Thiébault de Saint Amand

 

 
 
Thiebault de Saint-amand

 

Bonjour Thiébault de Saint-Amand, la première question est un petit rituel chez nous … Pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
    Bien sûr ! Tout d'abord, je vous remercie de m'accueillir. J'ai 45 ans et je réside actuellement en Bourgogne, où j'exerce une activité ayant trait à la viticulture. Mes racines ne baignent pas dans le Kimméridgien, car je suis originaire du nord de la France. Saint-Amand-les-Eaux, pour être plus précis.


Comment est venue votre passion pour l'écriture ?

    Tardivement et matrimonialement. Plus jeune, j’avais participé à tellement de concours scolaires et pseudo-littéraires qu’au tout dernier, le concours général de Sciences Po, j’ai juré que l’on ne m’y reprendrait plus. Sans angoisse majeure, j’ai glissé dans une douce fainéantise littéraire. Et voilà que vingt-cinq ans plus tard, mon épouse me pousse à nouveau dans cette forme de gourmandise ! À ce moment précis, Angela * avait trouvé un petit éditeur pour ses romans et elle m’a incité à me lancer.
Comme je suis un fainéant méthodique, j’ai rapidement eu trois éditeurs.
* Angela Behelle


Comment se déroule votre processus d’écriture ? Avez-vous en tête tous les rebondissements de vos livres dès le début ou évoluent-ils au fur et à mesure ?
    Les cheminements diffèrent suivant le format. Dans l’écriture d’une série policière ou, pire encore, dans celle d’une série TV, il est très difficile de se libérer d’une forme de contrainte liée au scénario précis et à la conclusion qui doit tenir en haleine ( autrement désignée par le vilain mot de cliffhanger ).
Le roman, c’est ma grande récréation. La liberté ! Il ne tient qu’à vous de représenter un bahut breton durant quinze pages ou d’évoquer sa simple présence dans une pièce. Votre style peut rendre une phrase simple de dix mots totalement indigeste ou transformer une description de quinze pages en passage délectable. Vous entrez dans la profondeur des personnages, les dialogues forgent les caractères, même le « non-écrit » a du sens !
J’en suis actuellement à mon troisième et, comme pour les deux premiers, tout vient d’un trait dans une espèce « d’évidence ».


Hospice & love de Thiébault de Saint AmandVotre roman Hospice & Love est paru en janvier aux éditions Hugo & Cie, pourriez-vous nous le présenter ?
    Il est né devant un journal télévisé. Après une séquence sur Ginette ou Lucienne, je ne me souviens plus du prénom !, veuve depuis une éternité, mais toujours fringante, faisant sa gym, ses courses et participant à l’activité de bon nombre d’associations diverses et variées, enchaînait « sans transition » un reportage sur les soins palliatifs. Au moment de reprendre un morceau de gigot, une jolie voix posée sur un gros plan de main décharnée expliquait au téléspectateur la « chance » de trouver une place dans ces unités d’accompagnement de fin de vie.
Le lien entre les deux reportages paraissait alors si évident. Certes, on naît, on vit, on meurt, je me suis fait une raison depuis longtemps, mais les clichés sont-ils inéluctables à ce point ? Y a-t-il une date de péremption de l’amour chez l’être humain ? La sexualité doit-elle s’arrêter aux portes des maisons de retraite ? Sous prétexte que le cercueil à deux places est illégal, pourquoi n’aurait-on pas le droit de tomber amoureux et de vivre une grande histoire d’amour à plus de 80 ans, quand bien même vous aurait-on placé « là » ?


Armand Bouzies est quand même un personnage hors normes, où avez-vous trouvé un caractère pareil ?
   Nous sommes tous, à un moment donné de notre vie, des Armand Bouzies en puissance. Lui, il a la chance d’avoir pratiquement tous les défauts, c’est ce qui le rend attachant. La semaine dernière, Michel Dufranne disait qu’il était un homme que l’on aime détester ou que l’on déteste aimer. C’est très juste. Quand le personnage est tout noir, vous vous surprenez ponctuellement à éprouver un peu d’empathie pour lui. Cela ne dure jamais trop longtemps avec Armand.
Gamin, j’ai eu la très grande chance de connaître énormément de personnes âgées. Je suis le seul à savoir, mais, de là-haut, certaines doivent sourire de quelques facéties empruntées... et amplifiées !

Si vous deviez nous présenter Armand en trois mots, quels seraient-ils ?
    Hâbleur, iconoclaste, irrésistible.


Vous avez situé votre histoire en 2024, pourquoi ce choix ?
    Dans dix ans, les premières générations de l’après-guerre auront 85 ans et plus. Ces femmes et ces hommes représentent la génération des Trente Glorieuses. Ils se sont éclatés en conscience durant Mai 68, ont connu une croissance de 5 % avec une revalorisation de salaire de 10 % par an en moyenne avec, en ligne de mire, une surchauffe de l’économie et la montée vertigineuse du consumérisme. Je vous le concède aisément, ils ont aussi pâti de la pénurie durant leur enfance et pris un sacré coup dans le baril à partir de 1973, mais ils sont restés durant toute leur vie active dans une spirale positive issue de leurs jeunes années « glorieuses ».
Ils ont profité à plein régime de la France de 1945, des acquis sociaux, de la Sécurité sociale et j’en passe. Alors que toute la société leur semble acquise depuis plus de 70 ans, voilà le constat qui s’impose au clap de fin : faibles pensions pour certains d’entre eux, désertification rurale et pénurie de médecins, hôpitaux en crise, maisons de retraite pour lesquelles un salaire en activité ne suffit pas ou maintien à domicile dans un confort matériel et/ou moral plus qu’incertain.
Et la cerise sur le gâteau : des enfants qui ne peuvent pas leur venir en aide, car pour la première fois depuis bien longtemps, la génération d’après est bien moins lotie que celle d’avant.
Personnellement, je suis né avec le fameux baril. Plus je nage vers la retraite et plus on me rallonge la ligne d’eau. Je ne vais pas me plaindre, mais je ne me fais guère d’illusion.
Dans le cas des papys-boomers, les maux de la fin sont très éloignés du scénario programmé depuis l’après-guerre. Certes, les générations d’après souffriront bien davantage, mais les octogénaires de 2025 ne bénéficieront pas tous de la fin de vie rêvée qui leur semblait promise par cette société de l’hyper abondance et du supermarché.


Mine de rien sous ses airs revêches et ses manières bourrues, Armand Bouzies sait se rendre attachant, comment est né ce personnage ?
    Comme je vous le disais, c’est un savant mélange de personnes que j’ai croisées, beaucoup aimées ou appréciées, le tout déformé par mon esprit toujours rieur quand il s’agit d’écrire.
Au fond, il est dépressif à l’instar de notre société tout aussi déprimante.
Il fait le vide autour de lui et, finalement, il éprouve de la solitude. Quand vous vous sentez seul et angoissé ou par pur besoin de reconnaissance, vous envoyez un selfie à votre communauté de plusieurs milliers de membres qui, en règle générale, s’en fiche totalement. Lui, Armand, il réfléchit à la personne qu’il pourrait bien harceler et il lui tombe dessus comme la misère. Si vous avez le malheur de lui dire que les deux choses n’ont rien à voir, il vous répondra de manière cinglante que lui, au moins, il avait quelqu’un à qui parler de suite même pour l’engueuler, alors que vous, vous n’aviez personne pour vous prendre en photo.
Au début du roman, Armand est arrivé à un moment de la vie, où il n’a plus rien à prouver. Il a le sentiment qu’il ne découvrira plus rien non plus. On l’a placé là, point. Il est infantilisé, humilié dans sa conception de mâle viril. Aussi, en réaction, il aboie. Jusqu’au jour où la flamme se ranime et là...


Comment s’est passée votre arrivée chez Hugo & Cie ?
Elle a commencé par un grand éclat de rire. Un matin, Franck Spengler, toujours enthousiaste, a appelé Angela pour lui annoncer qu’il la publierait avec grand plaisir chez Blanche... et, quelques heures plus tard, il me contactait pareillement sans savoir qu’il serait l’éditeur d’un couple sévissant dans des genres totalement différents.
Je suis fier d’être édité par Franck. Je l’ai déjà dit et je ne me lasse jamais de le répéter, car je suis sincère. C’est toujours un plaisir de le rencontrer et je profite vraiment de ces moments rares. Il ne faut pas oublier que je ne suis qu’un amateur !
Et puis Hugo est une belle équipe dynamique avec … les secrets que je garde pour moi.


Vous êtes également l’auteur d’autres séries comme Les enquêtes de Phil Mazelot (éditions du 38) et Les Dessous (en dentelles) de l’Élysée, pourriez-vous nous en parler ?
    Les Dessous (en dentelle) de l’Élysée n’auront connu qu’une saison. Ils avaient pour vocation d’être adaptés à la télévision. Il s’agissait d’une farce, avec tous les excès que cela implique, sur les travers de la VIe République ( qui n’avaient rien à envier à ceux de la Ve ), rythmée par des épisodes de vingt minutes.
Mazelot, c’est autre chose ! Il ne compte plus ses conquêtes, grâce au travail acharné d’Anita Berchenko et des filles du 38. Imaginez le truc impossible : des histoires au langage fleuri ou argotique diront certains, se déroulant dans le Paname des années 30, insérant des extraits de chansons d’époque et des créations nouvelles, avec, tenez-vous bien !, la constitution de l’un des tout premiers réseaux de Résistance en ligne de mire. Là, je vous vends du rêve, non ? Eh bien, cela fonctionne pour notre plus grand bonheur !
Si Phil Mazelot n’est pas vraiment le gendre idéal, ses aventures coquines ne laissent pas insensibles ses lecteurs qui adhèrent au charme désuet d’une autre époque, dont je souligne souvent les terribles similitudes avec la nôtre.

Thiebault de Saint-amand


Vous êtes assez présent sur le net, quel regard portez-vous sur l'évolution de la blogosphère littéraire durant ces dernières années ?
    D’abord, un élément rassurant : la blogosphère est foisonnante. Avec 480 livres pour cette rentrée littéraire, sans compter le lot habituel des sorties numériques mensuelles, nous n’aurions aucune visibilité sans les blogs littéraires. En plus, ils s’adaptent à tous les supports pour toucher la plus grande partie des lecteurs. Je ne suis pas un grand fan de leurs codes en anglais, mais si cela peut amener un jeune lectorat vers les livres, c’est parfait !
Ils sont également une véritable source d’enrichissement personnel. Rares sont les blogueurs, qui sont assez souvent des blogueuses, pouvant vivre de leurs chroniques et les échanges sont toujours passionnants, car ils émanent d’une communauté aux expériences très variées.


Que souhaiteriez-vous dire aux lecteurs qui ne connaissent pas encore vos livres ?

    Soyez curieux !


Quels sont vos projets à venir ?
    En mars, un troisième épisode de Mazelot, « Mon beau Tapin, roi défloré » est prévu au 38, rue du Polar. Je vous inviterai également tout prochainement à découvrir l’histoire de Romuald Grandbœuf, auteur parisien de qualité en quête de reconnaissance, aux prises avec un étonnant secret légué par sa mère, dans un titre toujours provisoire comme je les aime : « Aujourd’hui, maman est encore morte ».
Et puis, dans un futur fort-fort lointain, genre 2017/2018, je vous présenterai Michel et Jean-Phi, deux adorables papys gays qui vont devoir recruter une personne pour les aider dans la vie quotidienne. Je passe du temps avec eux en ce moment et je les adore ! Le titre provisoire : « L’homme du ménage ».
Et enfin, j’aimerais trouver le temps de terminer ma pièce de théâtre. Quand le Président se fait élire sur la promesse la plus démago qui soit en terme de restriction budgétaire et se trouve contraint de réunir l’Élysée et Matignon dans un open space à la Défense. Si la machine à café est neuve, les huissiers ont de la bouteille. Ce sera une pièce gourmande comme je les aime !
Pas mal pour un fainéant, non ?


Merci beaucoup Thiebault, nous vous laissons le mot de la fin.
    Un énorme merci pour cette parenthèse de bonheur et « fin » ! Toutes mes amicales pensées à l’équipe de la Plume Libre et à ses libres lecteurs, je vous claque la bise ! 

  Du même auteur : Biographie, chronique, interview



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