Mikaël Ollivier

Mikaël Ollivier





Octobre 2011

 






Bonjour, Mikael Ollivier, pouvez-vous nous faire un petit autoportrait pour les lecteurs de plume-libre.com ?
A 15 ans, j’ai séché les cours plusieurs lundis après-midi de suite pour suivre un cycle de films d’Alfred Hitchcock au cinéclub de ma ville. J’en suis sorti bouleversé, avec la conviction que c’était ça qu’il fallait que je fasse plus tard. Ça quoi ? Je n’en savais rien encore, mais pointait l’idée d’une vie plus grande, qui saurait répondre à mes brouillonnes et impérieuses aspirations.
Romans pour la jeunesse, pour les adultes, polars, récits intimistes, scénarii de films… quelque 25 années ont passé et plus qu’écrivain, je me sens « raconteur d’histoire », le ça de mon adolescence.


Mikaël Ollivier - Quelque chose dans la nuitQuelque chose dans la nuit est un roman qui marie deux de vos passions : le polar et Bruce Springsteen. Avez-vous, à un moment, douté de ce mariage car trop passionnel ou c’était une alliance inéluctable ? Comment est né ce roman ?
Je crois que j’avais envie, ou besoin, de « faire quelque chose » de ma passion de l’œuvre de Bruce Springsteen. Peut-être pour la justifier à mes yeux ! Car je suis un fan, comme Damien dans le roman, qui s’interroge, qui se demande si tout cela est bien raisonnable. Bien sûr que ça ne l’est pas ! Avoir vu cet artiste plus de 70 fois sur scène, en France, mais aussi partout en Europe et aux Etats Unis ! J’avais envie de creuser la question, de m’interroger moi-même. De là est née l’étincelle du roman. Ensuite, je me suis dit que c’était un sujet qui pouvait intéresser les autres, et que toute cette matière, ce domaine que je connais si bien, qui a compté durant plus de 20 ans de ma vie serait un bon décor pour parler du phénomène des fans.
Ce qui a été difficile, c’est de m’adresser à tous, et surtout pas seulement aux fans de Springsteen. Pas aux spécialistes. Il m’aurait certainement été plus simple d’inventer une star, j’aurais été plus libre, mais à l’arrivée, je suis certain que le roman aurait été moins personnel et moins original.
Et l’aspect « historique » du roman m’a beaucoup amusé. Choisir une vraie tournée, celle de 2007/2008, bâtir mon intrigue autour de son itinéraire, des vraies dates de concerts et m’offrir le plaisir de quelques scènes dans la peau de Springsteen était de l’ordre de la gourmandise…


On ne peut pas évoquer Quelque chose dans la nuit sans parler du Boss, l'univers de ses concerts et ses chansons accompagnent votre roman. Alors deux questions sur Bruce Springsteen : que représente-t-il pour vous par rapport à d’autres chanteurs et quel moment d’un de ses concerts gardez-vous à jamais en mémoire ?
Je ne suis pas du tout un fan de rock, mais seulement de Springsteen. J’ai une formation de musique classique, j’ai fait 20 ans de piano, et j’écoute plus d’opéra que de rock. J’ai connu Springsteen à l’adolescence, par mon frère aîné, et quelque chose s’est produit. Sa musique, ses textes et son intégrité artistique, m’ont touché et sont immédiatement devenus sources d’inspiration, pas tant dans mes écrits que dans ma démarche d’auteur. Je crois aussi que sa musique est devenue un lien précieux entre mon frère et moi, et que ça a compté dans la naissance et la longévité de cette passion.
Je tiens Springsteen pour l’un des grands artistes de ces 40 dernières années, à l’image d’un Philip Roth… Springsteen est un grand auteur qui a trouvé dans la musique pop son mode d’expression parce qu’elle était la seule forme culturelle à avoir pénétré son univers familial durant son enfance. Pas de livres, pas de tableaux, de musées, mais la radio et le top 50 qu’écoutait sa mère dans la cuisine. S’il avait été d’un autre milieu, qu’il y ait eu des livres à la maison, je ne doute pas qu’il serait devenu l’un des écrivains majeurs de son temps.
J’ai de nombreux souvenirs de concerts inoubliables. Le premier qui me vient à l’esprit est l’interprétation de Lost In the Flood au Madison Square Garden de New York, pour le dernier concert du Reunion Tour, en 2000.



Votre actualité est double en cette rentrée littéraire avec ce polar Quelque chose dans la nuit et le roman jeunesse Le monde dans la main. Comment travaillez-vous la conception de vos Romans ? Est-il facile de passer d'un univers à l'autre (polar - jeunesse) ou d'un genre (roman - scénario) ?
Le travail de scénariste est à part. Il est moins solitaire, moins libre, aussi. Surtout, un scénario n’est qu’un outil de travail pour une équipe, qu’une étape de la construction d’une œuvre collective, alors que le roman est un tout.
Je n’ai aucun problème à passer des romans pour adultes aux romans pour les jeunes. D’ailleurs, dans mon travail « jeunesse », je n’écris pas pour les jeunes, mais sur les jeunes. J’adopte le point de vue d’un jeune et je parle du monde par ce prisme. Ensuite, le travail est le même, être au plus près de mes personnages, de leur vérité, et, comme le disait Colette, « écrire comme personne avec les mots de tout le monde. »
Ce sont bien souvent les idées qui me guident. Je n’aurais jamais écrit de polars si je n’avais pas imaginé un jour, à la lecture d’un article sur le phénomène émergeant des sites webcam, une scène de meurtre en direct sur Internet. Je ne pouvais en faire qu’un polar, et je me suis lancé (pour écrire Trois souris aveugles, chez Albin Michel). J’ai découvert un genre, que j’ai continué d’explorer depuis.


Vous avez également écrit beaucoup à quatre mains, que vous ont apportées ces différentes collaborations ? Avec quel auteur aimeriez-vous travailler ?
J’ai appris avec ces expériences que ce n’était pas facile d’écrire un livre à deux, et qu’en plus du travail sur le livre lui-même, il fallait apprendre la diplomatie et la psychologie ! Gérer son propre égo et celui du coauteur et souvent plus compliqué que de trouver le mot juste ! Et accepter que le livre ne soit pas entièrement à soi… J’ai aussi, récemment, signé un scénario avec Franck Thilliez qui, comme moi, est romancier et scénariste. C’est nettement plus simple pour un scénario qui est un travail beaucoup plus morcelé, et qui demande un investissement personnel moindre.


Quelque chose dans la nuit est un polar qui prend le temps de s’intéresser à l'humain, avec une galerie de personnages très approfondie. C’est le cœur de ce roman avec les chansons de Springsteen. Êtes-vous d’accord si on trouve que votre style est proche des polars scandinaves (Mankell, Indridason…) dans l’approche plus humaine de l’intrigue et votre façon de suggérer la violence ?
Je suis un inconditionnel de Mankell que je tiens pour l’un des auteurs majeurs du moment. Votre comparaison ne peut que me flatter. Quel que soit le genre que j’aborde, c’est l’humain qui compte pour moi, bien avant l’intrigue, sa résolution, la violence… Tout doit être au service de la connaissance de mes protagonistes. Avec La promesse du feu, mon précédent polar pour lequel j’ai inventé les frères Le Guen, qui sont aussi les héros de Quelque chose dans la nuit, j’ai eu la sensation de trouver enfin ma voix en polar. Ma voix et ma voie. Pour moi, par ces deux livres, je fais du « thriller intimiste », une école littéraire dont je suis l’inventeur et le seul membre !!



Comment avez-vous créé vos personnages ?
Dans Quelque chose dans la nuit, on retrouve les héros de La Promesse du feu. C’est la première fois que je fais cela, et ça s’est imposé à moi car je me suis attaché aux frères le Guen, sans oublier leur mère Nancy, personnage haut en couleurs qui ressemble beaucoup à ma grand-mère. Au départ, j’avais envie de parler de la fraternité, et je trouvais riche de créer un duo gendarme et flic. J’ai eu envie de poursuivre le chemin avec eux, et j’ai d’autres projets à venir. Je compte bien vieillir à leurs côtés. Je trouve passionnant de continuer à creuser ma connaissance de ces personnages, chaque fois par une intrigue différente.
Il y a beaucoup de personnages dans ce nouveau polar puisque l’intrigue suit une bande de fans français au long d’une tournée de concerts de Springsteen. J’ai essayé de refléter au mieux la diversité que j’ai rencontrée dans la réalité chez les fans. Depuis plus de 20 ans, je me suis fait des amis en tournée, des amis de concerts, et ils viennent de milieux très divers. Ce qui nous réunit, c’est une passion commune. C’est aussi ce qui réunit mes personnages, et qui sème la mort dans leur groupe.


Quelque chose dans la nuit est aussi un roman sur le destin, (comment celui-ci peut basculer en un instant), sur le poids du silence et sur la vengeance. On peut penser aussi par opposition à la confession, à la rédemption et au pardon, à la dualité entre le bien le mal… Est-ce que cette vision religieuse est volontaire de votre part ?
L’aspect religieux du roman fait partie de ses éléments qui s’imposent à moi sans que ce soit prémédité. J’ai reçu une éducation catholique, et si j’ai fait, depuis, le choix de ne plus croire, ma culture est imprégnée de religion, dont les symboles et les images sont partout dans notre société. Comme, d’ailleurs, dans l’œuvre de Springsteen, ce qui n’est sans doute pas un hasard. Damien, l’un de mes deux héros, est catholique pratiquant, trouvant, quand son métier de Technicien d’Identification Criminelle est trop dur, la paix et le réconfort dans une église proche de sa caserne. Eglise qui est le décor de la scène finale du roman, où il est effectivement question de pardon, de culpabilité et de rédemption.
Je crois que plus qu’un autre genre littéraire, le polar manie les grands thèmes et les codes de la religion, ne serait-ce que parce qu’en son cœur se trouve l’affrontement du bien et du mal.


Mikaël Ollivier - Le monde dans la mainPouvez-vous nous dire quelques mots sur votre roman jeunesse Le monde dans la main ?
Le monde dans la main a pour héros un adolescent de 16 ans un peu à part. Un Versaillais, (trop) bien élevé, sage, prudent, angoissé, très réfléchi et observateur, grand amateur de musique classique. Du jour au lendemain, sa mère disparaît sur ces mots, envoyés par SMS : « Ne vous inquiétez pas pour moi, je n’en peux plus, c’est tout. » Cette soudaine disparition va faire voler en éclat l’équilibre d’une famille bien sous tout rapport, et qui va se révéler à Christophe bien plus complexe qu’elle n’y paraît, pleine de secrets et de passions enfouies. En quelques mois, l’adolescent va devoir apprendre à abandonner ses peurs, une partie de sa sagesse, à « grandir » pour se hisser à la hauteur de ce la vie à a offrir. Pour comprendre qu’il tient le monde dans sa main s’il s’en donne les moyens.

Vous êtes un grand défenseur du genre littéraire souvent oublié : La nouvelle. Avez-vous quelques coups de cœur dans ce domaine à nous faire partager ou découvrir ?
Le recueil de nouvelles qui m’a le plus marqué ces dernières années est L’amour est très surestimé, de Brigitte Giraud. J’ai beaucoup aimé aussi les derniers recueils du regretté John Updike. Je dirige une collection de nouvelles pour les éditions Thierry Magnier, et suis fier d’avoir mis la main sur de très beaux textes, comme Un soir à Beyrouth, de Sélim Nassib, qui pour moi est un chef d’œuvre.


Quels sont vos projets ?
Ils sont nombreux. Bientôt, Insoupçonnable, le téléfilm que j’ai écrit avec Franck Thilliez, devrait être diffusé sur France 2, et au printemps prochain devrait se tourner à Mayotte, toujours pour France 2, l’adaptation de mon roman Tout doit disparaître (Thierry Magnier).
J’ai deux projets pour le cinéma, mais qui n’en sont qu’à leurs balbutiements.
Côté littérature, je suis dans la dernière partie d’un roman qui ne sera pas un polar, et compte enchaîner ensuite sur un thriller pour la jeunesse. Puis viendra le temps d’écrire mon troisième polar avec les frères Le Guen, dont j’ai le thème et les grandes lignes en tête.


On a envie de vous demander votre bande son idéal pour Quelque chose dans la nuit ?
Something In The Night, bien sûr, la chanson de Springsteen qui donne son titre à mon roman et qui joue un rôle essentiel dans son intrigue. Je l’ai écoutée en boucle pour la rédaction de chaque scène de meurtre, alors que d’habitude, j’ai toujours besoin de silence pour écrire. Alors que le roman se déroule sur le Magic Tour de 2007 et 2008, c’est l’album Darkness On The Edge Of Town qui m’a accompagné pendant la conception de ce roman.


Dans votre œuvre, si vous ne deviez garder qu’une phrase, ce serait laquelle ?
Question difficile. Et comme je me vois mal me livrer à l’exercice hautement égocentrique de feuilleter mes romans à la recherche de la perle rare, je vais choisir la première phrase qui me vient en mémoire, et qui ouvre mon deuxième polar : L’Inhumaine nuit des nuits :
« Je n’ai jamais aimé la nuit. »
C’est mon « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » à moi !

Merci Mikael Ollivier, on vous laisse le mot de la fin.
Et je le laisse à Bruce Springsteen, pour ces mots tirés de Something In The Night, et qui sont au cœur de mon roman : « Rien n’est oublié ni pardonné. »
Bonjour Thierry, notre dernière interview avec vous date d’avril 2009, que s’est-il passé dans votre vie professionnelle depuis tout ce temps ?

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