Lorris Murail







Avril 2011

 

 

 

Bonjour Lorris Murail, la première question est un petit rituel sur Plume Libre, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
Oui mais quoi ? Je ne sais pas ce que valent mes œuvres mais je suis au moins sûr d’une chose : ma vie ne vaudra jamais une biographie.  Elle se partage entre la lecture, l’écriture et la cuisine. Je pense être un assez bon cuisinier et un piètre lecteur. Ecrivain, je vous laisse juge. Sinon, père de quatre filles, infini sujet de contemplation et de satisfaction.

L’envie d’écrire a-t-elle toujours été présente dans votre vie ?
Toujours, cela remonte trop loin pour moi. Mais j’ai toujours été entouré de livres, oui. Plaie familiale.  L’envie d’écrire passe par la découverte des livres des autres. En ce qui me concerne, ce furent pour l’essentiel des romans et nouvelles de science-fiction. Voilà ce que j’ai voulu faire moi-même quand j’ai commencé, adolescent, à noircir quelques pages sur une machine à écrire mécanique (à l’époque il fallait de la volonté, au moins pour enfoncer les touches). Bref, ce n’était pas l’amour de la littérature, plutôt l’intérêt pour ce genre particulier, SF, ou encore fantastique,  qui me poussait. Après, on vieillit, on change.

 

Quelle est votre méthode de travail, avez-vous des petites manies, des rituels au moment d’écrire ?
Je suis un écrivain de nuit, exclusivement. J’ai beaucoup de mal à m’y mettre, chaque fois. Beaucoup moins à m’arrêter. Ne pas avoir de patron est une calamité (désirable entre toutes). Pas de rituel particulier sinon le désir soudain de faire autre chose. J’adore alors être dérangé. Ce que j’aime par-dessus tout, ce n’est pas écrire, c’est avoir écrit. Mais ça, franchement, ça vaut le coup. Pour ce plaisir d’avoir écrit, je suis prêt à tout. Même à écrire.


D’où vient votre inspiration et à quand remonte t-elle ?

Comme dirait Alexandre Vialatte (dont je ne saurais trop vous conseiller les œuvres), mon inspiration remonte à la plus haute antiquité. Elle vient de tellement loin que j’en ignore l’origine. Je ne suis d’ailleurs pas certain d’être inspiré. Mais j’aimerais bien. Vous savez, on a plutôt l’impression d’aller à la mine. On creuse (la cervelle, selon l’expression). Cela se dérobe, c’est démoralisant, si on cherchait de l’or on aurait le sentiment de tamiser du sable et de ne jamais dénicher la moindre paillette. Puis, soudain, c’est là. On sait ce qu’on va faire. Et, franchement, on n’a aucune idée de l’endroit d’où ça vient. On s’en moque. Le principal, c’est d’avoir cette illusion de savoir où on va et d’être assez fou pour croire qu’il faut vraiment y aller. Quand les autres vous disent qu’on a eu raison, on est vraiment soulagé.


Pourriez-vous nous présenter « Les Cornes d’Ivoire » ?

Les Cornes d’Ivoire, dont Afirik est le premier tome (sur trois en principe), est une uchronie.  Soit une sorte d’utopie temporelle, de relecture de l’Histoire dont on a modifié certains événements. En l’occurrence, je n’y suis pas allé avec le dos de la cuiller. J’ai supposé que les sociétés du Nord (européennes) s’étaient effondrées à la suite des ravages des grandes épidémies (peste) et que, simultanément, l’Afrique était parvenue à un niveau de développement proche de celui de notre milieu de XIXème siècle (civilisation de la vapeur et de l’électricité). Mais le point central est l’inversion de l’histoire de l’esclavage. La traite se fait dans l’autre sens. Et mon roman raconte les tourments d’une jeune Blanche, Mari, esclave dans une grande plantation africaine. Le reste est à l’avenant. Les Noirs posent sur les Blancs le regard méprisant ou condescendant que nous avons nous-mêmes posé pendant longtemps (encore aujourd’hui  ?) sur certains peuples que nous jugions inférieurs. Ce roman est celui de la libération de Mari, libération de sa conscience puis libération de son corps. Dans le second volume, elle découvre la terre de ses ancêtres. Le rêve de toute une vie. Mais cette découverte sera  rude, cruelle (sinon, je ne suis pas vraiment méchant, vous savez – ce n’est que de la littérature).


Votre roman traite de l’esclavagisme,  pourquoi avez-vous eu envie d’écrire un livre sur ce sujet et comment vous est venue l’idée d’inverser la situation ?

C’est un sujet que je connais assez bien, l’ayant déjà abordé dans un cadre plus classique (dans un roman intitulé Blanche-Ebène, qui se déroule au temps des « voyages triangulaires »). Je ne pensais pas remettre ça. Simplement, l’idée m’a frappé un jour (parfois, on est à la mine et on ne s’en rend pas compte… là , c’est magique). Oui, en lisant une histoire elle aussi classique (les pauvres Noirs dans les champs de coton). Tiens ? Et si ç’avait été le contraire ? Si on renversait le cours de l’histoire ? Etc.  Après, il n’y a plus qu’à dérouler le fil, à tenter de déduire de cette situation toutes les implications possibles. Bref, le travail commence. Il se trouve que l’éditeur à qui j’ai soumis ce projet  a manifesté un enthousiasme immédiat. J’ai donc eu la faiblesse de penser que peut-être il n’était pas si mauvais.


Pensez-vous que votre roman peut servir à ouvrir encore plus les esprits et que l’Homme se rende, enfin compte qu’on « n’asservit pas l’autre parce qu’il ne nous ressemble pas* » ?
Eh bien, en tout cas, ce ne serait pas dommage. Je suppose même que l’Homme dont vous me parlez aurait pu s’en rendre compte sans que j’aie à le lui dire. Mais je n’ai pas de telles prétentions ni n’écris pour donner des leçons de morale. Je raconte des histoires et chacun en tire la morale qu’il veut.  Ce n’est jamais moi qui parle dans un roman, ce sont des personnages. La confusion est fréquente chez les lecteurs, ce pourquoi j’y insiste. Les personnages parlent pour eux-mêmes, pour ce qu’ils sont. Aucun ne me représente ni n’est mon porte-parole.



Ce roman, qui aborde des thèmes forts et aurait pu être destiné aux adultes, est édité en jeunesse, pourquoi ce choix ?

Cela s’est fait naturellement, comme ça, du fait que comme je l’ai dit l’intérêt de l’éditeur (Pocket Jeunesse) a été déterminant dans ma décision d’entreprendre cette aventure qui n’était pas sans risques. Par ailleurs, l’édition dite pour la jeunesse a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Nombre de romans publiés dans ce cadre auraient été autrefois destinés aux adultes et peuvent donc être lus par un public étendu. J’imagine qu’on a longtemps sous-estimé enfants et adolescents (d’où la condescendance avec laquelle d’aucuns, qui n’ont pas noté cette évolution, traitent encore aujourd’hui la littérature pour la jeunesse). Avec notamment le phénomène Harry Potter, les jeunes lecteurs se sont trahis. On sait désormais qu’ils peuvent s’attaquer à des œuvres longues et d’une certaine exigence. Cela étant, il est probable que Les Cornes d’Ivoire seront ensuite publiées en édition de poche dans une collection adulte. En tout cas, ça m’irait très bien.

 

En commençant ce 1er tome, aviez-vous déjà en tête le déroulement de toute l’histoire ?
L’essentiel, oui, je pense. Je n’aime pas m’aventurer sans savoir où je vais. Je ne suis pas Simenon, qui partait avec dix mots griffonnés sur un bout de papier. Je suis trop angoissé pour faire ça. J’ai besoin d’avoir des repères précis, de savoir quelles seront les principales étapes de la narration. Ensuite, bien sûr, on est jamais à l’abri des surprises. Le roman secrète sa propre logique et on s’attend qu’il nous conduise tôt ou tard sur des terrains qui n’avaient pas été balisés.


Qu’auriez-vous envie de dire aux lecteurs qui n’ont pas encore lu vos livres ?

Mais où étiez-vous donc, malheureux ? Sachez que j’en ai de toutes les sortes et à tous les prix ! Il y en a même avec des images.


Vous êtes un auteur « touche à tout », mais également traducteur de celui qui reste un maitre aux yeux de beaucoup, Stephen King. Qu’est-ce que cet auteur vous a apporté ?
King est un auteur paradoxal. Si on parle de littérature, c’est un sous-doué. Si on parle de force narrative, c’est un génie. Si bien que certains de ses romans sont extraordinaires, d’autres désastreux (selon le côté qui l’emporte en quelque sorte). J’ai en tout cas la plus grande admiration pour sa puissance de travail et son obstination. Ce type a fait des progrès monumentaux. Et il a fini par écrire des romans qui sont tout simplement très bons. Je lui connais peu d’égaux quand il s’agit de faire vivre des personnages ordinaires et c’est un remarquable observateur de la société américaine. Au fond, il n’est vraiment mauvais que quand il bascule dans le pur registre fantastique.



Quels sont vos projets ?
Je termine le second volume des Cornes d’Ivoire (Septentrion) qui se passe donc dans l’Europe dévastée par les épidémies et colonisée par les Afirikains. Puis je travaille sur un projet théâtral assez étrange, qui tourne autour de la personnalité de l’écrivain de SF américain Philip Dick.


Merci beaucoup Lorris Murail, nous vous laissons le mot de la fin.
Merci à vous. Fin.

*Ker Samba page 343

Du même auteur : Biographie, chronique, interview

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