Jean-Marc Souvira

 





 Mars 2008

 

 

 

Bonjour Jean-Marc Souvira. Pour commencer, le petit rituel de présentation de Plume Libre, pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?
     Bonjour à Plume Libre et à ses lecteurs. Je viens d'Aix-en-Provence et après de classiques études de droit j'ai passé le concours d'Inspecteur de Police, et sans surprise j'ai été muté à Paris. Après divers postes plus passionnants les uns que les autres, j'ai passé le concours de commissaire en 1990. Je dirige actuellement l'Office central de répression de la traite des êtres humains à la Direction centrale de la police judiciaire.

Je suis marié, j'ai deux enfants et j'habite Paris. Je trouve cette ville formidable. J'écoute beaucoup de musique de jazz et de blues. Je pratique la photographie, essentiellement en noir et blanc. D'ailleurs, j'ai presque toujours dans mon sac un appareil photo. Mais c'est le temps qui me manque...

 

Comment est née l'envie d'écrire ce livre ? Et d'écrire tout court ?
    L'envie d'écrire ce livre est venue après l'écriture du scénario de «Go-Fast». J'ai d'ailleurs appris à cette occasion ce qu'était l'écriture d'un scénario. C'est une écriture qui suggère, qui est très peu descriptive, qui répond à des codes bien particuliers. Quand j'ai pensé au «Magicien», j'ai ressenti le besoin de m'exprimer différemment, plus en profondeur.

Mais l'idée d'écrire est venue simplement, spontanément. Je voulais raconter une histoire vraie et différente de ce que l'on voit ou lit habituellement sur les policiers français. C'est le sujet de «Go Fast», montrer des policiers français dans l'action, infiltrant des réseaux de narcotrafiquants et utilisant de la technologie high-tech. C'est une réalité quotidienne.

 

De l'écriture à la publication, le parcours a-t-il été difficile ou non ? 
    Très facile, avec une bonne dose de chance. Cela s'est passé au cours d'un dîner où j'ai eu droit à l'inévitable question « et vous, que faites-vous comme métier ? » après ma réponse autre question, « vous n'avez jamais eu envie d'écrire, de raconter ce que vous avez vu ? ». Les questions m'étaient posées par François LAURENT le directeur éditorial d'Univers poche. Quelques jours plus tard, je lui faisais parvenir une vingtaine de pages, le début de l'histoire du « Magicien », et c'était parti.

 

Quelle a été la réaction de votre entourage, amis et collègues, à la lecture du Magicien ?
    Surpris. Hormis mon entourage, personne ne savait que j'avais écrit un livre. Ils l'ont découvert terminé. Ensuite, j'ai reçu des courriels très chaleureux et encourageants

Comment avez-vous composé « ce Magicien » ? En quoi vous êtes-vous appuyé sur votre expérience ? Quelle est la part du personnage qui est romancée ?
     « Le Magicien » est une superposition de plusieurs personnages que j'ai côtoyés quand je dirigeais les équipes de lutte contre la pédopornographie à la Brigade de protection des mineurs de Paris. J'ai fait du «Magicien» un tueur, c'est la partie la plus romancée.

 

Dans votre livre, c'est en prison que « le Magicien » apprend les « astuces » pour duper la police ; et devient pire en sortant. Pensez-vous que la prison (donc la répression) peut avoir être un facteur aggravant d'un certain type de délinquance ?
    Jean Genet a dit de la prison que « c'était le mal nécessaire dont on ne saurait se passer ». Il n'existe aucun pays sans prison. C'est ainsi. Aucune société n'a trouvé le moyen de se protéger, de protéger ses concitoyens sans enfermer ceux qu'elle considère comme dangereux. 

C'est vrai que la situation carcérale, surpopulation et promiscuité, ne sont pas des éléments favorisant la réinsertion. Ils ont vraisemblablement un effet contraire.

 

 
Au fil du roman, on assiste à la transformation d'Arnaud Lécuyer. De petit homme effacé, il devient un monstre sûr de lui. Quels sont selon vous les facteurs qui peuvent opérer un tel changement ?
    Lécuyer pense qu'il a toutes les cartes en main pour ne pas se faire attraper : il met en pratique ce qu'il a appris en détention, il a longuement mûri et réfléchi à ce qu'il allait faire et il est sûr d'avoir plusieurs temps d'avance sur la police. Progressivement, il arrive à assouvir ses fantasmes en étant persuadé qu'il ne commet aucune faute.

Mais le fait de pouvoir observer le policier qui le cherche, en inversant les rôles en quelque sorte, le conduit à ce sentiment de puissance et d'invincibilité.


 
Ce qui marque le plus dans votre livre n'est pas la description des scènes de crimes, ni même le moment où le tueur passe à l'acte, mais le réalisme de l'enquête, et le chaos qui règne dans la tête du magicien. Pourquoi avoir créé un tel personnage ? 
    Je n'ai pas souhaité m'attarder sur les descriptions de scènes de crimes parce que je considérais que ce n'était pas le cœur du roman ; de même pour les scènes de passage à l'acte où elles ne sont qu'à peine suggérées. En revanche, j'ai souhaité installer le lecteur au cœur d'une enquête criminelle pour qu'il en connaisse le mécanisme, une sorte de rouleau compresseur qui avance en essayant de ne rien laisser de côté.

La création du « Magicien » a été relativement facile, elle s'est inspirée en grande partie du réel. J'ai raconté le comportement du tueur dans sa vie de tous les jours, dans ses relations avec les autres, son chaos mental, sa façon de parler, de manger, de dormir, de se tenir, de marcher, de regarder, de chasser. Ces descriptions proviennent des surveillances, des enquêtes, des arrestations et des interrogatoires pendant les gardes à vue. J'ai repensé à tout cela, spontanément, quand j'ai mis en scène Lécuyer

 

Vous êtes le co-scénariste du film « Go-fast » co-produit par Luc Besson. Comment a débuté cette aventure ?
    Là aussi très facilement, avec encore de la chance. J'ai écrit une histoire policière d'une trentaine de pages qui était aux antipodes de ce que montre le cinéma français. Je l'ai faite lire à un de mes amis, Thibaut Chatel, qui produit des dessins animés et des documentaires, pour savoir ce qu'il en pensait. Il a trouvé l'idée originale et a fait parvenir le texte à Emmanuel Prevost d'Avalanches Production.

Une semaine plus tard, je m'entendais dire que l'histoire allait devenir un film. Avec Emmanuel Prevost j'ai coécris le scénario et quelques mois plus tard Europacorp de Luc Besson coproduisait le film.
 

 
Quel regard portez-vous sur le cinéma et particulièrement sur les films qui mettent en scène des policiers en action ? Vos favoris ? Vos détestés ? 
     Je suis avant tout un cinéphile et j'ai regardé quantité de films noirs, policiers, du cinéma américain et français. C'est vrai qu'il y a un monde entre la réalité et la plupart des films policiers français. Il faut se dire que c'est du cinéma, que ce doit être distrayant et s'accommoder des libertés faites avec le métier de policier.

J'ai un faible pour le cinéma américain de Mann, de Cimino, des frères Coen, etc. mais aussi des films comme « Bullitt, usual suspect, reservoir dog, bad lieutenant, etc. ». Je n'aime pas la violence gratuite, la violence pour la violence, qui n'apporte strictement rien à l'histoire que ce soit dans un roman ou dans un film.

 


Comment percevez-vous le métier de flic à travers la littérature policière ? Trouvez-vous les polars en général réalistes ou plutôt exagérés, voire sortant complètement de la réalité du métier ? Est-ce par réaction que vous avez pris la plume ?
 
     La littérature policière est un genre qui plait, qui a un public de connaisseurs. Beaucoup d'écrivains étrangers s'en sont bien sortis en faisant de leur héros un détective privé, ce qui est hautement improbable en France. D'autres comme Simenon ont tellement bien joué sur un registre d'ambiance, de portraits, que les entorses à la réalité sont passées au second plan.

En revanche pour la littérature américaine, celle de James Ellroy, Michael Connelly etc., ou celle d'autres pays, est bien malin celui qui peut dire quelles sont les prérogatives d'un flic américain, suédois, italien, etc.
Donc si le polar me plait, j'aurai la même approche que pour le cinéma en me disant que j'ai passé un bon moment. Et puis on ne peut pas demander à un non-policier qui écrit la même rigueur qu'à un policier.

Mais c'est vrai que j'ai pris la plume pour raconter une histoire en la ramenant au plus près de la vérité, et aussi pour enlever les clichés habituels du policier mal dans sa peau, solitaire, plus ou moins dépressif et alcoolique. La réalité est tout autre, heureusement !

 

Boulot, vie de famille écriture, comment arrivez-vous à concilier tout cela ? Vos journées ont 48 heures ? 
     Oui. Comment le savez-vous ? Plus sérieusement, c'est une question d'organisation. J'ai un métier exigeant que l'on ne peut faire qu'à 100 %. Donc, dans la journée, il est exclu que je fasse autre chose que mon travail. La soirée est réservée à ma famille. Ensuite, une partie de la nuit est consacrée à l'écriture, entre 22 h 30 et 1 h 30/2 h. Ce sont des heures qui m'appartiennent. Puis debout vers 7 heures, l'arrivée au service à 8 h 30 et c'est repartie jusqu'à 20 heures.>

 


Certaines personnes de la police ont objecté que les romans policiers et autres séries télé (les Experts en tête) donnent trop d'informations sur le déroulement d'une enquête aux criminels et compliquent la tâche des policiers dans la recherche de la vérité. Comment percevez-vous cette polémique ayant les deux casquettes à votre actif ?
     Je trouve que c'est une polémique stérile. Il suffit d'aller sur Internet et l'on y trouve davantage d'informations qu'en regardant des séries TV, et notamment les Experts dans lesquels il y a pas mal d'erreurs. Mais spectacle oblige....

 

Un autre roman ou scénario en route ? Quand peut-on compter avoir de vos nouvelles littéraires ?
    Un scénario est pratiquement bouclé avec Avalanches Production, il en est au stade des finitions. Un autre roman avec Ludovic Mistral, dont je viens de démarrer l'histoire, il faudra donc attendre un peu...

 

 Quelles sont vos influences littéraires, vos derniers coups de cœur ?
     Des influences très larges. Chandler, Hammett, Hemingway, Paul Auster, James Ellroy, Alexandre Dumas, Maurice Leblanc, Frédéric Dard, et pleins d'autres. Les derniers coups de cœur sont incontestablement « les cavaliers » de Joseph Kessel que j'ai relu avec un plaisir intact et «le dictionnaire amoureux de la mer et de l'aventure» de Jean-François Deniau

 

Que diriez-vous aux lecteurs qui n'ont pas encore lu votre livre ?
    Méfiez-vous d'un type qui fait des tours de cartes sans regarder ses mains.

 

Merci beaucoup, nous vous laissons le mot de la fin
    La rencontre avec des amateurs de romans policiers va être très intéressante. J'imagine déjà certaines questions...

 

 

Go to top