Ledun Marin






Zone Est

 




 

Résumé par Marin Ledun :

C'est un roman de près de 500 pages, qui se situe à peu près 40 ans après aujourd'hui, et qui met en scène un chasseur d'informations cérébrales dans un lieu étrange appelé Zone Est, coupé du monde par d'infranchissables murailles, situé à peu près entre Lyon et Montpellier, dans l'ancienne vallée du Rhône, bouffée 35 ans plus tôt par un virus, et où les humains "biologiques" d'origine n'existent plus, ses habitants étant la proie à de profondes mutations génétiques mal contrôlées. Jusqu'au jour où notre chasseur découvre l'existence d'humains biologiques, et va être forcé de refaire l'histoire de la Zone Est.


Marin Ledun a déjà abordé le thriller pur et dur (Modus Operandi), le roman noir (La guerre des vanités), le techno-thriller (Marketing Viral), un poulpe (Un singe en Isère qui est un genre en soit) et une Mona Cabriole (Le cinquième clandestin). Avec "Zone Est", Marin Ledun s’attaque à un nouveau genre : L’anticipation tendance cyberpunk. Dès les premières pages, le lecteur est très vite happé dans le monde torturé de Thomas Zigler. Ceux qui avaient été effrayé par le coté technique de "Marketing Viral" peuvent se rassurer, ici un seul maitre mot semble avoir obsédé l’auteur : efficacité. Le lecteur sentira rapidement que l’histoire a été affuté pour le faire plonger d’emblée dans cette histoire complexe et foisonnante tant au niveau du déroulé que de ses personnages.

Si je pouvais me permettre une métaphore, je dirais que le récit va, non pas à 200 à l’heure, mais plutôt à 130 km/h. En effet, cela file vite, très vite, mais tout en respectant les limitations de vitesse imposées par l’aspect psychologique des personnages. Aspect qui passe assez souvent en second plan chez d’autres auteurs. Si les scènes d’action dégagent un maximum et donnent un sentiment d’aspiration du lecteur dans le livre, les scènes plus calmes apportent une profondeur et surtout une réflexion sur le monde qu’est Zone Est. Car, à travers toutes ces scènes d’action, Marin Ledun ne peut s’empêcher de continuer à creuser son sillon de chercheur en nous mettant en garde contre certaines dérives, technologiques en particulier, les plus pernicieuses, celles que l’on ne remarque pas. Cela est fait avec élégance et finesse sans jamais plomber le récit.

Thomas Zigler, le chasseur d'informations cérébrales, est un personnage en or, avec son métier peu orthodoxe et son expérience de vieux loup. Il tente de survivre dans le monde de Zone Est et parvient même à faire son trou quand commence l’histoire. Toute sa vie va du coup basculer. C’est ce basculement qui est intéressant. Le lecteur le suivra à travers les yeux de Thomas (sans mauvais jeu de mots pour ceux qui ont lu le livre) et au bout du roman, la vérité éclatera dans toute sa transparence aveuglante. On en regretterait presque de quitter ce personnage charismatique. Les personnages secondaires sont aussi très soignés, notamment la comparse féminine de Zigler qui, dans le style de femme forte, se situe dans la droite lignée d’Anna X d’Ayerdhal.

Je ne m’étalerais pas sur le style Ledun que j’ai assez loué dans mes autres chroniques. Mais force est de constater que celui-ci se marie extrêmement bien avec le genre cyberpunk. Ceux qui aiment l’imaginaire et les romans bien écrits peuvent se jeter dessus sans autre forme de procès. "Zone Est" fait en effet partie des romans visuellement très riches mais jouissant aussi d’un background passionnant et surtout d’une réflexion aiguisée sur l’évolution de l’Homme. Réflexion qui nous oblige à nous interroger sur nos choix de vie actuels. Bref, quand le fond sublime la forme, le lecteur sait qu’il tient une bombe.

Marin Ledun, après un excellent "Guerre des vanités", nous revient ici avec une anticipation cyberpunk dans la droite lignée des romans de Richard Morgan. Et il n’a rien à lui envier. Tous les deux nous emmènent très loin dans la réflexion sur l’avenir de notre société à travers des romans enlevés avec des scènes d’action démentielles. A conseiller donc aux habitués du cyberpunk ainsi qu’aux néophytes où le style de l’auteur de "Modus Operandi" vous prend par la main pour vous plonger dans le monde grouillant et décadent de la Zone Est.

"Zone Est" est la première tuerie littéraire de cette année 2011.

Extrait :La Zone Est est une immense zone urbaine et industrielle de deux cents vingt kilomètres du nord au sud, sur à peine quatre-vingts de l’est à l’ouest. Coincée entre les Alpes et le Massif Central, elle s’étend sur un territoire recouvrant jadis l’agglomération lyonnaise et la périphérie sud d’Orange, bien que ces villes ne renvoient plus aujourd’hui qu’à des noms fantomatiques tirés des livres d’histoire. Magma d’usines, de barres de béton gavées de centres commerciaux, d’habitations et de bureaux, et de landes stériles, elle n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’on appelait la Vallée du Rhône. La source s’est tarie et l’eau du fleuve a cessé de couler depuis longtemps. Son cours a été terraformé depuis, et abrite des centaines de mètres d’étages enfouis et de tunnels dédiés à l’agriculture biogénétique. Trois millions d’êtres humains à nourrir, à soigner et à panser. Plus de deux millions de travailleurs, et quelques électrons libres comme moi, suffisamment chanceux pour aller et venir où bon leur semble, au rythme des contrats et au cœur de la nuit artificielle. Son nom rappelle qu’à une époque, désormais révolue, les autorités en charge d’ériger le Mur et de nous isoler du reste d’un monde en dégénérescence ont caressé le projet d’un élargissement à l’ouest sur une surface équivalente, au-delà des Monts Lozère. J’avais sept ans quand les premières dalles de béton se sont dressées dans le ciel, à l’assaut des nuages. Depuis, personne ne sait comment a évolué le reste du monde, et vu les ravages causés par le virus pendant les mois qui ont précédé la fermeture totale de la Zone Est, et les dix années nécessaires à les endiguer puis les réparer qui ont suivi, je doute que quiconque ici ait envie de vérifier par lui-même. L’idée paraîtrait d’ailleurs incongrue, dans un espace vital où les frontières du Mur font office de fin du monde. Un peu comme quand les hommes croyaient la terre plate et redoutaient que leurs bateaux, trop avancés sur la ligne de l’horizon, ne tombent dans l’espace, dans le vide ou dans les flammes de l’enfer. Quiconque est né avant le Mur et lui a survécu sait de quoi je parle. Et ceux qui sont venus au monde après ne l’imaginent même pas. Le gouvernement des quinze a pris notre destinée en main quelques minutes après que le nanovirus ait échappé aux chercheurs de Toulouse, de Grenoble et de la proche banlieue parisienne. Le 18 décembre 2010, à treize heures et cinquante-quatre minutes exactement, pour une raison ignorée de tous, les expériences menées depuis des années sur le nanomonde ont toutes abouties à la même catastrophe. Comme si l’horloge interne des nanoparticules était réglée sur cette date depuis toujours. Comme si ce jour était gravé dans le marbre, quelque part entre deux photons et une chaîne génétique. Réactions en chaîne, mutations rapides, explosion des principales centrales nucléaires encore en activité dans le monde, rupture de toute activité électrique et magnétique, arrêt des télécommunications, chute des satellites et j’en passe. Les nanovirus se sont multipliés et répandus au gré des vents et de la matière vivante aussi sûrement que le microbe de la grippe aviaire dans un élevage de canards touchés par une épizootie. En mutant au contact de leurs hôtes, les nanovirus se sont attaqués en quelques heures aux organes du règne vivant, flore et faune. J’ai vu des hommes hurler, le cerveau et le foie rongés par des bactéries minuscules, avant de s’effondrer, terrassés en quelques minutes à peine. Des corps brûlés vifs par moins dix degrés, des membres pousser en dépit des lois de la nature, des femmes à deux têtes, des mômes à quatre jambes. J’ai moi-même perdu la vue et la plus grande partie de mon système digestif des suites de la contamination. Pour autant que je sache, de ces villes et des millions d’habitants, d’animaux et de plantes qui vivaient à proximité, il ne reste rien. Le reste est affaire de génétique aléatoire. Et de chance. Dans les années qui ont suivi, la seule préoccupation des survivants a été de tenir jusqu’au jour suivant, sans trop s’inquiéter du sort du reste de la population mondiale. Officiellement, aucun humain biologique n’a survécu en l’état. C’est du moins ce que je croyais encore dix minutes plus tôt, dans cette ruelle de la périphérie sud.

Zone Est, parution janvier 2011, éditions Fleuve Noir.

 Du même auteur sur Plume Libre : Biographie, chronique, interview


 
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