Thierry Serfaty







Octobre 2007

 




Peur vient de sortir. C'est le deuxième roman après La nuit interdite du Cycle de la pyramide mentale. Peux tu expliquer aux lecteurs le mode de fonctionnement de La pyramide mentale ? Quelles en sont ses origines et ses références ?
J'ai appris beaucoup de choses durant mes études, et maintenant, je m'intéresse à tout ce qu'on ne m'a pas appris - quel luxe et quel plaisir ! Et en même temps, je découvre des choses absolument effrayantes. La plupart du temps, je me penche sur des sujets tellement élémentaires qu'ils paraissent évidents et on finit par en oublier leur complexité et leurs mystères. C'est le cas de la personnalité humaine, qui me fascine complètement. Pourquoi est-on timide ? Agressif ? Battant ? Séducteur ? Et pourquoi certains vont être simplement timides, d'autres carrément autistes ? Certains simplement battants, et d'autres agressifs au point de tuer ? J'ai voulu comprendre et concevoir une théorie qui ne se cantonne pas au « tout génétique, tout inné », au « tout biologique » ou au « tout acquis ». Pour cela, j'ai imaginé la personnalité humaine comme une pyramide ; je l'ai appelée la Pyramide mentale. Elle est une représentation simple et parlante, puisque chaque face représente les composantes de la personnalité : la peur, la douleur, le désir. En effet, ces trois énergies nous habitent tous, mais dans des proportions différentes, génétiquement déterminées. On aborde tout et tout le monde avec ces trois énergies. Avant de réagir ou de prendre une décision, notre réflexion traverse notre Pyramide comme un filtre, en direction du sommet. Si la composante « peur » prédomine, on sera timide, réservé, craintif ; si c'est le rapport à la douleur qui est plus fort, on sera résistant et battant dans un cas (grande résistance à la douleur), au contraire fragile et souffrant, voire déprimé dans l'autre (faible résistance). Enfin, si c'est le désir qui domine notre « profil énergétique », on sera plutôt dans la séduction. Bien sûr, il peut y avoir des mélanges subtils qui font que certaines personnalités sont plus complexes que d'autres, moins tranchées ; cette pyramide permet de comprendre et de proposer toutes les nuances grâce à ces trois énergies. Au sommet de la Pyramide, ce qu'on essaie d'atteindre après être passé par ce filtre, c'est le plaisir. Enfin, il reste le socle de la Pyramide : le sommeil. C'est lui qui rééquilibre nos énergies quand elles ont été sollicitées en journée. Il remet les compteurs à zéro, en accord avec notre profil énergétique. Si nous manquons de sommeil, tout est déstabilisé. Et si ce rééquilibrage n'est pas possible, pour une raison ou une autre, on bascule dans la maladie : le timide peut devenir autiste, l'agressif peut plonger dans la violence pathologique, le séducteur vire à l'érotomane. En somme, ne négligez pas votre sommeil, les amis, ou votre Pyramide va souffrir... et vous avec ! Bien sûr, tout ceci n'est qu'une théorie, mais elle me semble bien fonctionner pour expliquer les différentes personnalités. Pour cette raison, j'ai voulu écrire un thriller sur chaque face de la Pyramide. Évidemment, ce n'est qu'un fil rouge pour les romans du Cycle, mais rien de si « technique » dans les romans, je vous rassure !! Mes romans sont des thrillers, pas des bouquins de médecine...


Si tu devais te définir par rapport à cette Pyramide actuellement, où te situes tu ?
Où me situer par rapport à cette Pyramide actuellement ? Je crois que l'environnement et les circonstances peuvent influer (dynamiser ou au contraire atténuer) sur une énergie ou une autre. Actuellement, je crois que c'est mon rapport à la douleur qui prédomine : je la maîtrise mieux, je suis plus battant, plus agressif - dans le bon sens du terme, bien sûr, même si mon roman pourrait laisser penser que j'ai viré au psychopathe !!

On sait que le manque de sommeil a déjà été utilisé comme moyen de torture mais pour la manipulation de la Peur c'est plus sournois. Elle est souvent utilisée de manière insidieuse à des fins politiques, médiatiques ou commerciales. Quels peuvent être d'après toi les effets pervers de tels agissements étant donné qu'à un moment, elle déséquilibre cette pyramide ? Est elle valable pour un groupe d'individus également ?
Susciter la peur est un moyen bien connu pour manipuler les gens, et comme tu le dis, la publicité, le roman (tiens donc...), le cinéma, le marketing en général de ne prive pas d'en user. Ce qui est moins courant serait un moyen de dominer sa peur ; ce deviendrait une arme redoutable, on fabriquerait des êtres intrépides - mais qui ne résisteraient probablement pas : la peur est un rempart, elle nous fait prendre conscience du danger et nous permet de réagir pour y échapper ! Mais c'est vrai que c'est un fantasme qu'on partage tous, c'est assez étourdissant...


Avec le titre de ton nouveau roman la question était inévitable : quelle est ta plus grande Peur ? Comment vis tu avec et penses tu que si elle disparaissait, ta vie serait différente ?
Mes peurs ont changé avec le temps - forcément. Enfant, j'avais plutôt peur des autres, j'étais dominé par la timidité. Il faut dire que je n'avais rien pour m'aider : j'étais plus petit, plus jeune et physiquement immature par rapport à mes copains de classe. Cerise sur le gâteau : j'ai même connu une période d'obésité. Oui, je sais, ça a bien changé... Aujourd'hui, j'ai mûri et j'ai dompté ma timidité - je parle de dompter parce que je ne crois pas qu'une peur disparaisse ; on tente de la maîtriser et on finit par vivre avec elle, par cohabiter, on l'enferme dans une pièce et on la surveille. En revanche, une autre peur grandit ave les années : j'ai peur de mourir trop tôt. Ce n'est pas la mort en soi qui m'effraie ; je crois que sur ce chapitre, la médecine m'a beaucoup aidé. Non, c'est plutôt l'idée qu'il y a des milliers de choses à faire, à découvrir, explorer, apprendre, encore plus de gens à rencontrer, d'expériences riches à partager, et je serais malheureux de ne pas avoir connu plus que ce que j'ai connu. Mais il y a de fortes chances pour que ce soit toujours trop tôt à mon goût ! C'est pour ça que je parle vite, parfois, que les idées se bousculent dans ma tête et que je suis pressé : je voudrais faire et faire et faire !


Entre La nuit interdite et Peur, on remarque un changement de style avec des personnages principaux plus présents, plus épais, plus attachants et une pointe d'humour dans les dialogues. Est-ce un changement qui se prêtait spécialement à cette histoire comme une soupape à se sentiment omniprésent de peur d'un bout à l'autre du livre ou quelque chose qui va se prolonger dans les romans suivants ?
Je ne crois pas que le sujet - la peur - ait modifié mon rapport à mes personnages. Je crois simplement qu'ils ont pris vie, d'eux-mêmes. Je travaille énormément les personnages durant la phase préparatoire d'un roman. Chacun a droit à une fiche très détaillée (plusieurs pages, même !) qui trace leur parcours de la naissance à la mort, pratiquement ! Je ne vais pas tout en dire, ensuite, mais ça me permet de construire pour chacun une personnalité, afin que tous ne se ressemblent pas, qu'ils ne parlent pas tous de la même façon. Un peu comme nous dans la « vraie » vie, en somme ! Dans la Nuit interdite, je crois que je les ai retenus, que je les ai un peu bridés. Ce n'était pas volontaire. Il se trouve que le sujet, le sommeil, était dense, profond, immense, il fallait beaucoup de rigueur et de maîtrise pour ne pas partir dans tous les sens, et j'ai serré la bride un peu partout. Les personnages en ont peut-être pâti, je n'en suis conscient qu'avec du recul - et aussi parce que tout le monde me dit la même chose que toi : les personnages dans PEUR semblent avoir explosé, ils vivent à mille pour cent, ils sont attachants. Tant mieux, j'en suis très heureux. Il faut dire que là, je suis allé encore plus loin dans leur passé, leur personnalité, sans voir le « danger » venir : ils avaient alors de quoi voler de leurs propres ailes, ils se sont émancipés et ne m'ont pas vraiment demandé la permission ! Ah, mon bon monsieur, la jeunesse est comme ça, sans reconnaissance pour le père... Plus sérieusement, dans certains dialogues, les répliques se sont presque imposées malgré moi, et dans une situation ou l'autre, les réactions ont fusé avant que j'aie eu le temps de les imaginer ! C'est une impression très étrange mais au fond c'est formidable et quand vous, lecteurs, me dites que mes personnages vous ont agrippés et que vous les avez suivis avec plaisir, c'est un magnifique compliment... pour eux ! Je le leur dirai, quand ils daigneront rentrer à la maison à l'heure... Voyous, va.


Tes cinq premiers romans traitent du milieu médical. Une fois le cycle de la pyramide mentale achevé penses tu te tourner vers un autre style ? ?
J'ai beaucoup de projets qui ont tous un rapport avec le corps et l'esprit et ce qui les lie, plus qu'avec la médecine. Lesquels retiendrai-je ? Je ne le sais pas encore, c'est tellement dépendant de circonstances, de rencontres, d'époque, de sentiments... Ce qui est certain, c'est que les thrillers me permettent de pratiquer une autre médecine, d'explorer des territoires fascinants et qui me sont inconnus, et je ne suis pas encore rassasié. Mais je ne m'interdis rien : j'ai d'ailleurs dans quelques tiroirs de mon petit cerveau des projets parallèles que je nourris depuis des années. Je me connais : ils vont finir par frapper à la porte et il faudra bien que j'ouvre dans un futur proche...

Une question qui va devenir un rituel à force de voir des auteurs de polars issus de part leurs professions du corps médical (Patrick Bauwen, Martin Winckler, ...) : les mots sont-ils un palliatif aux maux du quotidien ?
Je ne sais pas si l'écriture est une thérapie, mais il est clair qu'il n'est vraiment pas nécessaire qu'un auteur soit issu du milieu médical pour qu'un texte serve d'exutoire ou de pansement. Un roman, en l'occurrence, répond aux préoccupations de l'auteur comme à celles de la lectrice / du lecteur ; chacun y met ce qu'il veut, y trouve ce qu'il accepte d'y trouver.


Tu es à l'origine de la série Cocon et il y a également de prévue l'adaptation de La nuit interdite pour la télévision. Quel regard portes-tu sur ces deux expériences ? As-tu d'autres projets dans ce domaine à la télé ou au cinéma ?
Je porte un regard très différent sur ces deux types d'expériences de l'écran. Dans le cas du Cocon, j'y ai pris part, puisque j'ai créé la série à partir d'une simple idée, pas d'un roman, puis j'ai supervisé l'écriture médicale des auteurs. Quand on est partie prenante et acteur du projet, on vit la chose de façon moins détachée, c'est inévitable. On s'attache au « bébé », et surtout, surtout, on se rend compte qu'il nous échappe quand il passe entre les mains de la « sage-femme » - soit toute la chaîne de production jusqu'au réalisateur. Tout le monde donne son avis, veut y mettre sa patte, on change la couleur des yeux du gamin, sa taille, son poids - voire même son sexe ! Bref, quand l'image apparaît, on n'y reconnaît plus son petit, c'est le cas de le dire. C'est le jeu, il faut l'accepter. Au bout du compte, c'est tellement loin de ce qu'on a voulu - ou cru ! - faire qu'on en rit et qu'on prend de la distance. Tant mieux. Quoi qu'il en soit, ça m'a amusé, mais l'écriture romanesque est infiniment plus épanouissante et plus libre que le scénario - surtout pour la télé, qui est terriblement formatée. Le second volet, celui du Sang des sirènes ou de la Nuit interdite, est différent : il s'agit d'une mise à l'écran de son propre roman, qu'on a initialement créé pour en faire un texte, rien d'autre - même s'il est vrai que je suis très visuel, que l'image est capitale pour moi quand je compose une scène et que mes romans sont considérés comme très « cinématographiques ». Dans ce type de projet, je reste tout à fait en dehors de la scénarisation ; j'y tiens, et les producteurs aussi, en général. Ils ont raison : beaucoup d'auteurs ne supportent pas que le film ait touché à un cheveu de leur roman, et ça devient pénible. Ce n'est pas du tout mon cas, et je préfère que le scénariste/réalisateur s'approprie la matière du roman pour en faire sa propre œuvre. Si elle est de qualité, tant mieux pour le roman... et si ce n'est pas le cas, on dira peut-être que le roman est meilleur ! Ce qui est sûr, c'est que si on est possessif à l'égard de son roman et de ses idées, il ne faut pas accepter la mise à l'écran et mieux vaut garder son texte pour soi... Je n'ai pas de projet d'écriture de scénario original, vous l'aurez compris. En revanche, le Sang des sirènes devrait être adapté au cinéma. Quand ? Nul ne le sait, ça fait des années maintenant que le projet est repris par un producteur, puis un autre, puis encore un autre, c'est toujours flou avant l'ultime moment. Je n'y pense pas, ça viendra quand ça viendra, tout comme la Nuit interdite à l'écran, dont le projet semble pour l'instant en stand by. Les mystères de la production...


Dernièrement as-tu passé une nuit blanche ou frissonné, je te rassure c'est uniquement une réponse en rapport avec des romans ou films
Oui, j'ai passé une nuit blanche récemment pour finir un chapitre de mon prochain roman (la suite de PEUR, qui devrait sortir au printemps 2008 ; le projet complet m'aura pris trois ans, il était temps !). Le chapitre en question me narguait, je traînais autour... et je l'ai eu ! Mon dernier frisson ne vient ni d'un livre, ni d'un film - ou plutôt si, le film d'une réalité saisissante : à la frontière de l'Argentine et du Brésil, j'ai émergé de la forêt pour faire face aux chutes d'Iguaçu - au sommet, plus précisément. Les eaux du monde entier semblaient s'y engouffrer. J'étais trempé, il faisait chaud, mais j'en frissonne encore !

Merci. Je te laisse le mot de la fin
Le mot de la fin ? Mais qu'il n'y en ait pas, justement, ou le plus tard possible !

Du même auteur : Biographie, chronique, interview

 
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