Martin Winckler






 Octobre 2007

 



Ne touchez pas aux réglages de votre écran. Ce que vous allez voir est... Ah non zut !!! Ce n'est pas la bonne série là !! Martin Winckler a gentiment accepté de jouer avec nous au jeu du "Prisonnier". Dans le role du Numéro 7, il répond au feu nourri des questions de Numéros 2 très curieux, qui veulent des renseignements .... Des renseignements ... des renseignements .... . Bonne lecture !
 

 

NUMERO 2 : Qui êtes-vous Martin Winckler ? Nous savons que Winckler est un alias ... Qui êtes-vous en réalité ?
    Je ne suis pas un numéro, je suis un individu... à défaut d'être plus libre que mes congénères, mais je me nomme en réalité Marc Zaffran, je suis médecin généraliste sous ce nom, et écrivain sous le pseudonyme de Martin Winckler.
 

 

NUMERO 2 : Comment vous êtes vous orienté vers l'écriture ? Pourquoi ?
La médecine ne vous suffisait plus ? Etes-vous une sorte de « Schizoid Man ? »
    Ah, bonne question. Attendez, faut qu'on se concerte, tous les deux... Plus sérieusement : j'ai commencé à écrire à 10-12 ans et j'ai toujours voulu être médecin comme mon père (et probablement dans son désir). Donc la question ne s'est pas posée. Ma voie de médecin était tracée par mon père, j'ai tracé ma voie d'écrivain en loucedé. (D'ailleurs, j'avais toujours un cahier de fiction sous mes cahiers d'écolier et d'étudiant)... Et j'ai commencé à gagner ma vie en écrivant (dans une revue médicale, des textes non scientifiques) l'année où je me suis installé à la campagne. Donc j'ai toujours été « The Schizoid Man », oui.

 

NUMERO 2 : D'autres « médecins-auteurs » sont entré dans le paysage littéraire français (Thierry Serfaty par exemple). Et souvent dans le monde du Polar. La médecine est-elle propice à des déviances menant au crime (dans le sens large du terme)?

    Certainement. Ca a commencé avec Conan Doyle, puisque Sherlock Holmes est inspiré par l'un de ses patrons (chirurgiens). Et Christian Lehmann écrit des polars médicaux depuis 1988, le début de sa carrière. Moi, je suis un novice à côté de lui.



NUMERO 2 : Vous êtes un « touche à tout » de l'écriture : La série « Bruno Sachs », des textes autobiographiques, des romans policiers, des essais sur la télévision, des essais sur le monde médical (les relations soignants-soignés en particulier). Pourquoi cette diversité ? Pensez-vous avoir tellement de choses à raconter ?
    Non. C'est juste pour l'argent... Je ne pense pas être « touche à tout », je pense seulement que l'écriture est un instrument polyvalent et comme tout le monde, je m'intéresse à beaucoup de choses. La médecine en est une et je partage mon savoir et mes réflexions (c'est une obligation éthique, quand on est médecin) , mais j'aime la fiction (alors j'en écris, et je parle de celles que j'aime) et je « cherche » des réponses à mes interrogations existentielles alors j'écris des livres autobiographiques, et j'aime les formes d'expression populaires, alors j'écris sur Zorro et les Super-Héros. Ma chance, c'est qu'il y a toujours des éditeurs pour me demander de nouveaux livres. J'écris donc toujours des livres que j'ai envie de faire, pour des éditeurs qui ont envie de les publier. Je ne vois donc pas pourquoi je m'en priverais. Il y a peu d'écrivains qui gagnent leur vie en écrivant. J'ai cette chance, j'en profite. Pourvou qué ça doure.

 

NUMERO 2 : Parlons un peu du Numéro 7, cher Martin. Comment vous est-venu l'idée de ce roman ? Vous y dénoncez beaucoup de monde, en particuliers les laboratoires pharmaceutiques. Un vieux compte à régler ?
    WOPharma, le méchant labo du Numéro 7 (c'est le même depuis mon premier polar, Touche pas à mes deux seins) est mon « Ombre Jaune », mon Moriarty à moi. C'est bien d'avoir un grand méchant indestructible, on peut y revenir sans cesse. Il me permet de concilier la fiction débridée et les choses sérieuses... Et je voulais inventer un anti-héros, un personnage antipathique qui cherche une sorte de rédemption. Et je voulais aussi parler de ce qu'on fait quand on est adolescent et qu'on se senti impuissant face à la violence du monde... Et ensuite, j'ai eu l'idée de mettre en parallèle la description de la série Le Prisonnier et les aventures de Eddie le mercenaire et d'Alice la lycéenne. Et le livre s'est construit comme ça, à tâtons... Mais je construis toujours comme ça : comme « un rat qui construit le labyrinthe dont il se propose de sortir » (Raymond Queneau, cité par Georges Perec)

 

NUMERO 2 : A la lecture du Numéro 7, on ne peut tirer qu'une conclusion : Vous êtes un grand manipulateur ! Cela vous a plu de mener vos lecteurs en bateau, d'être le Joueur d'Echec qui nous a mis mat ?

    Ah mais je pense qu'un narrateur qui ne mène pas ses lecteurs en bateau ne fait pas son boulot. C'est d'ailleurs l'inverse du médecin, qui s'interdit de manipuler ceux qu'il soigne. L'écrivain, lui, il donne du plaisir en jouant avec les nerfs... Si ça marche, c'est que j'ai fait mon travail correctement. Mais vous savez, je ne fais qu'essayer de reproduire, du mieux que je peux, les émotions que j'ai éprouvées à l'adolescence, à la lecture de mes romans policiers ou de SF préférés...

 

NUMERO 2 : Dans Le Numéro 7, vous faites référence à notre Village et cette expérience malheureuse avec ce prisonnier, le numéro 6. Pourquoi notre univers vous a-t-il servi de fil rouge ?
    L'idée m'est venue parce qu'Hélène Oswald m'a demandé d'écrire, pour sa collection NéO, un roman en hommage au 40e anniversaire du Prisonnier, série pour laquelle nous avons tous les deux une grande affecton (elle a publié un livre historique co-écrit avec Alain Carrazé, sur le sujet). J'ai tâtonné un moment avant de trouver la bonne forme. Je voulais que les lecteurs qui n'avaient pas vu Le Prisonnier sachent de quoi il s'agit, alors j'ai eu l'idée de reprendre un long article que j'avais écrit pour un des livres collectifs sur les séries auxquels j'avais collaboré il y a dix ans, et de le faire réécrire par un des personnages, au fil du livre. Comme ça, personne ne peut dire qu'il ne sait pas de quoi je parle

 

NUMERO 2 : Vous donnez à vos personnages des noms de héros télévisés (Booth et Brennan par exemple) : Pourquoi ? Pour mieux établir le parallèle entre votre roman et les héros fictifs ?
    Oui, et aussi parce que trouver des noms à ses personnages c'est ce qu'il y a de plus difficile. Alors ou bien le personnage est important et il faut que le nom soit « signifiant » (Eddie Dante et Alice ne s'appellent pas comme ça par hasard) ou bien le personnage est secondaire et alors il sert de clin d'œil. Comme j'aime beaucoup « Bones », ça m'amusait de donner le nom de ses héros à deux figures très secondaires. Ça établit une connivence avec le lecteur. Et ça indique que je n'oublie jamais que je suis dans une fiction. J'ai horreur des écrivains qui se prennent au sérieux au point de rendre leurs livres sinistres. Moi, j'ai envie que les gens passent un bon moment, pas qu'ils se sentent obligés de réfléchir.

 

NUMERO 2 : Vous avez écrit plusieurs essais sur les fictions télévisées. Pourquoi ? Comment avez-vous rassemblé la documentation ?
    
Au départ, au début des années 90 (Mission : Impossible, mon premier livre sur les séries, co-écrit avec Alain Carrazé, date de 1993) j'avais trois sources de documentation : ma mémoire (et les séries que j'avais vues depuis mon enfance), ma télé (avec les chaînes du câble type Jimmy et Série Club et ce que je pouvais mettre dans mon magnétoscope) et les livres (nombreux) écrits par des auteurs anglo-saxons. Amazon.com m'a beaucoup aidé. Depuis le début des années 2000, se sont ajoutés les bases de données et sites internet, mes propres bouquins (écrits seul ou en collaboration) et le DVD (ou les DivX...) Bref, je fais comme tout critique qui se respecte : je regarde attentivement les séries, je lis des articles et des livres, et j'écris régulièrement.

 

NUMERO 2 : Comment le « médecin » voit-il des séries comme Urgences, Grey's Anatomy , bref toutes ces séries mettant en scène le milieu médical ?
    Avec beaucoup d'intérêt et d'affection. Au point qu'un de mes projets est d'écrire un livre sur les séries médicales (et le monde médical dans les séries non médicales, comme Law & Order, par exemple). En ce moment, je regarde assidûment Scrubs, Grey's Anatomy et House. Moins Urgences, mais je l'ai regardée entièrement pendant ses 8 ou 9 premières saisons, alors je connais très bien la série.

 

NUMERO 2 : Plus généralement, que pensez-vous des séries tv actuelles ? Qu'apportent-elles de « novateur » ? Par exemple, nous assistons à une « déferlante » de séries policières « hi-tech », dans lesquelles priment la science et la technique.
    Elles sont écrites par des gens qui en ont beaucoup vu (ils en bouffent depuis 50 ans) pour des gens qui ont déjà tout vu et qui aiment ça. Beaucoup sont donc expérimentales, intimistes, intelligentes, ironiques, subtiles, extrêmement bien écrites, belles, etc. Les séries qui sont diffusées en prime-time en France ne sont pas forcément les meilleures, mais souvent les plus « faciles » (Lost, 24 heures Chrono, Desperate Housewives, Prison Break, Les Experts Miami). Les vraies bonnes sont les séries plus « compliquées » parce que plus « sensibles ». Certaines sont visibles en prime time dans d'assez bonnes conditions (Urgences, Cold Case, FBI porté disparu sur F2, The Closer sur F3). D'autres sont diffusées en prime-time dans des VF abominables (Grey's Anatomy, Dr House, New York Unité Spéciale, New York Section Criminelle, Les Experts Las Vegas, Heroes sur TF1) et avec des coupes ou dans le désordre absolu. D'autres encore ne sont diffusées que sur le câble ou, quand elles ont l'honneur de l'hertzien, à des heures impossibles (The West Wing, The Shield, Les Soprano) et dans des VF pas toujours à la hauteur. Les séries réalistes, que j'aime particulièrement (Gilmore Girls, Brothers & Sisters, Everwood) passent sur le câble mais sont toujours sacrifiées sur l'hertzien. Bref, pour un amateur, il vaut mieux se rabattre sur le DVD ou carrément déménager en Angleterre ou aux USA. Peut-être plutôt en Angleterre, car on y voit les séries américaines ET les séries britanniques, constamment excellentes, et très mal diffusées en France, ce qui est un pur scandale...

 

NUMERO 2 : Comment expliquez-vous que de plus en plus de séries sont programmées à la télévision, au détriment des films de cinéma par exemple ? Allons-nous tous devenir esclaves de nos écrans ?
    Parce que ça coûte moins cher que de produire des fictions originales et ça attire plus de public que des films. C'est à la fois la forme et la qualité qui font la différence, et la télévision française est si éloignée de toute notion de qualité en matière de fiction qu'elle se contente de phagocyter (ou de copier très très mal) les meilleures fictions étrangères. Pour ma part, je ne suis pas du tout esclave de mon écran. Je ne regarde pratiquement plus la télé en direct (surtout depuis la disparition de « Arrêt sur images »). J'achète des DVD ou on m'envoie des DVD des USA. À l'heure actuelle, aucune fiction diffusée sur les chaînes françaises ne justifie à mes yeux que je la regarde, et aucune fiction étrangère ne justifie que je l'enregistre : la VF et/ou la programmation désastreuse suffisent à saboter celles qui en vaudraient la peine.

 

NUMERO 2 : Au fait, quelle est VOTRE série préférée ? Pour quelles raisons ?  
    
Army Wives, Cold Case, Without a Trace, Grey's Anatomy, House M.D., Mad Men, Damages, Monk, Burn Notice, Brothers & Sisters, Scrubs, CSI, Numb3rs, Law & Order, Law & Order Special Victims Unit, NCIS, Hustle, Heroes, How I met your Mother, Dharma & Greg, Everybody Loves Raymond, Medium, Tell Me You Love Me, The Closer, Smallville... Chaque fois que je regarde un épisode d'une de ces séries, c'est ma série préférée. J'en ai eu bien d'autres (NYPD Blue, The Pretender, Buffy the Vampire Slayer, Angel, Lois & Clark, Chicago Hope, ER, Picket Fences, Quantum Leap, etc. etc. ) et il y en aura d'autres encore (je suis sûr que je regarderai assidûment Pushing Daisies, Reaper, Life et Journeyman, dont la diffusion commence aux USA, si elles tiennent le coup... ) Pour quelles raisons ? Parce qu'elles sont (la liste est non exhaustive et chaque série peut être décrite par plusieurs des adjectifs qui suivent) drôles, émouvantes, bien écrites, bien interprétées, critiques, intelligentes, pédagogiques, surprenantes, audacieuses... 

 

NUMERO 2 : Vous continuez à consulter en tant que médecin. Comment conciliez vous vos deux vies ?
    J'assure des consultations à l'hôpital deux matinées par semaine, le mardi et le vendredi en général. Le reste du temps, je m'organise. J'ai deux ordinateurs et un scooter et je prends souvent le train. Je me débrouille.

 

NUMERO 2 : Revenons à votre passé : Quel est LE livre qui vous a marqué profondément, celui qui vous a orienté vers l'écriture ? Quels sont vos derniers coups de cœur en matière de littérature, cinéma, musique ?.
    Ce sont plutôt des écrivains (en anglais writer) que des livres individuellement : quand j'aime un livre d'un auteur, je lis ses autres livres. Je me considère comme un writer (un professionnel de l'écriture) et non comme un écrivain (un aristocrate de l'écriture). Alors les writers qui m'ont le plus touché et probablement influencé sont certainement Conan Doyle, Maurice Leblanc, Isaac Asimov, Doris Lessing, Roland Barthes, Georges Perec, Jean-Luc Benoziglio, Richard Powers, Camille Laurens, John Guillebaud, et tout un tas de TV writers.


NUMERO 2 : Quels sont vos projets pour l'année à venir ?
    
Ecrire deux romans pour lesquels on m'a signé des contrats, et quelques-uns des nombreux autres livres que j'ai en projet - en particulier deux romans, Some Other Time et La Maison Molière (pour POL) et, avec Marjolaine Boutet, avec qui je termine actuellement Le Meilleur des Séries 2008, un projet assez ambitieux intitulé Les Séries télévisées pour les Nuls.

 

NUMERO 1: Bonjour, monsieur Winckler. Vous nous avez dit tout ce que nous voulions savoir. Vous avez donc le mot de la fin ....
    
Je ne suis pas encore sorti de mon « Village ». Et je ne sais pas quand j'en sortirai, ni même si j'en sortirai un jour. Mais je continuerai à essayer de m'évader (et de faire évader le plus de gens possible) en écrivant. Be Seeing You !

 

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