Gilles Guillon

 




 Janvier 2010






 Gilles Guillon, vous dirigez chez Ravet-Anceau la collection Polars en nord. Comment est née cette aventure ? Et quel est votre propre parcours ?

     Polars en Nord est né d'une rencontre : je voulais créer ma maison d'édition pour faire du polar dans le Nord, et Ravet-Anceau, le plus vieil éditeur nordiste (un siècle et demi d'existence !) cherchait un responsable d'édition pour développer des projets. Ils m'ont fait confiance et ça m'a permis de démarrer Polars en Nord dans d'excellentes conditions. Ravet-Anceau est une entreprise professionnelle reconnue et structurée avec une diffusion efficace.
En ce qui concerne mon parcours : pour résumer, j'ai toujours fait ce qui me plaisait. J'approche beaucoup trop vite de la cinquantaine, je suis journaliste de formation, noble profession que j'ai exercée pendant 22 ans, d'abord à la télé (France 3) puis dans la presse magazine (Rallyes Magazine, Pays du Nord...), d'abord en France, puis en Italie, aux Pays-Bas et en Belgique. Il y a six ans, quand j'en ai eu marre de la presse (je venais de me faire rouler par mon associé), j'ai décidé de me tourner vers l'édition et le roman policier. Je suis un vieux lecteur de polars. J'ai longtemps dévoré les classiques de la Série noire, puis de Rivages noir. Aujourd'hui je ricane bêtement (je suis moqueur) quand je vois des éditeurs qui n'ont jamais lu un seul roman policier se lancer dans le polar, sous prétexte que c'est ce qui marche.


Depuis le premier titre "Le vagabond de la baie de Somme" de Léo Lapointe en 2005, on est déjà au 55e titre avec "Les disparus de l'A16" de Maxime Gillio et Virginia V. Pourquoi ce choix, au rythme de deux parutions par mois ? Comment organisez-vous la « promotion » des romans de vos auteurs ?


    Nous publions 20 nouveautés par an au rythme de deux titres par mois. C'est déjà beaucoup pour la région. Certains libraires ont du mal à suivre. La presse également. Pour éviter que les différents romans se marchent sur les pieds, nous évitons de publier en même temps deux histoires qui se passent dans le même secteur. La promotion se fait de façon classique (communiqués de presse, services presse, dédicaces en librairies, salons du livre). Etant du métier, j'ai la chance de connaître la plupart des journalistes nordistes. Ça aide au niveau régional. Au niveau national, c'est plus difficile. J'ai renoncé à envoyer des exemplaires à la presse nationale et à inscrire nos romans aux différents prix du polar. Ça ne sert à rien ; les livres ne sont pas lus. Même problème pour les salons spécialisés hors région. J'ai beaucoup de mal à faire inviter les auteurs de Polars en Nord dans les salons du polar un peu partout en France, car la plupart des organisateurs ne veulent pas entendre parler d'auteurs et d'éditeurs régionaux qui ne sont pas de leur coin. Ils ne nous connaissent pas et ne veulent pas nous connaître ! De temps en temps, j'arrive à en convaincre un, comme à Mauves en Noir l'an dernier, mais ça reste une exception. A Montigny-les-Cormeilles cette année, on est entrés par la petite porte en profitant des changements au sein de l'organisation. Ce n'est pas demain la veille qu'il y aura des auteurs Ravet-Anceau à Quai du polar ou à Sang d'encre. Mais on les aura à l'usure ! .



Au sein des auteurs de votre collection, on retrouve une multitude de styles et d'univers différents. Comment se fait le choix éditorial ? Quel est le parcours d'un manuscrit jusqu'à son édition ?

    La politique éditoriale de Polars en Nord est basique. Il faut juste que l'intrigue se déroule dans des lieux réels en Nord-Picardie. C'est la seule contrainte. Nous recevons plus d'une seule centaine de manuscrits par an. Nous sélectionnons les vingt meilleurs (ça surprend tout le monde). Peu importe que ce soient des romans noirs, à énigme, humoristiques, thrillers psychologiques... Je n'osais pas le dire au début, mais les 55 titres parus à ce jour sont le reflet de mes préférences. J'ai la chance d'avoir des goûts éclectiques. Au départ, j'avais peur que les lecteurs soient déroutés par la diversité des univers et des styles. Maintenant je me rends compte que cette variété est une des clés du succès de la collection.
Je lis ou j'essaie de lire tout ce que je reçois. Ce qui me plait est transmis au comité de lecture. Si ce dernier confirme mon choix, on publie le livre. C'est tout simple. Parfois le comité de lecture n'est pas d'accord et refuse certains livres. En général, je demande à l'auteur de faire des modifications, puis je le propose à nouveau.



Comment est composé le comité de lecture, quel est leur travail ?

     Le comité de lecture de Ravet-Anceau est à géométrie variable. Il est composé de lecteurs de base, jeunes ou vieux, tous amateurs de polars et bénévoles. Nous refusons les liseurs professionnels. Je leur communique les manuscrits que j'ai aimés et je leur demande leur avis. Ils font une fiche de lecture et me disent ce qui leur a plu ou déplu. Ce sont essentiellement des gens du nord. Souvent ce sont des lecteurs de la collection que j'ai rencontrés dans des salons du livre.



Quels conseils donneriez- vous à un auteur avant de vous envoyer son premier manuscrit ?


     D'abord, il faut se renseigner et contacter la maison d'édition avant de lui envoyer un manuscrit. Je reçois beaucoup de textes qui n'ont rien à voir avec ce que nous publions et je suppose que c'est la même chose chez les autres éditeurs. Ça ne coûte rien de passer un coup de fil ou d'envoyer un mail pour savoir si votre manuscrit est dans la ligne éditoriale.
Un truc d'éditeur : quand vous envoyez un manuscrit à une maison d'édition, évitez de noter partout que vous l'avez déposé à la SACD ou un autre organisme. Neuf fois sur dix (c'est l'expérience qui parle), ces manuscrits-là sont parmi les plus mauvais qu'on reçoit. Bizarrement les bons romans ne sont jamais protégés (ou alors l'auteur évite de le dire).


L'avantage de Polar en Nord c'est d'attirer le lectorat régional par le coté « cela se passe à coté de chez moi » mais il y a aussi l'inconvénient pour le reste de la France, celui de passer pour des polars touristiques ? Que faire pour y remédier ?

     C'est ce que pensent ceux qui n'en ont jamais lus, mais c'est tout sauf du polar touristique. Au contraire, certains titres de la collection vous dégoûteront à tout jamais du Nord-Pas-de-Calais ;-)) C'est difficile d'aller à l'encontre des idées reçues, mais avec le temps certains auteurs acquièrent une notoriété et une reconnaissance qui dépasse les limites de la région. Je pense à Gilles Warembourg, Maxime Gillio, Elena Piacentini (qui vend plus de polars nordistes en Corse que dans le Nord !)... Franck Thilliez a réussi à faire connaître le polar nordiste partout en France et à l'étranger, alors qu'il est tout à fait dans la ligne éditoriale de Polars en Nord. C'est signe qu'on peut y arriver nous aussi, même si on part avec le handicap de l'étiquette régionale. Cela étant, il faut relativiser : la plupart des auteurs de Polars en Nord vendent plus de livres que beaucoup d'auteurs nationaux !



Où en est justement l'extension de la collection Polars en région ?

    Polars en région a connu des débuts difficiles. Malgré le dynamisme des auteurs (Jean-Louis Nogaro, Nicole Provence...), les ventes ont été en dessous des prévisions, notamment à cause d'une diffusion compliquée en librairies. Sans doute la région Rhône-Alpes n'était-elle pas le bon choix pour démarrer cette collection. Nous avons fait le bilan des pertes et en avons tiré les conclusions. Polars en région s'arrête en Rhône-Alpes pour redémarrer en Normandie et en Champagne-Ardennes en 2010, deux secteurs plus proches de nos bases que l'équipe commerciale de Ravet-Anceau pourra traiter en direct. Avis aux amateurs, nous avons commencé à collecter des manuscrits sur ces deux régions.



Quels sont les plus gros tirages de la collection depuis sa création ?

     "Le vagabond de la baie de Somme", de Léo Lapointe, est toujours notre best-seller avec près de 8000 exemplaires vendus et il continue de se vendre. C'était le premier titre de la collection, la preuve qu'on ne s'était pas trompé en le publiant. Il est suivi de près par "L'affaire du boucher du Vieux-Lille", de Christophe Debien, qui a été le premier auteur de Polars en Nord a être repéré par des éditeurs nationaux (Hachette, Fayard).



Y a-t-il un roman de la collection que vous souhaiteriez mettre ici de nouveau en avant car il n'a pas eu la reconnaissance qu'il mériterait selon vous ?

    "Nord Western" de Gwen Orval a été le premier échec de Polars en Nord, pourtant c'était un de mes préférés. Ce livre a eu du mal à atteindre les 1500 exemplaires, ce qui chez Ravet est un résultat médiocre. Avec le recul, je trouve que certains auteurs comme Pierre Saha (Les crimes de Rue, Le porteur de mauvaises nouvelles) ou Jean-Christophe Gérard (Le bûcher de la salamandre) n'ont pas l'audience qu'ils méritent. Mais ça viendra, je suis optimiste.



Polar en Nord est disponible depuis peu sur l'i-Phone, quels sont les autres projets ?

    Depuis octobre 2009, tous les romans de Ravet-Anceau sont disponibles sous forme de fichiers numériques. On les trouve en vente sur une douzaine de sites de librairies en ligne comme www.bibliosurf.com, http://www.furet.com... Ou sur notre site Internet. Le format numérique nous permet de toucher plus facilement la clientèle des nordistes exilés à l'autre bout de la France ou à l'étranger.


Pouvez-vous nous présenter les prochains titres de la collection ?

    En février, paraissent deux premiers romans : "Nuit de chine", de Bernard Thilie, et "Retour à Cambrai", de Marc Fourez ; un polar humoristique et un polar à énigme. Puis (dans l'ordre), on aura les nouveaux romans de Léo Lapointe, Emmanuel Sys, Johann Moulin, Daniel Auna, Lucienne Cluytens, J. Wouters, Elena Piacentini, Philippe Sturbelle... et les premiers polars normands et champenois.


Comment se porte l'édition dans le Nord-Pas-de-Calais ? Comment voyez-vous l'évolution de l'édition depuis une dizaine d'années ? Notamment à travers les envies et les goûts des lecteurs ?

    Le Nord-PdC est une des rares régions de France où il n'y a pas d'aide à l'édition, mais on se débrouille sans. La région compte une quarantaine de petits éditeurs qui font des choses très variées (beaux livres, histoire, poésie, jeunesse, mangas...) souvent en rapport avec la culture locale. Ces dernières années, le livre est devenu un produit de grande consommation. Les lecteurs ne mettent plus 20, 25 ou 30 euros dans l'achat d'un ouvrage, ce qui explique le succès des livres de poche, et notamment des polars. Ils sont moins sensibles qu'autrefois aux conseils des libraires et des médias et se fient plutôt au bouche-à-oreille (au buzz), ce qui est à la fois un signe de méfiance et de maturité. Le lecteur est assez grand pour décider lui-même ce qui est bien ou pas.


Ravet-Anceau a un nouveau site depuis peu et on retrouve beaucoup de vos auteurs sur la toile. Quel regard portez-vous sur l'émergence des blogs et des sites littéraires sur le Net ?


    Internet a un rôle essentiel dans la diffusion de la culture et de l'information. C'est un média libre et gratuit, où l'on peut raconter ce qu'on veut. A chacun ensuite de faire le tri. Sans Internet, vous n'auriez jamais entendu parler de nos livres hors de la région Nord-Picardie. En tant qu'éditeur régional, Ravet-Anceau n'a aucun accès aux médias nationaux. J'encourage mes auteurs à créer leur site ou leur blog pour se faire connaître. J'ai moi-même un blog http://polarsennord.blogspirit.com/, mais j'ai du mal à l'alimenter régulièrement.
Je suis plus mitigé quant au contenu des forums sur le polar. Que des gens puissent dire du mal sur des auteurs ou des livres qu'ils n'ont pas lu m'horripile.


Vous avez réussi en quelques années avec Polars en nord à avoir un lectorat fidèle mais aussi une bande d'auteurs qui s'apprécient, font même la promotion des romans des copains. Est-ce aussi une de vos fierté, cet esprit de bonne camaraderie ?

    On travaille sérieusement en évitant de se prendre au sérieux. C'est essentiel qu'il y ait une bonne entente entre les auteurs et avec l'éditeur. Je les encourage à lire ce qu'écrivent les autres, mais certains ont du mal. Ça leur permet de se situer. Pour l'instant (je touche du bois), on a réussi à éviter les casse-pieds prétentieux qu'on croise parfois dans les salons, mais comme on a l'air de bien s'amuser, ils nous regardent de haut et passent leur chemin. Je ne pense pas être spécialement un bon éditeur, mais j'ai la chance qu'il y ait beaucoup de mauvais ou de rêveurs incompétents dans ce métier. C'est ce qui fait la différence.


Le démon de l'écriture et particulièrement du polar vous a t-il déjà titillé ?


    J'ai été journaliste pendant 22 ans, ce qui veut dire que j'ai écrit pendant toutes ces années. Ça m'a donné envie de ne plus écrire. Parfois quand je lis certains manuscrits que je reçois, je me dis que je pourrais faire aussi bien, mais il s'agit des plus mauvais... Outre l'envie, c'est surtout le temps qui me manque. Un jour peut-être...


Vous avez une autre passion dévorante celle des rallyes, pouvez-vous nous en parler ?

    J'ai fait quelques rallyes en tant que copilote au niveau amateur dans les années 80-90 (3 victoires quand même), puis en tant que journaliste à Rallyes Magazine. Même si je ne cours plus, je continue de m'y intéresser du côté organisation. Le club dont je fais partie organise le rallye des Routes du Nord tous les ans en février à Armentières. C'est une vraie passion. J'ai toujours été fasciné par la compétition et la prise de risques, notamment dans les courses sur route. Le rallye m'a permis de côtoyer quelques vrais personnages de polars comme Francis Mariani (celui qui s'était évadé par fax d'une prison corse et qui a été tué en manipulant des explosifs l'été dernier).


Vos derniers coups de cœur (tant au niveau roman, BD, cinéma, peinture...)?

    Vu la pile de manuscrits sur mon bureau, je n'ai plus le temps de lire autre chose. En BD, j'adore Jack Palmer, de Pétillon. Au ciné, j'aime beaucoup l'humour débile, genre Dikkenek ou Les clés de bagnole, de Baffie, mais aussi les polars sud-coréens et ceux de Johnnie To. En musique, je suis fan de Rammstein et je me suis remis à écouter AC/DC pour résister à l'invasion Michael Jackson quand il est mort.


Petite surprise : quelques auteurs de Polar en Nord vous posent une question.

Question de Michel Vigneron (Marilyne de Boulogne et Boulogne K) : « Si je te dis que tu es le François Guérif du nord, tu en penses quoi ? »


    Je suis très flatté et j'en rougis, mais c'est franchement exagéré et je soupçonne de la moquerie de ta part, Michel. Je me trompe ?


Question de Maxime Gillio (Le cimetière des morts qui chantent, L'abattoir dans la dune) : "Si tu avais les pleins pouvoirs chez Ravet-Anceau, quelle est la (ou les) décision(s) que tu prendrais (choix éditoriaux, publicitaires, relations avec les auteurs...) ?"

    Excellente question, il faut que je réfléchisse. Par moments, je suis content de ne pas avoir les pleins pouvoirs. Ça m'évite d'avoir à prendre des décisions difficiles (exemple : arrêter les frais en Rhône-Alpes).


Questions de Christophe Debien (L ‘affaire du boucher du Vieux Lille) : « Gilles as-tu eu des cheveux un jour ? Si oui, qu'est-ce que ça donne ? »


    Comme tout hard-rockeur qui se respecte, j'ai eu les cheveux longs (pas trop quand même) quand j'étais ado. J'ai quelques photos de cette époque. Sur celle de mon permis de conduire, je suis méconnaissable. J'ai également été mince, voire maigre comme un clou.


« Et cette rumeur à propos de la fondation d'un magazine de rock à l'étranger, il y a quelques années, c'est vrai ? On peut voir ? »


    Ce n'est pas une rumeur. En 1998, j'ai été responsable du développement du groupe de presse Freeway à Milan et mon premier travail a été la création de l'édition italienne du magazine Rocksound. La revue existe toujours. Daniel C. Marcoccia, le rédac chef de l'époque, est aujourd'hui à la tête des versions italiennes de Rockstar et de Groove. Vous pouvez vérifier sur sa page Facebook.


Question de Virginia Valmain (Les disparus de l'A16) : "Gilles, mon chéri, sachant que tu es rémunéré en fonction des ventes de tes auteurs, comptes-tu m'inviter au resto prochainement avec ce que je t'ai fait gagner ?"

    Pas de problème, Virginia, ce sera avec plaisir, mais tu te tiens correctement.



Merci beaucoup Gilles, on vous laisse le mot de la fin.

    J'avais prévu d'arrêter de travailler à 50 ans, mais c'est l'année prochaine et j'ai encore plein de trucs à faire.



Le blog de Polars en Nord

Le site de Ravet-Anceau

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