Fabrice Bourland

 




 
Mai 2010






Bonjour Fabrice Bourland, pour la première interview sur Plume Libre, vous ne couperez pas au rituel, pourriez-vous vous présenter ?
    Bonjour. J’ai 42 ans, j’habite dans le Val d’Oise, en région parisienne, avec ma compagne et mes deux enfants (un fils de 14 ans et une petite fille de 5 ans). Je travaille à Paris chez un éditeur de guides pratiques, à mi-temps, ce qui me permet de consacrer deux jours par semaine à l’écriture de mes romans.


 L’écriture a-t-elle été toujours présente dans votre vie ? Quel a été le déclic pour vous lancer dans l’aventure des romans ?
    Je ne peux pas dire que l’écriture a toujours été présente, de manière quotidienne. Ce qui l’a été sans conteste, c’est la littérature. Depuis l’université, je n’ai jamais cessé de participer à des fanzines, des revues. Au départ, je me projetais d’ailleurs plus comme éditeur ou directeur de collection que comme auteur. Pour ce qui concerne l’écriture à proprement parler, j’ai surtout écrit des textes courts, des nouvelles, des contes, des aphorismes, dont je n’avais pas forcément le souci de la publication. En 1999, j’ai intégré l’équipe d’un magazine appelé Nouvelle Donne, vendu en kiosques et consacré au genre de la nouvelle. On écrivait des articles sur les recueils qui paraissaient en librairies, on réalisait des interviews et des dossiers sur des nouvellistes réputés, et un cahier central était entièrement dévolu à la publication de textes inédits envoyés par la poste et sélectionnés par un comité de lecture. Un peu ce que vous faites sur « Plume Libre », mais sur support papier. Ces années de formation ont été primordiales, car c’est comme ça que j’ai acquis mon expérience. À cette époque, mes textes courts ont commencé à être publiés dans des anthologies qu’on faisait paraître en collaboration avec des éditeurs. Le seul souci, c’est qu’on nous rabâchait sans arrêt les oreilles avec le même discours, en gros que la nouvelle ne marchait pas et ne marcherait jamais en France, que notre travail était louable, mais voué à l’échec, et qu’il serait plus judicieux de se consacrer au roman. Après plusieurs années, le mag a eu des gros problèmes financiers et on a été contraint de stopper sa parution. J’ai eu beaucoup de temps libre d’un coup. Comme j’avais une idée pour un long texte fantastico-policier, je me suis mis au travail. C’est devenu mon premier roman : Le Fantôme de Baker Street .


Comment est né votre duo d’enquêteurs, Andrew Singleton et James Trelawney ?
    Au départ, Singleton et Trelawney, qui sont les héros du Fantôme de Baker Street, étaient voués à ne vivre qu’une fois, dans le cadre de cette seule aventure. Leur psychologie, leur biographie, a été élaborée en fonction de contraintes liées au scénario de cette histoire. Par exemple, le fait qu’Andrew soit le fils d’un spirite canadien a été commandé par le fait qu’un des éléments de l’intrigue était cette fameuse photo intitulé « Conan Doyle’s Return », prise lors d’une séance psychique à Winnipeg, en 1932, durant laquelle sir Arthur aurait tenté d’entrer en contact avec une médium. J’avais besoin que, d’une manière ou d’une autre, Andrew ait un lien, même ténu, avec  l’un des participants à cette réunion spirite.


Pourquoi le choix des années 30 pour baser vos récits ?
    L’intrigue de ce premier roman ne pouvait pas se passer à un autre moment qu’en 1932. Certains faits historiques (la mort d’Arthur Conan Doyle en 1930, la photo « Conan Doyle’s Return »…) sont étroitement imbriqués dans l’intrigue. Mais, comme je vous l’ai dit, ce devait être au départ une aventure sans lendemain pour mes personnages. Une fois que j’ai eu fini la rédaction du roman, je l’ai l’envoyé à quatre grands éditeurs, dont 10/18, parce que, pour moi, c’était un éditeur mythique dont j’avais sur mes étagères plein de volumes de littérature policière et fantastique, présentés par l’excellentissime Francis Lacassin. Deux mois s’étaient à peine écoulés que je recevais un coup de téléphone enthousiaste d’Emmanuelle Heurtebize, la directrice littéraire de 10/18 qui me proposait de publier Le Fantôme et, surtout, de poursuivre la série en écrivant une nouvelle aventure. J’ai eu à peine le temps de réaliser la chance que j’avais (depuis, j’ai su que seulement 0,4 % des manuscrits envoyés par la poste trouve éditeur, en France) que j’ai dû me mettre aussitôt au travail et entamer la rédaction du volume suivant : Les Portes du sommeil. Comme, dans Le Fantôme de Baker Street, mes deux détectives entame leur carrière en 1932, les enquêtes suivantes devaient forcément se passer après cette date.


 Vos romans mélangent habilement le genre policier, historique et fantastique.  Quelles sont vos influences ? Tirent-elles plutôt vers le polar, le fantastique, autres ?
    Mes influences viennent d’abord du fantastique de la fin de XIXe siècle et du début du XXe. Des auteurs comme Stevenson, Conan Doyle, Bram Stoker m’ont profondément marqué. Je suis venu au policier plus tard, mais de façon naturelle, car n’oublions pas que ce genre est issu de la littérature fantastique. Son inventeur, Edgar Allan Poe, l’auteur du Double Crime dans la rue Morgue, était avant tout un écrivain de la terreur sourde. J’ai aussi beaucoup lu de ce qu’on appelle les « détectives de l’étrange », qui est un sous-genre un peu passé de mode aujourd’hui et que j’avais envie de faire revivre : des auteurs comme Algernon Blackwood, Arthur Machen, William Hope Hodgson ont inventé des figures d’enquêteurs qui traquent le surnaturel dans les rues ténébreuses des grandes métropoles. A cela, j’ai ajouté l’aspect historique, car les années trente sont des années d’énormes tensions politiques, coincées entre la Grande Dépression de 1929 et l’entrée en guerre, tout ça sur fond de montée du nazisme et de nationalismes.

Comment choisissez-vous les thèmes et les courants artistiques qui sont abordés dans la série « Les détectives de l’étrange » ?
    Ces courants artistiques sont ceux que j’apprécie en tant que lecteur. C’est l’occasion pour moi de rencontrer, par l’entremise de la fiction, les écrivains que j’aurais aimé croiser dans la vraie vie. Franchement, j’ai adoré sauver la vie d’André Breton dans Les Portes du Sommeil, comme il m’a plu de donner la possibilité à Edgar Poe et à Gérard de Nerval de renaître de leurs cendres dans La Dernière Enquête du chevalier Dupin.

Dans « Le fantôme de Baker Street », le spiritisme est au cœur du roman.  Ce sujet vous a-t-il toujours fasciné ou avez-vous dû faire des recherches spécifiques dessus ?
    La possibilité de communiquer avec les morts est assez fascinante. Ma propre démarche, où j’essaie de mettre en scène des écrivains ou des mouvements littéraires disparus, s’apparente quelque part au spiritisme, de même qu’on pourrait dire, en forçant le trait, que la création littéraire en elle-même, que le travail de romancier, a grandement à voir avec l’activité du médium faisant tourner les tables. L’un comme l’autre font apparaître devant les yeux des spectateurs ou des lecteurs des entités qui ont un jour existé.

Singleton est fasciné par Gérard de Nerval, notamment par les circonstances de sa mort : est-ce aussi votre cas ?
    Oui, depuis toujours. En lisant, il y a plusieurs années, les biographies consacrées à Nerval, j’ai pioché des éléments de sa vie peu connus et tellement incroyables que l’histoire de La Dernière Enquête du chevalier Dupin s’est très vite imposée. Rendez-vous compte que le corps de cet écrivain génial, mort dans la plus grande détresse, obnubilé toute son existence par le thème du double, a partagé pendant plusieurs années son cercueil avec celui d’un autre pauvre hère, au Père-Lachaise.


De façon plus générale, y a-t-il de vous dans vos personnages ? 

    Un peu, forcément, surtout dans les affinités littéraires d’Andrew. Dans mon dernier roman, Le Diable Crystal Palace, qui vient de paraître, je partage avec Andrew la même fascination pour le roman d’Arthur Conan Doyle intitulé Le Monde perdu, où il est question d’animaux préhistoriques qui n’auraient pas totalement disparus de la surface du globe. C’est un livre que je relis régulièrement. En me lançant dans Le Diable Crystal Palace, mon pari était de remettre au goût du jour ce thème de la possibilité de réapparition des dinosaures, en invoquant une théorie totalement originale, qui laisse à l’imagination des perspectives à la fois infinies et terrifiantes. Le challenge était ardu, car je passe après de multiples œuvres cinématographiques qui ont fixé sur pellicules de méchants tyrannosaures et autres ptérodactyles, et il fallait faire du neuf. Honnêtement, c’est l’un des livres dont je suis le plus content, car les contraintes que je m’étais fixées étaient délicates, et pour tout dire le thème assez « casse-gueule ».


 On remarque une « fascination » chez certains auteurs d’aujourd’hui pour les auteurs d’hier (Arthur Conan Doyle, Gérard de Nerval, … pour  vous, Oscar Wilde pour Gyles Brandreth ou encore Edgar Allan Poe pour Louis Bayard, etc.). Dans votre cas, qu’est-ce qui vous a poussé à utiliser des auteurs, ou leurs personnages, dans vos romans ?
    Je ne sais pas. J’essaie d’écrire avant tout les romans dont j’ai envie, ou plutôt ceux que, en tant que lecteur, j’aimerais lire. Or, pour ma part, il se trouve que j’apprécie beaucoup les romans ayant pour cadre la littérature elle-même, soit que l’auteur fait revivre des grands romanciers ou poètes disparus (comme dans les romans de Réouven), soit que les personnages principaux font eux-mêmes métier d’écrivain (les bouquins de Paul Auster), soit que la littérature elle-même est la matière du récit (les romans déjantés de Jasper Fforde). C’est mon côté « postmoderne », pour parler pompeusement. De la même manière qu’au cinéma, j’affectionne les films qui sont eux-mêmes une réflexion sur l’art cinématographique et mettent en scène… des metteurs en scène (du Mépris de Godard à Gods and Monsters de Bill Condon, pour ce ne citer qu’eux).

Pensez-vous que les auteurs d’aujourd’hui et/ou leurs personnages seront un jour repris dans un roman par les auteurs de demain ?
    Je ne sais pas. Pourquoi pas. Il n’y a pas de raisons que ce soit toujours les mêmes.

Votre duo d’enquêteur connaîtra t-il de nouvelles aventures ?  Plus généralement, quels sont vos projets ?
    Je travaille en ce moment sur le scénario du volume suivant, qui se passera en 1937, quelques mois après la fin du Diable du Crystal Palace. Il y sera question des écrivains qui ont fait partie, au début du XXe siècle, de cette fameuse société secrète appelée « l’Aube dorée ». À l’époque du roman, ces auteurs sont vieux, ils ont plus ou moins rencontré le succès, mais on verra qu’ils ont toujours l’esprit vif. Après, Singleton et Trelawney devraient s’envoler pour Hollywood. S’il n’y a pas de nuage de cendres au-dessus de Londres pour les clouer au sol.

Merci beaucoup Fabrice Bourland, nous vous laissons le mot de la fin.

Merci à vous et à tous les lecteurs du site. Que la vie soit toujours riche en plaisirs de lecture. Il n’y a que ça de vrai pour oublier les soucis.

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