Marianne de Gréville - Meurtres pour rédemption


Lettre adressée à Plume Libre par Marianne de Gréville, héroïne du roman de Karine Giebel "Meurtres pour rédemption"
Je m’appelle Marianne. J’ai 21 ans.
L’âge où on a des projets plein la tête et l’avenir devant soi.
Pas moi.
Pour moi, l’avenir se résume à des barreaux, des grilles, des murs d’enceinte sur lesquels je grave mon désespoir.
Je ne suis pas là par hasard, je ne suis pas innocente.
J’ai tué. Et pas qu’une fois.
Jamais de sang froid, jamais avec préméditation.
Mais j’ai tué.
Certains disent que je suis malade, ils ont peut-être raison.
Certains disent que je suis irrécupérable, ils n’ont peut-être pas tort.
Je ne sais pas.
Tout ce que je sais, c’est que je regrette. Que j’aimerais pouvoir effacer mes crimes. Pouvoir les réparer.
Impossible.
Dans le fond, je crois que j’ai seulement manqué d’amour. Le genre de manque qui vous assèche de l’intérieur et vous transforme en bête féroce.
Alors, je suis en taule, pour perpète. Oubliée du dehors. Gommée de cette société qui a peur de ce que je suis et m’a précipitée au cœur d’un enfer qui, chaque jour, me rend plus féroce encore.
Avant d’aller en prison, j’étais l’impulsivité, la rage.
Depuis que je suis dedans, privée d’espoir, je suis la haine, la souffrance.
Un monstre.
Si un jour je sortais, je ne serais plus que l’ombre de moi-même. Une ombre maléfique. Égarée dans ce monde dont je ne connaîtrais rien, qui aurait évolué sans moi.
Il vaudrait mieux que je mette un point final à cette désastreuse existence… Mais il y a ce maudit instinct de survie qui s’invite toujours au dernier moment.

Je m’appelle Marianne, j’ai 21 ans.
Je suis parfois obligée de me remémorer mon prénom, mon nom, remplacés par un simple numéro. Un numéro parmi d’autres. Celui qu’on nous attribue la première fois qu’on franchit les grilles.
Gravé sur la peau, dans les chairs, sur le front…
Moi, Marianne, numéro d’écrou 3150.
Moi, Marianne. Plus dure que les barreaux qui m’entourent. Plus dure que ma peine.
Moi, Marianne, désert d’amour, océan de colère.
Moi, qui ne sait ni accepter ni respecter les règles. Qui passe mon temps à braver les interdits, à me révolter contre tout, contre rien.
Incapable de maîtriser cette violence qui bouillonne en moi, me submerge, m’étouffe parfois…
Alors, je me bats, je lutte, je refuse cette soumission qu’ils espèrent, qu’ils attendent. Ressembler à ces animaux enfermés derrière les grilles, résignés ? Jamais.
Capituler, ce serait ouvrir la porte à la folie.
Je préfère la mort.
D’ailleurs, je la provoque, étant trop lâche pour me la donner.
Mais elle ne veut pas de moi… Même la mort ne veut pas de moi.
Il faudra bien qu’elle finisse par vouloir de moi, pourtant. 
En attendant, je continuerai à être une épine dans leur pied, une écharde dans leur peau. Une maladie incurable, parfois mortelle.
Quelqu’un qui fait mal. Et se fait mal.
Blesser et me blesser pour avoir l’impression d’être encore en vie… D’être encore quelqu’un. 
C’est si dur d’affronter la culpabilité, sa propre culpabilité. Si dur d’affronter l’enfermement… La prison.
La prison… Comment l’expliquer ?… La décrire, la raconter ?
La prison, c’est la privation de liberté. Voilà ce que dit la loi.
Mais ce que la loi ne dit pas, c’est que la taule, ce n’est pas seulement une privation de liberté.
Ce sont les humiliations, chaque jour répétées.
Les brimades, encore et encore.
Et si tu ne sais pas te plier aux règles, courber l’échine, c’est parfois la torture.
Blanche ou noire.
C’est la promiscuité, infernale.
La faim, les manques en tout genre.
C’est l’apprentissage de la violence à l’état pur.
La folie qui te guette à chaque tour de clef dans la serrure.
Ce que la loi ne dit pas, c’est que la taule, ce n’est pas que ça.
C’est parfois l’amitié, si forte. La solidarité, l’entraide. Les rencontres auxquelles on ne s’attend pas, les regards, les sourires.
Et les rêves… Qui flottent dans chaque cellule et parviennent à se glisser entre les barreaux pour s’envoler vers ceux qui sont dehors. Ceux qui sont libres.
Libres, vraiment ?
Mais la liberté, c’est quoi, au juste ? Simplement l’absence de barreaux ?
Est-ce que ça existe, au moins ?
Si quelqu’un le sait, qu’il me le dise.
La liberté, la rédemption : simples chimères, sans doute.
Pourtant, souvent, je rêve qu’elles m’attendent quelque part.
Que je les trouverai, un jour…

Pourquoi je les ai tués ?

Marianne De Gréville
Numéro d’écrou 3150







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