de l'audiovisuel, ça me semblait logique et intéressant. Je n'écris jamais un roman en pensant à son adaptation. Ma principale préoccupation est de raconter une histoire. Il faut que l'intrigue m'inspire, que les personnages me donnent envie de les accompagner pendant un an ou plus. Si écrire n'est jamais simple et peut parfois devenir un enfer, j'ai besoin, aujourd'hui, d'y prendre un minimum de plaisir. Je préfère renoncer à une histoire qui ne me plaît pas, ou qui ne me plaît qu'à moitié. C'est ce que j'ai fait avec les deux manuscrits rédigés avant « La Cicatrice ». Je ne les sentais pas. Ils sont dans un tiroir, pour longtemps je crois !


Vos références viennent du cinéma. On retrouve d'ailleurs ces influences dans votre écriture très visuelle. Votre travail, dans ce milieu, en tant que scénariste a-t-il modifié ou fait évoluer votre façon d'écrire ?
Le style d'un écrivain est en évolution permanente, il change à chaque nouveau roman, même si certains « tics » littéraires demeurent ad vitam aeternam, des erreurs de jeunesse en quelque sorte. Le scénario apprend à être plus concis, plus visuel, car avant de coucher des mots sur le papier, on a des images dans la tête.


Comment se déroule une de vos journées type de travail ?

Beaucoup de confrères sont du matin, moi je suis plutôt de l'après-midi ou de la nuit. Le matin est consacré à la réflexion. Je pense à ce que je vais écrire plus tard. C'est une étape indispensable à la construction du roman, car je travaille sans plan, sans filet, j'adore cette sensation de liberté, j'aime bâtir l'intrigue et décider du sort de mes personnages au jour le jour. Une sorte d'urgence sans laquelle je ne peux pas écrire. La seule fois où j'ai fait un plan, j'ai perdu huit mois dans la rédaction du livre ! L'idée même du plan me paralyse. La spontanéité est capitale pour moi. Si un livre nécessite des recherches, je les fais en amont, elles sont donc disponibles au moment où j'écris. L'écriture en elle-même dure de quatre à six heures par jour, voire plus. Pour un scénario, c'est différent. La construction se déroule lors des brainstormings avec la production. J'assiste à des réunions, nous parlons à bâtons rompus puis, quand nous estimons que ça tient la route, je passe à la rédaction du texte. Un travail différent mais complémentaire.


Quels sont vos projets ?
L'écriture d'un nouveau roman, des projets audiovisuels et cinématographiques en cours. Tout cela prend du temps.


Quels sont vos derniers coups de cœur littéraires, cinématographiques ou musicaux ?
J'ai découvert Cliver Barker cette année, j'ai récemment lu Coldheart Canyon, qui est une satire d'Hollywood mâtinée de fantastique. Jubilatoire. J'ai également lu et adoré L'œil de Caine de mon ami Pat Bauwen. Et puis, après avoir dévoré la biblio de Chandler, Hammett et Thompson, je poursuis mon exploration du roman noir des années 30-40-50, avec des auteurs fondateurs comme William Irish, Horace McCoy, James Hadley Chase, Ed McBain, etc. Sinon, gros coup de cœur pour Rebecca, de Daphné du Maurier et superbe moment avec le déjanté Battle Royale, de Koushun Takami. Et j'attends avec une impatience à peine contenue le dernier thriller de mon pote Max Chattam, "La promesse des ténèbres", qui s'annonce du niveau de sa trilogie du Mal.
Je ne vais plus beaucoup au cinéma, je me rattrape sur le câble, qui est un véritable vivier de films d'hier et d'aujourd'hui. Le cinéma espagnol a récemment produit des films d'horreur qui n'ont rien à envier à leurs homologues anglo-américains. Je pense à L'orphelinat, notamment, de Juan Antonio Bayona. Depuis Match Point, Woody Allen, que j'avais lâché après Meurtre mystérieux à Manhattan, a prouvé qu'il était capable de se renouveler. Olivier Marchal m'a impressionné avec son MR 73, un vrai film noir, habité par des personnages désespérés mais magnifiques. Il se rapproche du Corneau des années 80 et de sa « trilogie noire », Police Python 357/Série noire/Le choix des armes. Ces dernières années, j'avoue que je suis plus emballé par les séries que par les films. The Shield, Dexter, Damages ou Brothers and Sisters sont d'un tel niveau qu'à côté les longs-métrages font pâle figure.
Côté musique, en ce moment, j'écoute beaucoup Bashung et Prince.


Après un étrange groupe de Marmottes exhibitionnistes sévissant sur Facebook, on vient d'apprendre la création de La Ligue De l'Imaginaire, regroupant plusieurs auteurs. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce mystérieux groupe ?
La Ligue de l'Imaginaire est un collectif d'auteurs (les Imaginautes ou les Marmottes) ayant la même culture, les mêmes références littéraires et cinématographiques, et surtout les mêmes envies. Nous sommes dix : Maxime Chattam, Franck Thilliez, Éric Giacometti, Jacques Ravenne, Henri Loevenbruck, Bernard Werber, Olivier Descosse, Erik Wietzel, Patrick Bauwen et moi.
Le but est de promouvoir les littératures de l'imaginaire, de développer des projets communs comme des livres ou des recueils de nouvelles, d'organiser des conférences, des rencontres, des ateliers d'écriture et même de créer un prix. Entente, complicité, amitié et respect sont les maîtres mots de la Ligue. Chacun s'exprime, nous prenons les décisions ensemble. Ce qui est formidable, c'est qu'il n'y a aucune rivalité entre nous. J'adore l'état d'esprit du groupe. 


On vous laisse le mot de la fin ?
Je remercie toute l'équipe de Plume Libre pour son amitié, sa fidélité et la qualité de son travail. J'espère sincèrement que nous aurons l'occasion de nous rencontrer.

 Du même auteur biographie, chronique, interview
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