Franck Thilliez, votre nouveau roman sort le 2 octobre 2008 aux Editions Le Passage. Pouvez vous nous présenter L'Anneau de Moebius en quelques mots?
Deux histoires, qui a priori n'ont rien à voir. Une enquête policière, avec des meurtres complexes, où l'on suit un flic débutant, qui ignore s'il aimera son métier ou pas. De l'autre côté, un personnage ambigu, qui va progressivement comprendre que ses rêves représentent son futur. En définitive, ces deux histoires se trouveront être imbriquées...
Comment décririez-vous à vos lecteurs le concept de L'anneau de Moebius ?
Alors là, ce n'est pas évident à expliquer, sans trop en dévoiler. Je dirais que c'est un roman qui part d'un postulat : un personnage rêve de son futur. Il ne s'agit pas vraiment de prémonitions, c'est différent ici, je crois qu'il faut lire le roman pour comprendre. Bref, une fois ce postulat intégré, on sombre dans le thriller rigoureux, réaliste, où rien n'est laissé au hasard. En définitive, il n'est pas réellement question de science-fiction ou de fantastique. Si du jour au lendemain, je venais à rêver d'un futur que je ne comprends absolument pas, qui ne peut pas être le mien et qui pourtant, l'est, comment je réagirais ? Et comment réagirait mon entourage ? Me prendrait-on pour un fou ? Un schizophrène ? Quel serait le regard des autres sur moi ?
Comment est né ce sixième roman ?
Je voulais tenter quelque chose de différent, encore. Avec « La mémoire fantôme », je traitais d'une pathologie (l'amnésie antérograde) qui ressemblait à de la fiction, mais qui pourtant, était bien réelle. Le postulat était « Le personnage perd la mémoire toutes les 4 minutes environ. Comment vit-il dans la société ? » Ici, avec « L'anneau », nous sommes dans une optique différente, où existe un personnage qui doit faire avec son pouvoir, qui s'apparenterait plutôt à un « maléfice ». Je voulais une histoire très complexe, un puzzle a priori insoluble, et je dois avouer que je n'ai jamais autant peiné pour établir la trame d'un roman. Avant même d'écrire le premier chapitre, j'ai dû tout décrire précisément sur de grandes feuilles A4, pour que tout soit cohérent. L'aspect temporel est un élément primordial du roman, et c'est lui qui m'a donné le plus de fil à retordre. Sur combien de temps devait se dérouler mon histoire ? Comment faire que les actions s'imbriquent à la perfection ? Les chapitres devaient-ils se dérouler le jour, la nuit, à quelle heure, précisément ? Bref, j'ai navigué entre passé et futur, mais non sans peine !
Vous consacrez maintenant votre temps entièrement à l'écriture. Cela a-t-il changé votre mode de création pour ce roman par rapport aux précédents ? Comment se déroule une de vos journées de travail ?
Disons que ces journées totalement dédiées à l'écriture me permettent d'avoir l'esprit toujours orienté vers mon histoire, sans coupures entre les deux. Quand je travaillais en entreprise, il fallait que je « zappe » de l'un à l'autre, ce n'était pas toujours évident, et puis il y avait la fatigue, le manque d'envie parfois. Mais là, le plaisir est chaque jour immense de pouvoir se consacrer à 100% à une histoire, cela se ressent peut-être dans l'écriture... En général, je commence à travailler vers 8h30, et j'arrête vers 16h30, 17h30. Comme je dis souvent, ce n'est pas de l'écriture à 100%. Il y a la réflexion, les recherches, répondre aux mails, au téléphone, se rendre à d'autres activités comme les rencontres, les manifestations ponctuelles, les salons, etc... En définitive, c'est un « travail » très varié.
Après le huit clos avec La Forêt des ombres, l'exercice de style de ne pas utiliser les mots : plaisir, joie ou espoir dans La Mémoire Fantôme, vous tentez un nouveau défi avec L'Anneau de Moebius en vous attaquant à une histoire jouant avec le Temps. Ce sont vos histoires qui imposent ces défis ou un besoin de l'auteur d'innover et de prouver à chaque nouveau roman en tant qu'écrivain ?
Avec « L'anneau », je voulais quelque chose qui ne s'était jamais fait. On connaît tous les histoires de prémonitions, ou de voyage dans le temps, vers le passé, le futur, etc. Mais dans mon roman, le temps est traité comme une dimension aussi importante que les dimensions spatiales, et avec la même rigueur. Je ne me suis pas permis de faire ce que je voulais avec le temps, de manière a éviter les paradoxes du genre « Si je revenais dans le passé pour tuer mon grand-père, que se passerait-il pour mon ‘moi futur' ? » Dans le roman, au fil de l'histoire, les personnages ne résonnent plus en termes d'espace, mais de temps. Un exemple résume assez bien cette idée : Quand quelqu'un prend le train, il s'éloigne de vous. Les deux personnages se retrouvent par exemple à 500 kms l'un de l'autre. Dans mon roman, le concept de « train » est remplacé par celui du « voyage ». Les personnages ne sont plus éloignés de 500 kms, mais de 6 jours, par exemple. Comment communiquent-t-elles, dans ce cas ? C'était amusant et très intéressant, de lentement glisser de la normalité vers l'anormalité, tout en restant rigoureux et scientifique !
L'écriture de ce roman vous a-t-il demandé une rigueur plus importante ? Comment avez-vous fait pour gérer les différents espaces temps de cette histoire dans votre écriture ? Avez-vous écrit les deux histoires en parallèles ou l'une après l'autre ?
En effet, complexité supplémentaire que j'ai souhaitée, c'était d'intégrer une vraie histoire policière en parallèle, avec un milieu policier qui, par définition, ne se base que sur le concret du monde pour avancer. Des personnages très opposés, donc. Ceux qui me connaissent se doutent que les histoires vont finir par ne former qu'une, mais quand ? Et pourquoi ? Quel est le rapport entre des meurtres odieux et un type qui vit reclus dans son domaine forestier, et qui moule des monstres en latex pour le cinéma ? De plus, est-ce que les rêves de l'un vont finir par se réaliser, alors qu'il fait tout pour les empêcher ? J'ai dû traiter de plusieurs fils en même temps, un vrai plat de spaghetti ! Quand j'ai bâti le roman dans ma tête et sur papier, j'ai essayé de faire avancer mes intrigues en même temps, en alternant plus ou moins les chapitres. A chaque fois que je progressais un peu plus, je me heurtais à un mur, qui me forçais à revenir en arrière, emprunter une autre voie, et recommencer... J'ai ainsi procédé par itération, pour avancer, petit à petit. C'est sans doute le roman qui a demandé plus de réflexion que d'écriture en elle-même ! Mes feuilles A4 se sont transformées en Rubik Cube géants... Mais bon, au final, les 6 faces ont pu être reconstituées ! A la réflexion, je crois que j'ai construit ce roman comme un jeu. Un jeu entre moi et le lecteur...
Votre roman pose la question du regard des gens sur des êtres différents d'eux mêmes, par leurs différences physiques, sociales ou comportementales. Comment expliquez vous cette répulsion ou fascination ? Dans notre société actuelle ne sommes nous pas tous le « Monstre » de quelqu'un ?
VVotre roman pose la question du regard des gens sur des êtres différents d'eux mêmes, par leurs différences physiques, sociales ou comportementales. Comment expliquez vous cette répulsion ou fascination ? Dans notre société actuelle ne sommes nous pas tous le « Monstre » de quelqu'un ?
Le Franck du présent aurait il un message à passer au Franck du Passé ou du Futur ?
Et le Franck du présent demande au F1ranck du futur : « Dis, 1c'est quoi le prochain-prochain roman que tu écris ? ça me ferait gagner du temps... Et puis, tant que tu y es, tu n'aurais pas les numéros du prochain tirage de l'euromillions ? »
Retrouvera t on l'un des personnages de L'Anneau de Moebius dans une autre histoire ? Et question rituelle Lucie ou Sharko reviendront - ils un jour ?
Faudrait demander au Franck du futur... Les personnages de « L'anneau » (surtout l'un d'eux) peuvent prêter à récurrence, pourquoi pas ? Quand à Lucie et Sharko... Peut-être, si l'appel résonne suffisamment fort à mes oreilles. Mais je peux déjà dire que le prochain ne reprend personne. Eh oui, encore de nouveaux personnages, et encore une manière de construire le roman différente !C'est votre quatrième roman aux éditions Le Passage, pouvez vous nous dire un mot sur cette formidable histoire qui vous lie depuis La chambre des morts avec votre maison d'édition ?
Formidable aventure, en effet. Je crois que nous sommes allés un peu plus loin à chaque fois. Même motivation, mêmes joies, mêmes instants merveilleux partagés. J'en profite d'ailleurs pour les remercier, tous. Un roman naît de la volonté et du travail de plusieurs personnes. Yann Briand m'a énormément aidé pour le retravail sur « L'anneau... », je crois que le roman n'aurait pas été ce qu'il est sans lui.
Qu'avez-vous retiré de l'expérience de l'adaptation au cinéma de La chambre des Morts ?
Avez-vous d'autres aventures cinématographiques ou télévisuelles de prévues ?
Expérience géniale de l'adaptation du film « La chambre des morts ». J'ai appris sur le terrain ce qu'aucune école ne peut enseigner, et j'ai découvert mon roman sous un autre jour. J'en ai profité chaque jour, du tournage à la sortie en salle. Des moments inoubliables. Avec Alfred Lot, nous sommes restés amis, et nous nous échangeons des idées, de temps en temps. Qui sait, un jour, peut-être existera-t-il une collaboration commune ? « La forêt des ombres » devait être adaptée, mais je crois que le projet est tombé à l'eau, à cause d'une période assez sombre dans les adaptations de « thrillers/romans policiers » au cinéma. Tout ceci est très flou, le milieu du cinéma est une vaste nébuleuse... Pour « L'anneau », on verra, mais il est très visuel et devrait plaire à la production cinématographique. Mais tout ceci est très long, il faut être patient !
Quels sont vos autres projets ?
Je suis à fond dans mon prochain roman, entamé depuis... janvier 2008 ! Psychiatrie, maladie mentale, sur fond de disparitions... Sinon, je me remets un peu à l'écriture pour la TV. Je fournis des idées de série, ou d'unitaires, on verra bien... Puis quelques autres projets... « secrets » pour le moment !!
Vos derniers coups de cœur (Romans, films, séries ...)
Roman : je suis en ce moment-même aux ¾ de Miserere, encore du très bon Grangé ! Le prochain sera « La cité des Jarres », depuis qu'on m'en parle, faut que je le lise, celui-là. Ensuite, je m'attaquerai peut-être à Millenium, il est temps que je m'y mette !
En série, j'ai plongé récemment dans « La fureur dans le sang », une série anglaise excellente, avec un duo psychiatre/flic qui marche super bien, et des histoires très bien construites ! J'adore cette ambiance anglaise, très sobre et puissante.
Derniers grands souvenirs de films : « Into the Wild », de Sean Penn, magnifique et bouleversant. Et puis « No country for old men », des frères Coen. J'adore leur univers décalé !Vous mettez en lumière sur votre site l'association INJENO. Pouvez-vous nous présenter cette association ?
C'est une association de ma région, qui œuvre pour les enfants polyhandicapés, et les épileptiques. Je crois que toutes les formes de soutien sont importantes, et je leur ai apporté le mien, de manière symbolique, en posant un petit message dans mon blog. Le soutien, l'écoute, la compréhension sont déjà des pas vers la guérison. !
Vous avez le mot de la fin
Ce fut un plaisir de répondre à vos questions. Et je souhaite un bon voyage spatio-temporel à tous ceux qui tomberont dans le piège de « L'anneau de Moebius »
Du même auteur : Biographie, chronique, interview