John Lawton

John Lawton 





 mai 2016

 

 
 
John Lawton

 


Bonjour John Lawton, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre parcours ?
    J’ai grandi dans le nord de l’Angleterre, où l’on parle anglais avec un fort accent et quelques touches de dialecte. Mes parents s’intéressaient beaucoup à la politique, c’étaient des socialistes engagés –je dis « parents » même si en réalité j’ai à peine connu mon père. Je souffre d’une importante dyspraxie, ce qui signifie que je ne peux ni conduire ni nager. Quand j’étais enfant, je ne pouvais ni renvoyer un ballon ni le rattraper. Rien ne vous exclut autant d’un groupe d’enfants que ça. Je pense que très tôt j’ai observé au lieu de participer. Je prenais des notes tout le temps. On m’a collé l’étiquette de « rebelle » parce que je n’appartenais à aucun groupe, ce qui a fait de moi une cible pour les professeurs. À l’adolescence, ils étaient divisés entre penser que je devrais être en prison ou que je devrais postuler pour Oxford ou Cambridge. Je n’ai fait ni l’un ni l’autre. J’ai choisi une toute nouvelle université au milieu des années 60, j’ai étudié la littérature et les langues européennes, et plus spécialement le russe. Depuis, j’ai eu un parcours tortueux dans l’édition, puis la télévision. Certaines des plus mauvaises personnes que j’ai rencontrées travaillent à la télévision. Je ne serai jamais à court d’inspiration pour imaginer des méchants.

 

Qu'est ce qui vous a mené à l'écriture ?
    J’ai toujours écrit. Je semblais être capable de lire à environ quatre ans lorsqu’on m’a montré l’alphabet pour la première fois. J’ai ensuite écrit assez naturellement. J’ai même écrit une pièce assez longue quand j’avais à peu près 8 ans. Elle était nulle, bien sûr.


Black-out de John LawtonBlack-out, votre premier roman paru en France en 2015, met en scène le sergent détective Frederick Troy, personnage un peu hors normes, comment est-il né ?
    Je venais de quitter l’Angleterre. J’étais épuisé, je cherchais autre chose. J’ai accepté un emploi où je peignais des villas et où j’entretenais des vergers d’orangers en Espagne. Il y avait une librairie anglaise – je crois qu’ils vendaient les livres que les touristes avaient oubliés sur la plage. J’ai acheté Parc Gorki par Martin Cruz Smith. C’est un roman magnifique. Troy est né de la lecture de ce livre et des études de russe que j’avais faites quelques années auparavant. C’était à la fois intéressant et facile de donner un contexte russe à Troy.

 

Troy a beaucoup de succès avec les femmes, pourquoi avoir décidé de développer le côté sentimental dans vos romans ?
    Je ne suis pas d’accord. Troy est un loser à ce niveau. Les femmes le traitent d’une façon très dure. Je crois qu’il a environ six relations amoureuses sur trente ans. Ce n’est pas Erroll Flynn ou Don Giovanni. La seconde partie de la question est plus intéressante, je ne considère pas que j’écris des policiers. Ce qui m’intéresse c’est la relation entre les personnages et surtout entre les hommes et les femmes. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’écris des romans d’amour, mais l’amour m’intéresse beaucoup plus que le crime. Je pense que mon thème – qu’il s’agisse d’amour ou d’idéologie- est la trahison.

 

Pourquoi avoir choisi de situer le premier roman des aventures de Troy en 1944 ?
    Encore une fois, à cause de Parc Gorki. Je cherchais une période durant laquelle Londres était aussi froide et surveillée que Moscou. 1944 correspondait parfaitement – après cinq années de guerre et d’organisation totale. Et février 1944 était d’un froid âpre et le Blitz reprenait après avoir été interrompu pendant trois ans.

 

Quelle part représente la documentation historique dans votre travail d'écriture ?
    Une part vitale. Quand j’ai commencé à écrire les aventures Troy, il était encore possible de parler à des gens dont les souvenirs des années 1930 et 1940 étaient vifs, mais il y en a de moins en moins aujourd’hui. Je suis devenu adepte des rubriques nécrologiques dans les journaux. Tout écrivain historique commet des erreurs. Je ne suis pas une exception. J’essaie d’être minutieux et si quelqu’un m’écrit à propos d’une inexactitude, je vérifie et j’essaie d’apporter une correction. Mais neuf fois sur dix la personne en question a tort. La mémoire peut jouer des tours. J’accepte l’opinion d’un témoin oculaire, une description des sentiments provoqués par quelque chose… mais s’il s’agit d’un « fait » donné par ce témoin, une date ou un lieu, je vérifie dans les dossiers. Je suis resté coincé dans une bibliothèque à Londres pendant des semaines à cause d’un livre, Retour de flammes.

 

Comment insérez-vous la réalité dans la fiction ?
    On m’a dit que je créais des « apartés » fictifs crédibles pendant des événements historiques réels. J’y ai beaucoup pensé. Je détesterais que mes livres soient considérés d’une quelconque façon comme de la fantasy. Il y a donc des limites à la réécriture de la réalité. On ne peut pas avoir un Churchill mince ou un de Gaulle petit. L’instinct de l’écrivain devrait lui dire où se trouve la limite. J’essaie de trouver des opportunités, des failles si vous voulez, dans les zones d’ombre de l’histoire.

 

En France, les deux premiers romans des aventures de Frederick Troy sont parus (10/18), comment va évoluer ce personnage ?retour de flammes de John Lawton
    Il restera un détective jusqu’à la cinquantaine environ. Il se mariera deux fois. Il sera continuellement en désaccord avec le MI6. Sa dernière affaire se déroulera sûrement vers 1963 mais il réapparaîtra quand il sera un vieil homme, vers 1990.

 

En écrivant Black-out, aviez-vous déjà l’idée de faire de Troy un personnage récurrent ?
    Non.

 

Vos romans mélangent habilement le genre policier et historique. Quelles sont vos influences ?
    « Qui » sont mes influences plutôt. Pinter, Peter Cook, Gore Vidal, Flann O’Brien, Kosinki...Certainement aucun écrivain ne peut échapper à l’influence des géants du roman du XIXème siècle, Balzac et George Eliot. Je me précipite d’acheter les livres de deux écrivains contemporains : Jim Harrison et TC Boyle, mais mon travail n’est pas du tout comme le leur. En ce qui concerne Cook et Pinter, j’imagine qu’ils m’ont appris l’art du dialogue, tous les deux étaient de superbes créateurs de dialogues et de manières de parler… Vidal m’a appris comment me servir de l’histoire et de la politique ainsi qu’à ne jamais manquer une opportunité de passer à l’attaque. O’ Brien avait un talent pour l’absurde égal à celui d’Edward Lear, mais l’influence est subliminale.

 

Qu’auriez-vous envie de dire aux lecteurs qui ne connaissent pas encore vos romans ?
   Ne vous attendez pas à un roman policier classique.

 

Vous venez de participer au festival Quais du Polar à Lyon, qu’avez-vous pensé de cette expérience ?
    C'est l’un des meilleurs festivals auquel j’ai assisté. Il était tellement bien organisé. La moindre appréhension que j’ai eue concernant sa taille s’est vite dissipée. En réalité, je ne peux me plaindre que d’une chose : tout le monde m’a dit que la nourriture à Lyon serait excellente…Elle ne l’était pas ! J’amènerai des sandwiches et une banane à l’avenir. Jamais avant je n’avais été dans un restaurant où les gens partaient sans avoir touché à leurs assiettes, mais c’est pourtant ce que certains d’entre nous ont fait.

 

Merci beaucoup John Lawton, nous vous laissons le mot de la fin.
    J’ai attendu tellement longtemps que mes romans soient disponibles en français que le simple fait de tenir un exemplaire de mon livre dans cette langue est merveilleux. Ma traductrice, Anne-Marie Carrière, est excellente. J’espère la rencontrer un jour.

 

  Du même auteur : Biographie, chronique, interview



Go to top