Catherine Fradier

 

 
Catherine Fradier

 

Petit rituel de présentation : qui est Catherine Fradier ?
     Catherine Fradier est tout simplement un auteur. J'écris des nouvelles, des romans. Depuis peu je travaille sur des développements de projets de fiction avec des maisons de production et destinés à la télé. Et quand je n'écris pas, j'accompagne à l'écriture. J'interviens régulièrement dans des établissements scolaires, collèges et lycées sur l'écriture de nouvelles ou de scénarios qui sont ensuite tournés.

 

Comment de réceptionniste, commerciale, surveillante de nuit, agent de sécurité, assistante administrative, VRP dans l'édition pour la jeunesse, caissière dans une station-service de l'A49 d'où il parait que vous vous êtes enfuie en courant, barmaid, fonctionnaire de police, commerciale, propriétaire d'un bar restaurant dans le Vercors, on doit avoir tout cité ... Donc comment à partir de tout cela devient-on  auteur ?
     Comme des millions de gens j'ai travaillé pour gagner ma vie. Et quand j'avais fait le tour du job je partais parce ce que je m'ennuyais dans mon travail. Je ne supporte pas l'ennui, c'est du temps définitivement perdu.
J'écris depuis 1995 et j'ai pendant longtemps concilier mon job et l'écriture. Aujourd'hui, je passe mes journées à lire et à écrire. Que du bonheur!

 

Quel est le boulot dont vous gardez le meilleur souvenir, quel est celui que vous n'avez jamais fait mais qui vous tente ?
     Je garde un souvenir sympa de chacun de mes boulots dans la mesure où j'y ai passé peu de temps.
J'aurais bien aimé être pilote d'avion. Mais c'était avant le 11 septembre. Maintenant j'ai peur.

 

Dans la colère des enfants déchus vous dénoncez les réseaux pédo-criminels et toute l'horreur qui entoure ces actes, comment en arrive-t-on à écrire sur ce délicat sujet ? Avez-vous eu accès facilement à la documentation nécessaire, au-delà de ce que vous avez pu voir quand vous étiez policier ?
     L'auteur de romans noirs est un dénonciateur. Il dénonce les dysfonctionnements de notre société. C'est un éclairage très personnel sur quelque chose qui déconne à un moment donné. On fouille dans les poubelles et on en fait l'inventaire, chacun avec notre style, notre sensibilité et notre point de vue.

J'ai écrit sur le génocide rwandais, sur la politique franco-africaine, le prochain roman a pour toile de fond l'Opus Dei. Je me documente beaucoup, je passe des semaines, des mois à me documenter. Je ne peux pas attaquer un sujet sans l'avoir compris de l'intérieur. Et pendant cette phase de documentation, une arche narrative se met doucement en place, imbriquée totalement dans le sujet qui m'occupe. C'est vrai que ce sujet était plus délicat que les autres. Contrairement aux autres, c'est un livre que j'ai écrit avec le ventre.

 

La colère des enfants déchus a circulé dans notre entourage, notre famille (et oui, quand on aime, on partage). Tout le monde s'accorde à dire que le premier chapitre est très dur, quasi-insoutenable malgré sa subtilité. Avez-vous voulu choquer délibérément vos lecteurs, ou simplement montrer la réalité, aussi dure soit-elle ?
     Quand j'écris, à aucun moment je ne pense à la façon dont va réagir le lecteur. Jamais. Sinon, il me semble que je formaterais mon écriture si j'y pensais. Une chose m'importait, une seule, c'était la dignité des victimes et leur intégrité. En fait, j'ai toujours veillé mais très naturellement je crois à ne pas tomber dans une complaisance nauséeuse qui amènerait des salopards à se branler en lisant ce chapitre. J'espère y être arrivée.

 

Pourquoi le choix des « jedi » et de l'imagerie de Georges Lucas ? Pour insister sur la « pureté » des victimes ? Sur la légitimité de leur démarche, comme un combat du bien contre le mal, en dépit de la cruauté de leurs actes ?
     Pourquoi les Jedi ? Parce que je justement il n'y a pas cette notion très tranchée du bien et du mal. Ils ne sont pas si manichéens que cela. Regardez Anakin quand il massacre les hommes des sables parce qu'ils ont tué sa mère, c'est quand même une attitude pas très « charitable ». J'ai choisi spontanément les Jedi parce qu'ils représentent aussi une forme d'universalité qui parle à chacun.

 

Cette vengeance terrible que vous décrivez dans ce roman est-elle le reflet de votre propre désir ? Après avoir été policier, vous avouez vous-même que la justice est trop souvent impuissante. Pensez-vous que la loi du talion (œil pour œil dent pour dent) est inévitable, voire nécessaire ?
    Dans certains cas comme la pédocriminalité, je serais assez d'accord de leur faire subir ce que qu'ils subissent dans le livre. Mais je vous rassure, écrire me permet de ne pas passer à l'acte. C'est dans ce cas-là un exutoire.

Je recueille des faits divers depuis 1994. J'en ai lu des comptes rendus d'audience.
J'ai travaillé trois ans dans un foyer de la Sauvegarde de l'enfance où j'étais surveillante de nuit. J'en ai vu des gamins massacrés par ces prédateurs. Des gamins complètement déstructurés qui n'avaient plus aucune estime de soi tellement ils avaient morflé. Ils existent tous ces gosses qui ont subi et à combien d'entre eux, notre société leur a-t-elle reconnu le statut de victimes ? On vit un paradoxe. Il y a d'un côté les enfants qui reçoivent tout, et de l'autre, ceux qu'on sacrifie.

 

Qu'aimeriez vous dire à ceux qui n'ont pas encore lu ce livre ?
     De le lire...

 

Quel est le livre qui vous tient le plus à cœur parmi ceux que vous avez écrit ? Pourquoi ?
     Chaque livre est une étape, une histoire différente. J'aurais peut-être tendance à parler du dernier en cours parce que mieux écrit, plus abouti (je parle de Camino 999) mais je crois que je n'ai pas de préférence particulière.
Je travaille sur plusieurs choses à la fois. C'est chaque fois un véritable engagement, intellectuel, affectif, après je passe à autre chose. Je tourne la page. Je ne ressasse pas mes histoires parce que j'en ai des dizaines à écrire.

 

La femme a une place de 1er choix dans vos livres, envie de prouver qu'elles aussi peuvent faire aussi bien que les hommes ?
     Mon personnage principal est une femme et tient une place de choix parce que JE SUIS UNE FEMME. Si j'étais un homme ; les hommes auraient une place de choix. Mais peut-être que je n'écrirais pas et que je serais pilote de ligne.

 

Depuis un moment maintenant,  les héroïnes sont devenues à la mode chez les auteurs, pensez-vous que les femmes tiennent enfin leur revanche ?
     Les femmes ne tiendront jamais leur revanche parce qu'il y a encore bien trop à faire, d'une façon générale.
Mais il est vrai que dans le polar, les héroïnes ont vu leur situation s'améliorer nettement avec des auteurs comme Tabachnik, Monfils, Japp, Granotier, Benson, Manotti, Amoz. Le temps où la femme dans le polar était la pute, la secrétaire, la maman ou la vierge tend à s'estomper. Les femmes ont eu avec les auteurs que je viens de citer une vraie place, une place à part entière où elles assumaient enfin leur destin. Ces auteurs ont ouvert la voie et je leur en suis reconnaissante.

 

Les femmes se taillent aussi la part du lion dans le monde autrefois très « viril » des auteurs de polars (Brigitte Aubert, Maud Mayeras par exemple). Pensez-vous que l'écriture « féminine » soit profondément différente de l'écriture « masculine » ? Qu'il n'y a des choses que seule une femme peut écrire ?
     Je ne pense pas que les femmes se taillent la part du lion. Chez les Anglo-saxonnes, oui, sans aucun doute mais pas chez nous. L'important est d'avoir sa place, alors que ce soit celle du lion, de la hyène ou de la fouine...
Je ne crois pas à l'écriture masculine, ou féminine. J'ai juste constaté une chose, quand les auteurs masculins traitent un personnage principal féminin, ils le traitent souvent à travers leurs phantasmes et la représentation qu'ils se font des femmes. Parce que qu'ils ne pourront jamais vivre leur personnage de l'intérieur. Et il manque à ces personnages une authenticité, une véracité qui fait que je n'y crois jamais vraiment. L'inverse est sans doute vrai mais il m'est difficile d'en parler parce que je ne suis pas un homme. Nous sommes tellement différents...

 

Dans le monde du polar en général, la tendance est au toujours plus glauque, gore, malsain... Qu'en pensez-vous ?
    Quand vous dîtes glauque, vous faîtes allusion à une ambiance verte qui tire sur le bleu !?!
Non, je ne lis pas des polars malsains ou gores, je suis bien conseillée par mon libraire...
Mais il est vrai que des ambiances peuvent vous surprendre, vous saisir, vous bluffer. Je pense à certains univers de Jonquet. Mais ce n'est ni malsain, ni gore. Ou alors on parle d'une autre littérature.
En fait, même si j'ai lu beaucoup de polars, j'en lis beaucoup moins depuis que j'écris d'une manière plus intensive. Je lis essentiellement des essais, des documents, qui nourrissent ma réflexion et me permettent de camper mes univers. Je suis en ce moment à fond dans l'espionnage, industriel ou étatique, le renseignement, dans les enjeux géopolitiques, géostratégiques. C'est un autre univers que je découvre depuis cinq ou six ans. Je ne vous cache pas qu'il me fascine.

 


Quels sont vos projets pour l'année 2007?
    Camino 999 sort le 16 mars. C'est un thriller qui se passe dans une brigade criminelle de Lyon avec pour toile de fond l'Opus Dei. Je remonte au scandale de l'affaire Matesa, un scandale politico-financier sous Franco qui impliquait l'Opus Dei et qui a éclaboussé Giscard d'Estaing à travers les Républicains indépendants et l'affaire De Broglie. Alors là, je suis vraiment allée au fond de la poubelle...

Sinon, je travaille actuellement sur un roman d'espionnage. Om parle du polar mais l'espionnage est carrément le pré carré des hommes. J'ai envie de m'y glisser.

 

Quels sont vos romans ou auteurs référence ? Vos derniers coups de cœur, un livre ou un auteur que vous aimeriez nous conseiller ou nous faire découvrir.
     Je suis une fan de La Recherche... Quel univers ! Quelle modernité ! Merci Monsieur Proust.

 

Le mot de la fin est pour vous ...
     Un grand merci à vous. Car il faut être un peu maso pour écouter les élucubrations des auteurs de polar, ou d'ailleurs...


  Du même auteur : Biographie, chronique, interview

  

 

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