Victor del Árbol

Victor del Arbol





Avril 2014





Victor del Arbol

 

 

Bonjour Victor del Arbol, commençons par le rituel de la première interview sur Plume Libre. Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis écrivain et c’est le plus important car mes livres sont ma carte de présentation. Ils parlent mieux de moi que moi-même, mais je vous dirai que j’ai 46 ans, je suis de Barcelone, j’ai écrit quatre romans, j’ai voyagé dans le monde, j’ai été animateur radio et mille choses encore. Mais par dessus tout, je suis un enfant qui a rêvé d’écrire et qui vit son rêve.


Etudes d’histoire, séminariste, policier, vous avez un parcours très divers, qu’est-ce qui vous a poussé vers l’écriture ?
La vie est pleine de chemins de traverse, nous en choisissons certains et d’autres fois, c’est eux qui nous choisissent.
Je pense que la vraie liberté consiste à prendre les décisions que l’on veut et ne pas se laisser influencer par les obligations ou par le destin que d’autres imaginent pour soi. Ma vraie passion a toujours été la littérature car dans l’écriture il y a tout : l’homme, la passion, l’entourage. Sa géographie émotionnelle. Dans l’univers de la littérature, je me sens sûr de moi, heureux et une meilleure personne. En écrivant, je suis celui que je voulais être.


Les lecteurs français vous ont connu avec votre roman La tristesse du Samouraï, un roman noir qui prend sa source pendant le franquisme. Pourquoi avoir décidé de vous servir de cette période pour ce roman ?
La dictature franquiste va au delà de la mort de Franco en 1975, elle perdure dans le système d’Etat créé à travers les lois, le contrôle social et économique et l’invention de la « réalité ». Elle a juste changé d’apparence pour s’intégrer dans le système démocratique que les espagnols ont choisi avec la Constitution de 1978. Cependant, cette mutation a failli être anéantie en 1981 avec la tentative de coup d’état du 23 février. C’est à ce moment là, que nous avons compris que la démocratie espagnole était fragile et d’une certaine manière, elle l’est toujours.
C’est dans ce contexte que se déroule le roman et je souhaitais parler de la création de la mémoire, comment sont transmis les traumatismes des parents aux enfants et, de ce fait, de génération en génération. Le temps et l’espace ne changent qu’en apparence si les blessures ne se referment pas. Et la guerre civile a laissé des cicatrices qui restent présentes sous des couches de peaux mortes.


Quel est le regard de la société espagnole aujourd’hui sur cette période ?
Toutes les sociétés modernes portent sur leurs épaules des traumatismes qu’elles voudraient contourner. L’Espagne n’est pas différente. Avec la loi de la Mémoire Historique, mise en route par le gouvernement de Zapatero (Parti socialiste), on a tenté de créer le cadre pour une étude rigoureuse de notre passé qui ne se baserait pas sur la vengeance (la haine s’assèche également) mais sur la restitution, la reconnaissance des faits et la dignité pour les oubliés et ses descendants. Louable intention qui s’est soldée par un échec à cause des intérêts politiques, d’études arrêtées, d’invocation de fantômes et de la plainte contre le Juge Garzón qui avait ordonné l’ouverture des fosses communes.
La mémoire se transforme en discours quand elle tombe aux mains de l’état. Ce discours commence à tomber dans un relativisme historique, les morts seront comparés à d’autres morts, on contourne les vraies raisons de ce qui s’est passé pour laisser la place à l’émotion de la reconnaissance, des plaques, des hommages qui s’oublient vite.
L’autre mémoire, la vraie, se perd au fur et à mesure que disparaît la transmission orale des protagonistes. Et cela m’effraie parce que les révisionnistes aiguisent déjà leurs plumes doctorales pour inventer la réalité dans les livres.


Votre roman La maison des chagrins est sorti en septembre 2013. Pouvez-vous nous en parler ?
Pour moi et, personnellement en tant que lecteur (je le suis aussi de mes propres livres), c’est ma meilleure œuvre à ce jour. Elle traite de la vengeance, oui, mais aussi de l’impuissance de l’amour pour nous arracher des spirales destructrices dans lesquelles nous tombons lorsque la vie nous frappe. Eduardo, le personnage principal, pourrait être n’importe lequel d’entre nous (ce qui est plus difficile dans mes autres romans) : c’est un homme normal qui vit une tragédie « courante » : perdre sa famille dans un accident de voiture et rester totalement vide.
On a dit que le thème principal était la vengeance, pour moi ce n’est pas le cas : le thème principal c’est la solitude dans un monde qui méprise les perdants et qui ferme les yeux devant le malheur d’autrui. Un monde où l’on doit se relever seulement quand on est à terre, sans espérer un coup de main. C’est un roman dur, très dur mais pas sans espoir. Eduardo, comme les autres, tombent beaucoup de fois mais ils se relèvent, bien sûr que oui, et ils continuent leur chemin. Le combat c’est la dignité : vivre jusqu’au bout.


Dans La maison des chagrins, il y a beaucoup de personnages très divers et variés mais tous avec une histoire bien définie et très riche. Comment naissent vos personnages ?
J’observe. Tout est autour de nous en train de se dérouler en même temps. Vous pouvez vous asseoir sur un banc dans une rue du centre de Paris et vous verrez passer Eduardo, Gloria, Monsieur Who, Arthur. Tous ont des cicatrices sous leurs vêtements, on voit leurs blessures dans leurs regards. Observez et vous verrez. Ensuite, je commence à penser à eux, à ces personnes, je me pose des questions et je cherche les réponses et de ces recherches naissent mes personnages. Toujours réels jamais d’archétypes.


La maison des chagrins - Victor del ArbolL’intrigue de La maison des chagrins est complexe et passionnante. En terminant le roman, on ne peut qu’être ébloui par cette construction et cette maîtrise. Comment vous est venue l’idée d’une telle histoire et surtout comment avez-vous travaillé en amont : un plan très détaillé ?
Quand on parle de la littérature comme s’il existait deux pôles opposés, cela me fait sourire. Ce que j’essaye de faire c’est construire un pont de mots entre ces deux mondes dissociés que sont le littéraire et l’argumentaire. Un roman peut et doit être littéraire dans sa forme, dans le choix des mots et dans la transformation qu’il fait de la réalité. Mais cela ne veut pas dire qu’il doive manquer de rythme, d’intrigue ou d’intérêt. La littérature est également du Polar, elle peut aussi être accessible pour le grand public et vice-versa. Au final, l’argumentaire, l’intrigue et le conflit sont la base de tout écrit.


D’ailleurs de manière plus générale, en commençant l’écriture d’un roman, avez-vous déjà en tête tous les développements ou vous laissez-vous porter au gré de votre inspiration ?
Mes intrigues sont très complexes et détaillées, parfois elles nécessitent plus d’une lecture pour trouver les fils qui unissent les personnages à simple vue. C’est comme ça qu’elles fonctionnent, comme un engrenage, ce qui fait que je ne peux rien laisser au hasard. Je construis toute l’histoire dans ma tête, je prends des notes durant des mois (parfois des années) et quand je l’ai « lu » dans ma tête, je la transpose sur le papier. Je pense que bien écrire consiste à arriver à ce que l’effort ne se voie pas pour que tout paraisse naturel.


On remarque quelques thèmes récurrents dans vos romans : l’amour, la haine, la vengeance ce qui donne un côté profondément humain à vos personnages avec leurs défauts et leurs qualités. Pensez-vous qu’on puisse tout faire par amour ou par vengeance ?
L’amour est l’idéalisation du meilleur de nous même. Mais nous ne pouvons pas aimer réellement si nous ne connaissons pas. Je suis un amoureux de la condition de l’être humain, un optimiste-réaliste qui cherche dans notre contradiction l’équilibre. De l’autre côté de la balance, il y a la vengeance, la haine, l’envie, la jalousie et la perversion de nous savoir mortels et fragiles. De cette lutte, entre ce que nous sommes et ce que nous souhaiterions être, naît notre énergie. Je ne sais pas si on peut tout faire par amour ou par vengeance, mais je vous dirai une chose : la haine s’éteint jusqu’à devenir un terrain stérile. L’amour trouve toujours un endroit où renaître.


L’Histoire est également importante dans vos livres. Même dans La maison des chagrins qui est un roman se déroulant à notre époque, il y a de nombreuses références historiques : la guerre d’Algérie, la dictature chilienne, etc… Qu’est-ce qui vous pousse à utiliser des composantes historiques dans vos écrits ? Que représente l’Histoire pour vous ?
L’Histoire est la mémoire des Peuples. Une invention qui naît de l’interprétation des faits. Nous essayons de comprendre notre présent dans la continuité du passé. C’est, donc, inévitable que les faits historiques conditionnent les individus. Nous vivons immergés dans l’Histoire sans nous en rendre compte car il s’agit de notre présent. Depuis que l’homme a commencé à courir avec une torche à la main, le chemin n’a pas beaucoup changé, nous continuons à courir vers l’aube poursuivis par la nuit et ses monstres. Et ces monstres qui menacent de nous dévorer depuis des millénaires, c’est nous même.


Votre nouveau roman : Un millón de gotas sort le mois prochain en Espagne. Pouvez-vous vous nous le présenter et savez-vous déjà quand il sortira en France ?
C’est un roman qui m’a fasciné dès que j’ai commencé à y penser il y quelques années. A travers la relation difficile d’un père avec son fils adolescent, je me suis plongé dans les murs de silence qui nous poussent à la solitude et à l’isolement. Parfois, nous souhaitons dire à quelqu’un que nous l’aimons mais les mots se sont effacés de notre vocabulaire et nous ne savons plus comment les transmettre.
C’est une grande histoire d’amour, une critique des grandes Utopies du 20ème siècle qui ont converti les hommes en rouages en les arrachant à leurs petites histoires personnelles. De l’Union soviétique des années 30 au Goulag, de la guerre civile aux camps de concentration en France, nous parcourons l’histoire d’Elias et du conflit entre les idéaux utopiques et le réel besoin d’avoir quelqu’un à aimer et être aimé en retour.
En France, il sera publié en 2015, ça approche.


Il me semble que de nombreux auteurs catalans écrivent en catalan ce qui n’est pas votre cas. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Le catalan est ma langue de tous les jours, celle que j’utilise dans mes lectures, avec mes amis, dans la presse et, en général, dans ma vie sociale. Je suis catalan, ma culture est catalane, ma géographie également mais le castillan est ma langue émotionnelle, celle avec laquelle je me remémore mes souvenirs et celle avec laquelle je rêve. Mes parents sont originaires du sud de l’Espagne et le castillan est ma patrie sentimentale. Et j’écris à partir de l’émotion.


Quel regard portez-vous sur la volonté d’indépendance de l’état catalan ?
En premier lieu, il s’agit d’une procédure qui implique les sentiments et de ce fait il est un peu difficile de l’expliquer de manière rationnelle. Pour cela, nous devrions avoir recours à une liste d’intérêts économiques, de volontés historiques, d’injustices et de dédommagements séculaires. Et cela ne me paraît pas approprié de l’expliquer en quelques phrases.
Je ne suis pas indépendantiste parce qu’il y a quelque chose qui fait que je me méfie des patries et parce que je considère que nous devons voir au delà de ce débat et le confronter au futur de l’Europe des citoyens. Mais je crois également que tous les hommes et les femmes devraient avoir le droit de pouvoir choisir leur futur librement. Organiser un référendum est un exercice de vraie démocratie. Que chacun décide en conscience. Je pense que l’on devrait organiser cette consultation, que la Constitution devrait être modifiée dans ce sens (et si nécessaire que tous les citoyens espagnols votent) et que nous devrions accepter cette décision souveraine. Pour que cela soit possible, l’idéal serait que les gens aient une idée très claire de ce que pourrait être le pays Catalogne par la suite. Et j’ai bien peur que ce débat n’existe pas sérieusement ce qui fait que nous voterions guidés par nos élans émotionnels.


Vous êtes régulièrement en France pour participer à des salons et rencontrer vos lecteurs. Que vous apportent ces rencontres et trouvez-vous qu’il y ait une différence entre les lecteurs espagnols et français ?
En Espagne, il n’y a pas une culture aussi forte de Salon du livre, il y a de grands évènements et il est vrai que peu à peu de nouvelles manifestations apparaissent. La philosophie des salons du livre français me plait beaucoup car cela me rapproche vraiment des lecteurs. Je peux échanger des opinions de manière honnête et approfondir un peu plus. De plus, cela m’a permis de me rapprocher de la littérature française contemporaine et de lire en français. Je m’y sens très à l’aise, il est très facile d’avoir une conversation positive et fructueuse à partir des interprétations que les lecteurs font de mes romans ; des questions du style : Pourquoi dans vos romans le père est-il absent ? Pourquoi les thèmes de la mort et de la folie sont-ils toujours présents ? C’est un champ d’exploration pour moi et un plaisir. En Espagne, ce type de lecteurs existe également mais il est moins fréquent qu’en France.


Etes-vous vous même lecteur ? Quels sont vos références et vos derniers coups de cœur ?
A mon avis, on ne peut pas être un bon écrivain si on n’est pas un bon lecteur. Mais il s’agit juste de mon opinion.
Mes références ont toujours été Gabriel García Márquez, pour sa capacité à partager autant d’univers dans ses romans ; Albert Camus pour son amour réaliste de l’espèce humaine en partant de l’analyse pessimiste de la réalité et Pessoa pour son élévation du langage au niveau des images.
Mon dernier grand coup de cœur est la lecture de Freedom de Jonathan Franzen.


Quels sont vos projets ?
Continuer à écrire, continuer à voyager et là, tout de suite, clôturer cette interview et partir faire une promenade à la plage.


Merci beaucoup Victor del Arbol, nous vous laissons le mot de la fin.
Il ne faut jamais mettre un point final aux phrases, seulement un point virgule. Nous nous retrouvons dans les lettres.



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