Valérie Bettencourt






Janvier 2010

 

 

Bonjour Valérie Bettencourt, la première question est un petit rituel sur Plume libre. Pouvez-vous nous dire : qui est Valérie Bettencourt ?
Ah, si seulement je le savais... Pour vraiment bien répondre à cette question, il me faudrait peut-être une petite vingtaine d'années d'analyse, et voyez-vous, je suis moyennement tentée...



Votre parcours est très éclectique : comédienne, écriture de scénarios, etc. Quel a été le déclencheur pour l'écriture de votre premier roman : « Les femmes de mes vies » ?
J'écris depuis une bonne quinzaine d'années, mais plutôt sous forme de scénarios de courts ou longs métrages, ou de sujets de documentaires. Pour monter des projets de ce genre, il faut réunir beaucoup de gens (des producteurs, des réalisateurs, des chaînes de télé...), qu'ils soient d'accord entre eux, qu'ils trouvent les financements, etc. C'est d'une complication extrême, ça prend des années, et très souvent ça n'aboutit à rien du tout. C'est une énorme dépense d'énergie, qui est rarement récompensée. Il faut créer de nombreux projets pour espérer en voir un seul se concrétiser. Il y a une dizaine d'années j'ai écrit "les femmes de mes vies" sous forme d'un synopsis de quelques pages destiné à faire un téléfilm. Aucune chaîne n'en a voulu. Je l'ai oublié pendant très longtemps et re-sorti un jour pour le transformer en roman. Je me suis dit que ce serait peut-être moins difficile que l'audiovisuel, car là au moins il suffit d'avoir l'accord d'une seule personne : l'éditeur.



La publication de votre roman : un conte de fées ou un parcours du combattant ?
En comparaison du cinéma ou de la télé, ça a été plus facile, ça n'a pris que trois ans... J'ai d'abord essayé avec un premier manuscrit, dont personne n'a voulu. J'ai ensuite tenté avec "les femmes de mes vies", et au bout de six mois j'avais un éditeur, peut-être parce qu'il s'agit d'une comédie, je ne sais pas. Mais là on découvre qu'avoir un éditeur n'est qu'une première étape : après il faut faire connaître le roman. Si on ne se bat pas pour la promo, il ne se passe rien du tout, le bouquin ne se vend pas et finit au pilon. Des milliers de livres sont publiés chaque année, dont on n'entend jamais parler. A peine 10% des auteurs peuvent vivre de leur plume, et encore moins deviennent vraiment connus. Sur un premier roman, on a environ 6% des droits, c'est-à-dire qu'on gagne à peine un euro par livre vendu. Le grand public est rarement conscient de tout ça... Mais ce n'est pas grave. Il me semble que la vie entière est un parcours du combattant, à tous les niveaux. Alors publier un bouquin et le faire connaître est juste une lutte comme une autre...


Pouvez-vous nous présenter votre roman ?
Disons que "Les femmes de mes vies" est une sorte de comédie fantastique...
Voici le pitch : Stéphane, trentenaire, commercial dans une agence immobilière du Marais à Paris, a une vie facile et tout pour être heureux, mais il souffre de deux obsessions, les cartes et le sexe. Il enchaîne donc les parties de poker entre amis et les conquêtes féminines, et un jour, grâce au jeu de Free Cell de son ordinateur, il se retrouve investi du pouvoir de se projeter dans des vies parallèles où il peut obtenir tout ce qu'il veut, à l'exception d'une chose : le sexe. Ce qui évidemment l'agace prodigieusement ! Mais cette malédiction va lui apporter une transmutation positive, car il va apprendre à se désintoxiquer de cette dépendance au sexe, et donc finalement devenir plus serein, parce que plus libre. La liberté étant à mon sens une des premières conditions au bonheur.


Votre personnage, Stéphane Lastour, nous apparaît comme un éternel adolescent avec une « légère » obsession pour les jeux de cartes et les femmes. Comment vous est venue l'idée de ce personnage, pas très flatteur, il faut le dire, pour la gent masculine ?
Stéphane est au début exactement ce que vous dites, un éternel adolescent, superficiel et sans intérêt, une véritable tête à claques insupportable. Mais heureusement il ne représente pas la gent masculine dans sa totalité... Il y a aussi des hommes comme Jérôme, son meilleur copain, intelligent, adulte et équilibré. Au cours de leurs nombreuses conversations "entre mecs", Jérôme aide Stéphane à comprendre l'absurdité de son comportement, sa fuite en avant vers un bonheur insaisissable et illusoire après lequel il court à travers les femmes. En secret Stéphane admire Jérôme, voudrait être comme lui, craint de se rendre ridicule devant lui. Et effectivement, il va devenir comme lui, sensible, touchant, séduisant... ce qui prouve qu'il est capable d'évoluer, de se remettre en question, et donc qu'il n'est pas idiot du tout. Simplement, il est mal dans sa peau et n'en a même pas conscience, comme beaucoup de séducteurs acharnés, jusqu'à ce que la réalité lui éclate en pleine tête. Le thème de la transformation de l'être humain est très important pour moi : "Il n'est que les fols certains et résolus" disait Montaigne, ce qu'on a traduit plus tard par "Y'a que les cons qui ne changent pas d'avis". Je déteste cette phrase toute faite qui dit "on ne se refait pas". C'est juste un prétexte au renoncement et à la facilité. Parce justement, si on le veut vraiment, on se refait. Et c'est même le but de la vie, me semble-t-il, que de se débarrasser de ses mauvaises habitudes et devenir meilleur. Stéphane en est un exemple...
Pour en revenir à votre question : au cours de mon existence, j'ai croisé quelques Stéphane, et aussi des Jérôme, tous ces hommes m'ont inspirée, je les ai observés et j'ai eu envie de parler d'eux... parce que je les aime bien...



Pourquoi cette fascination pour les cartes et tout particulièrement pour le Freecell ?
Il y a une dizaine d'années, j'ai commencé à jouer au Free Cell et je suis devenue complètement accro à ce jeu, ce qui ne m'était jamais arrivé. Je me suis demandé pourquoi cette fascination soudaine et j'ai compris que les cartes étaient symboliques de la vie, avec ses gains et ses pertes, ses coup de chance et de bluffs, ses stratégies plus ou moins victorieuses. Dans le Free Cell, quand on ne peut plus déplacer une carte et qu'on a donc perdu, on a trois choix : recommencer la même partie, en prendre une au hasard, ou la choisir. Je me suis dit soudain que ce serait génial d'avoir ces trois choix de vie : recommencer la même, en prendre une au hasard, ou la choisir. C'est de là qu'est venue l'idée de l'histoire. Mais il fallait bien compliquer un peu l'affaire, sinon ça n'aurait eu aucun intérêt. J'ai donc pensé, au milieu de toutes ces histoires d'enchaînements de vies, à mettre Stéphane face à sa plus grande faiblesse, face au problème qu'il doit dépasser pour grandir : sa dépendance au sexe.



En tant que femme, j'imagine que l'écriture de certaines scènes concernant Stéphane, a dû être, comment dire. jubilatoire (ce qui est sûr, c'est que ça l'est à la lecture :o)). Est-ce facile pour une femme de se transposer dans la tête d'un homme ?
C'est vrai, je me suis bien amusée, notamment à parler de sexe comme un mec...
Mais non, ce n'est pas facile de se mettre dans la tête d'un homme, et surtout d'un homme comme Stéphane! Mais c'est justement ça qui est intéressant. Il est toujours passionnant d'essayer de se mettre à la place de quelqu'un d'autre, particulièrement quand cet autre est totalement différent de vous-même. Parce que ça oblige à se poser des questions sur le comportement des gens, à avoir une ouverture d'esprit, et donc une tolérance. On en vient à comprendre, pas toujours à excuser mais au moins à comprendre, pourquoi l'autre fonctionne d'une manière radicalement opposée à la nôtre, et on en vient parfois aussi à s'interroger sur nous-mêmes et nos propres agissements. Je suis très curieuse des gens en général, leur psychologie me fascine, je m'intéresse beaucoup à leurs trajets de vie, à ce qu'ils ont en tête. Pour en arriver à écrire un personnage comme Stéphane, il m'a fallu un grand nombre de conversations avec des hommes depuis des années, sur leur manière de prendre du plaisir dans le sexe bien sûr, et sur le pouvoir qu'exerce sur eux leur impitoyable testostérone, mais aussi sur leurs désirs, leurs besoins, leurs peurs, leurs fragilités...
Et j'espère qu'un jour j'arriverai à percer un tout petit peu le mystère du comportement masculin, qui continue souvent de m'échapper complètement!



Internet joue un rôle de plus en plus important dans notre vie quotidienne. C'est d'ailleurs au travers de Facebook que Plume Libre a fait votre connaissance. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous réussi à conquérir des lecteurs grâce à ce média ?
Très peu de promo a été faite sur mon bouquin et j'ai dû m'y mettre moi-même. Je suis effectivement passée par Facebook sur les conseils d'une jeune femme que je connaissais à peine à l'époque. Elle a réussi à me convaincre d'ouvrir une page, alors que je n'étais pas du tout attirée par ce genre de moyen de communication et que je n'y connaissais rien du tout. Et j'ai été très surprise de ce qui s'est passé... Un garçon que je ne connaissais pas, webmaster professionnel, a eu la gentillesse de me créer un site gratuitement. Un monsieur que je n'ai toujours pas rencontré a créé un "groupe" pour mon roman, qui a maintenant plus de 2700 membres. Je continue de remercier ces trois personnes, car il est vrai que la petite notoriété de mon bouquin est due à Facebook.
C'est donc un moyen de promo que je conseille à mon tour à tous les auteurs et autres créateurs. Sans compter que j'y ai retrouvé des gens que je n'avais pas vus depuis plus de vingt ans, et que j'en ai rencontré des nouveaux, tout à fait sympathiques...



Etes-vous vous-même une passionnée de lecture ? Quels sont vos derniers coups de cour en la matière et/ou vos incontournables ?
Comme Stéphane est un accro aux cartes et au sexe, j'ai été une accro à la lecture... et comme lui je me suis désintoxiquée. Quand j'étais enfant, je dévorais le Club des Cinq et l'Etalon Noir, je lisais très vite et mes parents n'arrivaient pas à suivre pour me fournir en bouquins. A l'adolescence, j'ai lu pratiquement tout Marguerite Duras, dont l'écriture sur l'amour et la douleur me bouleversait. Ensuite j'ai fait deux ans de cours de théâtre, je suis tombée dans les classiques, Hugo, Rostand, Corneille et Racine, qui écrivent merveilleusement bien et dont les vers me tirent les larmes. Et puis Alfred de Musset, romantique au véritable sens du terme, c'est-à dire ténébreux, dépravé, désespéré chronique, dont je n'ai jamais cessé d'être amoureuse... et une admiration totale pour l'incroyable George Sand, dans la maison de laquelle je vais souvent me promener quand je suis dans le Berry. Pendant des années, j'ai lu des tonnes de romans. J'ai aussi eu ma période ésotérique, avec tous les ouvrages sur les nombres, les cathédrales, les pyramides, l'alchimie, le tarot, le chamanisme, les Celtes, les Cathares, l'Ile de Pâques, etc,etc,etc. Et puis un jour, je crois que j'ai fait une sorte d'overdose de lecture et j'ai complètement arrêté. Peut-être aussi parce que j'avais besoin de délaisser la fiction pour me confronter au monde réel. C'est à ce moment là que j'ai commencé à voyager, à me tester, à me mettre face aux difficultés des pays étrangers, et donc face à moi-même...
Alors j'ai recommencé à lire, mais uniquement des livres de spiritualité, particulièrement les enseignements des maîtres tibétains que j'ai rencontrés. Et maintenant, je reviens aux romans. J'ai toujours aimé le fantastique et les écrivains qui ont un univers très versé dans l'imaginaire, ceux qui savent raconter des histoires dans lesquelles je me laisse embarquer. Et j'ai toujours adoré Bernard Werber, dont la fonction va au-delà de l'écrivain basique, puisqu'il transmet des messages extrêmement profonds, à la fois scientifiques, humanistes et spirituels, sous forme de fables accessibles à tous, ce qui force mon respect. Je rêve modestement de suivre sa route, c'est-à-dire de pouvoir apporter des sujets de réflexion à travers l'écriture, mais sans donner de leçon, sans assommer le lecteur avec des théories prétentieuses et compliquées réservées à une pseudo-élite intellectuelle. La comédie et le fantastique se prêtent bien à ce genre de chose.



Le 4ème de couverture de votre roman mentionne une adaptation cinématographique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Là, c'est mon éditeur qui s'est un peu avancé... il est vrai que j'ai écrit la version scénario de mon roman, et que je travaille en compagnie d'un réalisateur. Nous cherchons un producteur, et je retombe donc dans tous les problèmes compliqués du cinéma que j'évoquais au début, mais avec plus de sérénité qu'avant. J'espère vraiment qu'on arrivera à monter le film un jour, mais rien n'est sûr...



Quels sont vos projets ?
La sortie de mon deuxième roman "Sombre Lagune", qui est très différent du premier (toujours dans le registre un peu fantastique, mais pas du tout une comédie), et qui a été écrit d'après un scénario dont la première version remonte à une quinzaine d'années. Trouver le temps de terminer mon troisième roman, écrit lui aussi d'après un ancien scénario. Ecrire des sujets de documentaires. Et aussi, si je peux, repartir en voyage, loin, pour me déconnecter de l'écriture et aller à la rencontre de gens très différents de moi...



Merci beaucoup Valérie Bettencourt, nous vous laissons le mot de la fin.
Merci à vous Madame Plume, pour cette interview et la sympathique chronique sur mon bouquin... En tant qu'obsédée pathologique de la liberté, j'aime beaucoup votre nom...


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