Denis Marquet

 





 Aout 2008



Denis Marquet, la première question rituelle de la présentation sur Plume Libre. Pouvez vous nous raconter votre parcours ?

    Je suis né le 9 février 1964 à Chalon sur Saône et ai vécu à Lyon de 3 ans à 19 ans. J'ai fait des études de philosophie et enseigné à l'Université (Paris XII) et à Sciences Po Paris. Puis j'ai abandonné l'enseignement, d'abord pour me consacrer à ma passion de la musique et jouer dans des groupes de rock, puis pour ouvrir un cabinet de philosophe-thérapeute. J'ai exercé ce métier durant sept ans, tout en donnant régulièrement des conférences et publiant des articles dans Psychologies magazine et Nouvelles Clés. Et, les dernières années, en écrivant Colère. Paru en 2001 chez Albin Michel, ce roman a été un best-seller. Ont suivi Père et La planète des Fous. Puis, cette année, Mortelle éternité en collaboration avec Élisabeth Barrière. Actuellement, je travaille aussi sur une adaptation cinéma de L'Odyssée d'Homère. Je tiens une rubrique dans Nouvelles Clés et je donne toujours des conférences.


Vous avez créé un cabinet de Philosophe thérapeute. Pouvez-vous nous expliquer votre propre vision de la Philosophie 


    Ce métier m'a permis de pratiquer la philosophie comme je l'aimais, non comme une démarche purement abstraite et intellectuelle, mais comme un questionnement vivant, avec des personnes en situation de questionnement existentiel. La philosophie, pour moi, doit rester « amour de la sagesse » (c'est l'étymologie du mot) et, pour cela, il est nécessaire d'y engager tout son être, et pas seulement ses facultés mentales. La philosophie est un art de questionner, donc d'être en quête de sens, un art de (bien) vivre.
 

Comment passe t-on de la philosophie à l'écriture de Thriller ?


    Pour moi, le roman (et pas seulement le thriller) est la possibilité de mettre en scène des situations existentielles vécues. De même qu'en cabinet, je recevais des personnes qui engageaient toute leur vie dans leur questionnement, le roman m'offre la possibilité de mettre en scène des personnages dans des situations cruciales de leurs vies et d'explorer toute la palette de leurs réactions. De même que, dans nos existences réelles, la vie nous met en question régulièrement par les rencontres, les situations et aussi les difficultés qu'elle nous propose, ainsi le roman permet, en plaçant un personnage dans une situation limite (donc intéressante pour le lecteur! ), de découvrir son humanité. C'est pourquoi, même dans un roman à suspense, j'aime que l'intrigue soit mêlée étroitement à une évolution du personnage qui le fait se dévoiler dans toute sa profondeur. Dans Mortelle Éternité, Jeff Mulligan, le héros, a un secret intime, il est hanté par quelque chose qu'il a tout fait pour oublier, son enquête et ses aventures aux limites de la mort et de la folie viennent le chercher dans les profondeurs de son inconscient.


Quelles sont vos influences littéraires ? Vous revendiquez-vous d'un auteur en particulier ?.

    Dans Colère, de discrets pastiches révèlent certaines influences comme Stephen King ou Brett Easton Ellis... Dans la Planète des Fous, Voltaire, Lewis Carroll, Michaux... Les influences doivent être digérées et intégrées, sans quoi on est dans l'imitation. Je ne me revendique d'aucun auteur particulier, car j'aspire à être un auteur singulier.


Votre livre Colère, sortit en 2003, était un cri d'alarme pour la sauvegarde de la Planète. Quel est votre regard sur le Monde, et sur l'écologie quelques années après ?

    Il est clair que rien n'a changé en profondeur. Dans Colère, j'essaye de démontrer qu'au point où nous en sommes, c'est d'un changement intérieur individuel, mais vécu par une masse critique d'individus, dont nous avons besoin pour éviter la catastrophe écologique qui se profile. Car c'est tout un rapport à la vie qu'exprime notre civilisation occidentale, qui s'est persuadé qu'affirmer la transcendance de l'être humain (à laquelle je crois, je ne suis pas anti-humaniste) nécessitait de se mettre en guerre contre la nature. La grandeur de l'homme ne réside pas dans le fait de dire non à la nature, non à la vie. Cette négativité n'exprime que nos peurs par rapport à notre propre dimension naturelle, qui a notamment pour conséquence que nous sommes mortels. Dans Mortelle Éternité, nous explorons précisément les conséquences monstrueuses de ce refus d'être mortels qui est profondément un non à la vie. Je crois que l'humain s'accomplit dans le OUI à la vie.


Après plusieurs romans en solitaire (Colère, Père, La planète des Fous), Vous passez à l'écriture à quatre mains pour mortelle éternité avec Elisabeth Barrière. Pourquoi ce choix et pouvez-vous nous la présenter ? 

    Élisabeth Barrière est scénariste de métier (télévision, cinéma). Elle possède une technique d'écriture et de construction très rodée, et un univers très singulier que j'apprécie beaucoup. Nous avons la chance de bien nous connaître puisque nous avons été mariés, ce qui aide dans une collaboration.


Question classique mais pouvez expliquer à nos lecteurs comment concrètement on fait pour écrire un livre à deux et les avantages et inconvénients ? 

    Je crois que chaque collaboration est différente. Mortelle Éternité est la rencontre de nos deux univers. Nous avons créé l'histoire ensemble, à tel point que l'on ne peut plus savoir, à la fin, qui a inventé quoi. J'ai écrit le premier jet à partir d'un synopsis extrêmement précis. Puis elle a repassé sur cette première écriture. Tout s'est passé de manière très fluide, dans un constant dialogue nourri des propositions de chacun. Le grand avantage est de rompre la solitude de l'écrivain, parfois pesante.


Le thriller est-il un moyen pour vous d'illustrer vos propos philosophique ? Ou bien est-ce l'intrigue qui va dicter le thème ?

    Le genre du thriller suppose un personnage aux prises avec une menace très puissante, et qui fuit ou affronte cette menace pour sauver sa peau. Cette proposition de départ, philosophiquement, ne me convient pas. C'est pour cela que j'utilise ce genre littéraire très codé du thriller : pour le renverser. Dans Colère, j'inventais une situation où la seule chance pour les héros de se sauver était de renoncer à la fois à la fuite et au combat, ce qui supposait une mutation intérieure : traverser leur peur et créer un lien d'amour avec « l'ennemi ». Dans Mortelle Éternité, de la même manière, on finit par s'apercevoir que la véritable menace, en réalité, c'est la peur. Un genre littéraire, quel qu'il soit, exprime toujours un conditionnement particulier de son époque. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas d'appliquer les codes d'un genre, mais de le subvertir.


Avec Mortelle éternité, vous prenez un risque. En France, le mélange des genres n'est pas toujours bien perçu. Comment avez-vous réussit à doser l'équilibre entre la part de thriller, de paranormal et de réflexion philosophique ?


    Le lecteur ou le critique qui s'accroche à la pureté du genre montre seulement qu'il a besoin d'être rassuré, comme le brave consommateur qui exige d'être totalement informé sur le bien qu'il achète. Personnellement, je m'adresse à des lecteurs qui aiment être surpris, déroutés, emmenés dans des voies inconnues. Dans Mortelle Éternité, ce qui nous a intéressé, c'est de mettre en conflit, en quelque sorte, l'idéologie de la science-fiction et celle du fantastique. Là encore, ces deux genres véhiculent chacun une vision du monde assez conditionnée, un scientisme parfois naïf d'un côté (pour le meilleur ou pour le pire, la science aura toujours le dernier mot dans un monde exclusivement fait de matière), un recours souvent crédule au merveilleux de l'autre (pour notre bien ou pour nous nuire, des forces occultes agissent dans nos vies). La mise en tension de ces deux visions dans un même roman permet de les mettre toutes les deux en perspective.


Dans ce roman on pense à des références télévisuelles ou cinématographiques (comme X Files ...) est-ce une filiation voulue ?


    Le succès de X-Files en fait la référence populaire en matière de paranormal et c'est effectivement pour nous une influence, d'ailleurs plus inconsciente que vraiment voulue : le couple d'enquêteurs, les phénomènes inexplicables, le complot de grande envergure... Mais les points communs sont en surface. Le fond est très différent.
 

Quels sont vos projets pour la suite ?


    Je suis en train de terminer un recueil de nouvelles, je prépare deux autres romans et je poursuis des recherches philosophiques de longues haleine. Élisabeth Barrière travaille sur un roman. Nous n'avions pas envisagée de donner une suite à Mortelle Éternité, mais nous en avons reçu de plusieurs côtés la demande et une idée s'est alors imposée. Nous y travaillons donc et les lecteurs pourront retrouver Jeff Mulligan et Ann Lawrence quelques années plus tard, aux prises avec une menace plus terrible encore que dans Mortelle Éternité, qui les touchera au plus intime d'eux-mêmes. Mais je n'en dis pas plus...


Êtes-vous un « gros » lecteur de roman ? Est-il facile quand on est écrivain de se détacher de la mécanique de narration des autres auteurs pour savourer un roman ?

    Non, hélas, je n'ai pas le temps de lire beaucoup de romans. Entre l'écriture et mes recherches personnelles, je lis rarement pour mon plaisir et je le regrette. J'aimerais reprendre certains grands auteurs (Proust, Céline, Hugo...) que j'ai lus autrefois et lire certaines œuvres dont j'ai envie depuis longtemps. Il me faudrait de vraies vacances...

Ses romans chroniqués sur Plume Libre:


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