Jed Rubenfeld

Jed Rubenfeld

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Bonjour Jed Rubenfeld, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre parcours ?

Bonjour et merci pour cette interview. Par où commencer ? Je suis professeur de droit à l’université de Yale, un acteur raté, un expert en droit constitutionnel assez reconnu et accidentellement un romancier à succès. J’ai eu beaucoup de chance avec mon premier roman L’interprétation des meurtres qui a été traduit dans plus de 30 langues et vendu à plus d’1 million d’exemplaires dans le monde. Je vis à New Haven dans le Connecticut avec mon épouse, Amy Chua, et mes deux brillantes filles, l’une d’entre elles va d’ailleurs nous quitter pour l’université cette année. Amy, qui est également auteure, et moi gardons toujours nos affaires familiales très secrètes. Concernant nos décisions parentales, par exemple, ou tout autre aspect de notre vie familiale, je ne pourrais pas permettre le moindre aperçu public.


Votre nouveau roman L’origine du silence vient de paraître (Fleuve Noir), pourriez-vous nous le présenter ?

L’Origine du Silence est une histoire d’amour, d’aventures et en ce qui concerne ses bases historiques, une histoire vraie. Le roman commence par un événement réel : par un matin clair de septembre, les Etats-Unis sont frappés par le plus meurtrier et le plus important attentat terroriste de l’histoire du pays, ayant pour cible le centre financier national dans le bas de Manhattan. Mais il ne s’agit pas du 11 septembre 2001, il s’agit du 16 septembre 1920. Etonnement, presque personne, même aux Etats-Unis, ne se rappelle l’attentat à la bombe de 1920 à Wall Street, malgré ses ressemblances troublantes avec le 11 septembre et les leçons qu’il aurait dû nous apprendre. Moi-même, je n’en savais rien jusqu’à il y a quelques années. A ce jour, nous ne savons pas avec certitude qui était derrière cet attentat à la bombe de Wall Street. Mon livre raconte l’histoire de la vérité cachée derrière cette attaque – et pourquoi les auteurs n’ont jamais été attrapés. En même temps, il raconte aussi une histoire sur aujourd’hui – la corruption, la guerre et ce que Freud appelait la pulsion de mort.

Sigmund Freud est un des personnages principaux de L’interprétation des meurtres et il apparaît également dans L’origine du silence. D’où vous vient cet engouement pour ce personnage et de manière plus générale pour la psychanalyse ?
Sigmund Freud, pour certains, ce nom évoque le complexe d’Œdipe, le désir anatomique féminin et d’autres théories sexuelles tristement célèbres. Mais en réalité, en mettant de côté toutes ces théories, nous continuons à vivre et à aspirer à un monde d’idées que Freud nous a légué. L’idée de l’inconscient ; les peurs profondes et les désirs qui nous motivent sans que nous en ayons conscience ; la connaissance de soi en revenant sur notre enfance ; le traitement de la santé mentale par la parole. Pour le meilleur ou pour le pire, nous considérons toutes ces idées pour acquises aujourd’hui, et elles sont toutes profondément freudiennes.


A la lecture de vos romans, on se rend compte du colossal travail de recherches que vous avez dû effectuer au préalable et qui vous permet de restituer parfaitement dans vos écrits l’atmosphère de l’époque. Comment travaillez-vous à ce sujet ?

Merci. Je travaille beaucoup sur les exactitudes historiques de mes livres et c’est quelque chose dont je suis fier. L’origine du silence comprend plusieurs scènes et évènements qui peuvent paraître incroyables – sauf qu’ils sont historiquement vrais. Par exemple, un dénommé Ed Ficher, 4 fois vainqueur de l’US Open de tennis, a envoyé des cartes postales à une demi-douzaine de ses amis avant l’attentat pour les prévenir qu’une énorme bombe allait exploser à Wall Street le jour en question. C’est comme si quelqu’un avait envoyé une demi-douzaine de cartes postales à ses amis avant le 11 septembre en leur disant de ne pas se trouver au World Trade Center car des avions allaient percuter les tours le 11 septembre. Savez-vous ce que le gouvernement a fait avec Fisher ? Ils l’ont déclaré fou et enfermé dans un institut psychiatrique. A ce jour, les historiens ne comprennent pas comment Fischer aurait pu avoir connaissance de l’attaque et affirment qu’il a juste eu de la chance. Si j’avais imaginé tout ça, les lecteurs l’auraient difficilement trouvé crédible. Mais c’est vrai et mon histoire imagine un secret derrière le mystérieux Fisher.
En général, être fidèle aux faits et lieux historiques n’est pas le plus difficile. Il existe beaucoup de matériel historique ; l’auteur doit juste trouver l’énorme masse de temps nécessaire pour l’étudier – lire des livres, rechercher les archives des journaux, déterrer de vieilles photographies, voyager pour avoir une vision de première main. Trouver les bonnes personnes – les personnages historiques – est beaucoup plus difficile. Je trouve les lettres très utiles quand elles existent, pour avoir une idée de comment les personnes utilisaient le langage – ou comment les autres les percevaient.

Younger et Littlemore sont des personnages de fiction. Comment sont-ils nés et avez-vous des traits de caractère communs avec eux ?
Leur relation avec moi est simple. Je souhaiterai être plus comme Littlemore ; alors qu’en réalité je suis plus un Younger. Le livre se déroule en 1920. Younger qui s’est battu lors de la 1ère guerre mondiale, l’une des plus sanglantes et meurtrières de l’histoire humaine et aussi la plus inutile, revient de cette guerre, endurci, sans peur et sceptique – un homme d’actions qui pose un regard froid sur la vie et la mort. Mais ensuite il tombe amoureux, malgré lui. Peut-être que si vous faites un croisement entre Humphrey Bogart de Casablanca ou Clint Eastwood, avec un chirurgien formé à Harvard, vous auriez Stratham Younger. Littlemore est un genre particulier de héros américain avec lequel j’ai grandi – une espèce de Jimmy Steward, si vous me pardonnez une autre référence à Hollywood. Il est honnête, intelligent, indépendant, idéaliste ; il hait la corruption et l’abus de pouvoir. Il est de nature optimiste mais il a aussi des problèmes secrets et doute de lui-même.

Qu’est-ce qui vous pousse à utiliser des faits historiques et des personnes ayant existé dans vos romans ?
Je suppose que je l’ai fait car j’aime lire des romans historiques moi-même. Mon but pour les lecteurs de L’origine du silence c’est qu’ils se sentent comme s’ils vivaient dans la ville de New York en 1920, qu’ils entendent ses bruits, qu’ils voient ses buildings, tout en apprenant sur un lieu et une époque qu’ils ne pourront jamais visiter réellement.

Vos romans mélangent habilement le genre policier et historique. Quelles sont vos influences ?
Pour ma part, dans le genre policier, Graham Green et Conan Doyle sont les maîtres (en anglais). Pour le genre aventure et reproduisant une période historique, je prends l’inspiration de Patrick O’Brian, l’auteur d’une série très populaire de romans maritimes se déroulant principalement pendant les guerres napoléoniennes.


Que ce soit L’interprétation des meurtres ou L’origine du silence, vos romans se situent au début du 20ème siècle, envisageriez-vous d’écrire un livre se passant à l’époque actuelle ?
Je dois d’abord terminer la série Younger-Littlemore. Il y en aura sept au total, chacun d’entre eux se concentrera sur une décennie de l’histoire des Etats-Unis. J’ai juste terminé le 3ème volet qui se déroulera pendant la Grande Dépression, dans lequel nos deux héros vont monter sur scène en tant que danseurs de claquettes de music-hall afin de sauver leurs familles de la faim. Dans le tome sept, Younger and Littlemore dans leur quatre-vingtième année, vont ramper à travers la jungle remplie de napalm du Vietnam, tout en résolvant le vrai mystère derrière le Watergate. Je plaisante, bien entendu. La réponse sérieuse à cette question est oui, j’aimerai beaucoup écrire quelque chose se déroulant à notre époque.


Vos romans sont traduits dans de nombreux pays. Quel sentiment éprouve un auteur quand ses livres voyagent dans le monde ?
C’est un grand honneur. La traduction peut être difficile, bien sûr. Je me rappelle quand le Japon a publié un de mes livres. Il s’agissait d’un livre universitaire et en anglais le titre était The right of privacy (le droit à la vie privée). Apparemment le titre a entraîné un gros problème pour les traducteurs japonais ; ils m’ont dit que le japonais n’avait pas de mots pour « privacy ».


Merci beaucoup Jed Rubenfeld, nous vous laissons le mot de la fin.
Merci. J’espère juste que vous me pardonnerez mon pauvre français quand je viendrai à Paris en septembre pour la sortie de L’origine du silence.

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