Ledun Marin






Les visages écrasés

 





Marin Ledun - Les visages écrasés - Carole Matthieu Médecin du travail, stress, bourreau, humiliations, victime, Beretta, Stilnox, effort, noir, désespoir, courage, suicide, open-space, syndicat, Revel, obsession, agression, double écoute, dépression, management, non-assistance à personne en danger, plate-forme téléphonique, médicaments, meurtres.
Le point commun : Les visages écrasés.


Il n’est pas utile de déflorer l’intrigue du dernier roman de Marin Ledun. Vous l’aurez compris, l’auteur de Zone Est signe ici un roman d’une noirceur rarement égalée. Ecrit à la première personne, à savoir le docteur Carole Matthieu, il dépeint l’univers des centres d’appel et les souffrances liées à ce type de travail. Mais si Marin Ledun prend pour départ un contexte connu pour avoir défrayé la chronique, il s’agit en fait d’une vision propre au monde du travail en général. L’auteur de Modus Operandi dénonce les méthodes de management considérées par tous comme acquises alors qu’elles génèrent de graves problèmes psychologiques ou physiques sur les salariés.


Pour appuyer sa thèse, Marin Ledun utilise le personnage du médecin du travail. Utilisation maligne, car déjà originale en soi, et surtout elle est la clé de voûte de l’entreprise fictive décrite dans le roman. Clé de voûte pour les salariés, mais empêcheuse de tourner en rond pour la direction. Sans jamais tomber dans le manichéisme (les bourreaux ne sont pas si différents des victimes), il livre un propos mesuré mais sans appel sur les conditions de travail des salariés. Il s’appuie sur sa propre expérience, qu’il a relaté dans le recueil Pendant qu’ils comptent les morts, ainsi que sur son expérience de chercheur. De tout cela découle une très forte impression de vécu. Le personnage de Carole Matthieu est une vraie réussite dans la mesure où l’auteur parvient à nous faire suivre la descente aux enfers physique et morale de ce salarié pas comme les autres.


L’inconvénient de l’écriture à la première personne est que les autres personnages sont un peu plus en retrait ou, du moins, ne nous parviennent qu’à travers la rétine de Carole Matthieu. Cette distance naturelle, en raison du choix de narration, pourrait gêner certains lecteurs. Cependant, le but de Marin Ledun semble vouloir nous faire comprendre l’engrenage de la violence en entreprise. Et c’est une réussite, le lecteur ne peut que compatir à la douleur et à la violence de la vie de Carole Matthieu. Elle-même brisée par son travail.


Ce roman est un constat. Aucune solution miracle n’est à espérer. Juste comprendre le phénomène qui, malheureusement, est voué à prendre de l’ampleur si rien ne change rapidement. Mais au-delà du monde du travail, il s’agit de la remise en cause de notre mode de vie en général. On remarque que si Marin Ledun creuse le même sillon que dans ses précédents romans, la forme, elle, varie beaucoup. Autant, par exemple, Zone Est était vif et fun, autant Les visages écrasés est dense, immobile et plombé. Le lecteur ne respire pas dans ce roman, il vit au rythme des personnages et survit à travers leurs blessures. Une très belle expérience d’empathie par mots interposés.


Les visages écrasés est un roman fort, poignant, à déconseiller formellement aux personnes n’ayant pas le moral. Car il en faut une sacrée dose pour sortir indemne de la lecture du neuvième roman de Marin Ledun. Ce roman peut décontenancer certains lecteurs par le côté obsessionnel du médecin du travail, mais cet aspect du roman est primordial pour comprendre la psyché de l’héroïne.
Une lecture prenante, forte, mais exigeante et dure. Les visages écrasés n’est pas un livre qui s’aborde facilement, non à cause du style (toujours aussi impeccable), mais à cause du thème. Un roman à lire pour comprendre et pour ressentir.

Les visages écrasés, parution avril 2011, Editions du Seuil
Nouvelle édition décembre 2016, éditions Points
 




 
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