Stephen Carrière






 Octobre 2008








Bonjour Stephen et merci de vous prêter au jeu de l'interview pour les lecteurs de Plume Libre. Avant toutes choses pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les éditions Anne Carrière mais également un peu plus sur vous ?

Les Editions Anne Carrière ont été fondées en 1994 par Anne et Alain Carrière. C'est une maison d'édition généraliste et indépendante. Ce qui définit le mieux les éditions, c'est sa capacité à découvrir des auteurs et les lancer, et c'est vrai dans de nombreux domaines. Quelques exemples d'auteurs qui ont publié leur premier roman chez nous : Paulo Coelho, Claire Castillon, Guillaume Musso, Fatou Diome, Philippe Cavalier et bien entendu Patrick Graham.

Dans le domaine de la non-fiction, nous sommes également l'éditeur du pédopsychiatre Marcel Rufo et de nombreux ouvrages de Jean-Louis Fournier. Plus personnellement, je m'occupe principalement de fiction. Etrangère et française.

Dans le domaine étranger, je suis particulièrement fier d'avoir publié le premier roman de Chimamanda Ngozie Adichie, L'hibiscus pourpre ; Noir Corbeau de Joel Rose et La fin des mystères de Scarlett Thomas.

Parmi les auteurs français que je publie en ce moment, je suis très admiratif du travail de Philipe Cavalier et de Patrick, mais Patrick, nous y reviendrons plus loin dans l'interview. Je crois aussi beaucoup en Gilles Haumont, dont j'ai publié l'année dernière le premier roman, L'origine du mal. A la rentrée de septembre j'ai aussi publié un très joli roman sur la guerre d'Algérie, Le mur du capitaine Aleguera de Maurice Baron.

 

Avec un nom comme le votre, travailler dans le monde de l'édition était-il une évidence ou est-ce venu par hasard ? Y-a-t-il des études particulières à suivre pour travailler dans l'édition ?

Le nom n'est pas un sésame mais la tradition familiale est importante, bien sûr. Une grande partie de ma famille travaille dans l'édition et depuis l'enfance, j'ai la chance d'avoir toujours beaucoup parlé de livres et d'auteurs avec mon grand-père Robert Laffont. Parce que cette tradition était aussi merveilleuse qu'intimidante, j'ai préféré commencer ma carrière professionnelle loin du giron familial. En 1992, j'ai fondé avec trois amis une société d'édition multimédia que nous avons développée avec bonheur pendant dix ans. En 2003, j'ai décidé que je pouvais revenir à mes premières amours, les livres.

 

Quel est le parcours pour un manuscrit entre son arrivée à votre maison d'édition et sa sortie en roman ?

Un manuscrit doit passer un tri avant d'arriver sur la table d'un éditeur. Nous recevons 2500 manuscrits par an. De cette manne, nous retenons trois ou quatre livres. Ce que les auteurs doivent comprendre, c'est qu'il ne s'agit pas d'un examen mais bien d'un concours. Les aspirants auteurs sont persuadés que les éditeurs ne lisent pas ce qu'il reçoive au courrier. C'est entièrement faux. En revanche, les trente première pages sont déterminantes. Nous lisons peu de manuscrits en entier. 

 

Qui compose vos comités de lecture ?  

Une lectrice professionnelle fait un premier tri, sa sélection est répartie entre quelques lecteurs qui ont tout notre confiance et les trois éditeurs de la maison.

 

Quels conseils donneriez-vous aux auteurs qui voudraient être publiés aux éditions Anne Carrière ?

Mon conseil est simple : soyez aussi exigeant avec vous-même que vous l'êtes dans vos lectures. L'écriture peut être un passe-temps fertile, la publication implique un degré d'implication différent.

 

Quel regard portez-vous sur l'émergence des blogs et des sites littéraires sur le Net ?

Tout ce qui se passe sur le Web est une très bonne nouvelle pour l'édition. La passion des bloggeurs, la réactivité des forums constituent pour nous la preuve renouvelée de l'importance de la littérature.

 

Comment voyez-vous l'évolution de l'édition depuis une dizaine d'année ? Notamment à travers les envies et les goûts des lecteurs ?

La plus grande preuve de respect des lecteurs est de ne jamais tenir compte de leurs envies et de leurs goûts. La littérature n'est pas une affaire de goût. Nous devons ne pas céder à la tentation du formatage, du « marketing littéraire. » Un auteur n'écrit pas pour un public. C'est exactement la même différence qu'entre une belle rencontre et du speed-dating.

 

Quelle a été votre réaction à la première lecture de L'évangile selon Satan ?

A la première lecture, je me suis dit : « Ce type est fou ; ce type est fort ; ce type est un sacré bosseur. »

 

Comment s'est déroulée votre première rencontre avec Patrick Graham ?

Je n'ai pas le droit de révéler les circonstances de notre rencontre. Ne m'en veuillez pas, c'est une histoire complexe et je fais déjà suffisamment de cauchemars en araméen comme cela.   

 

Comment organisez-vous la « promotion » des romans de vos auteurs ?

Elle est fondamentalement différente pour chaque auteur et je ne donne pas mes recettes, c'est une habitude prise aux côté de ma grand-mère dans sa cuisine.

 

Concernant L'Apocalypse selon Marie, avez-vous ressenti une pression particulière à éditer la suite d'un roman qui a si bien marché ? Ou au contraire c'est vous qui avez mis la pression sur Patrick Graham ?

Ma seule crainte après le succès phénoménal de L'évangile (en France et à l'étranger) était que Patrick se répète et écrive un aussi bon roman que le premier, très semblable au premier. Rétrospectivement, j'ai un peu honte : L'apocalypse est encore meilleur et très différent. Patrick se met une énorme pression, il la place au bon endroit : écrire le meilleur roman possible. Ce qui fait mon admiration d'éditeur, c'est que plus la pression est lourde, plus il travaille. L'apocalypse, dans son premier jet, faisait plus de mille pages. Patrick est son premier et plus redoutable critique. Travailler avec lui est un plaisir et un engagement total.


Lisez-vous beaucoup vous-même (pour le plaisir s'entend) ? Quel sont vos auteurs, vos romans favoris ?

Lire est mon premier plaisir dans l'existence. Quelques romans qui m'ont marqué très récemment : Le maître de Ballantrae de R.L. Stevenson, Jour de souffrance de Catherine Millet, L'Histoire de Lisey de Stephen King, Ma première femme de Yann Queffélec, Le temps où nous chantions de Richard Powers, Gödel-Esher-Bach de Douglas Hofstadter, L'Apocalypse selon Marie de Patrick Graham.

Merci Stephen Carrière, vous avez le mot de la fin.

Il y a dans le métier d'éditeur de nombreuses joies. Un beau roman trouvé au courrier, un papier élogieux dans la presse, un succès commercial, un prix littéraire...
Mais il en est une qui surpasse toutes les autres, parce qu'elle est à la fois plus émouvante et plus durable : c'est de voir un auteur batailler avec lui-même pour sans cesse perfectionner son art. Or, paradoxalement, c'est dans la littérature dite de genre que l'on rencontre à la fois le plus d'ardeur et le plus de défaitisme. Par ardeurr, j'entends l'envie merveilleuse d'en découdre avec les mots, une intrigue et des personnages, l'envie d'embarquer, de bousculer les
idoles. Par défaitisme, j'entends cette tendance dramatique à vouloir appliquer les recettes d'un autre art pour vivifier le sien. Le roman n'a pas besoin d'apprendre des séries télé (aussi bonnes soient-elles), il n'est pas le parent handicapé du cinéma.
Ce qui me ramène à ma source de joie : éditer un romancier comme Patrick donne l'impression d'aller dans le bon sens. Pour ça et pour l'apocalypse, je le remercie.

Patrick GRAHAM vu par Stephen CARRIÈRE (son éditeur)

Patrick est un géant faussement placide qui doit trouver chaque jour des ressources créatives pour transformer la violence qui l'habite. Il marche au pas d'un ogre, ses yeux s'agitent comme ceux d'un rossignol. Il se bat avec un maelström de questions difficiles et il est parfois triste parce qu'il sait qu'il ne trouvera pas toutes les réponses. Quand il est joyeux, ceux qui l'entourent sont pris d'envie de bière sous un porche ou de cabanes dans les arbres. On aimerait avoir Patrick à ses côtés si l'on s'engageait dans la passe des Thermopyles. On n'aimerait pas forcément l'avoir à ses côtés avant son premier café du matin. Patrick n'est pas en paix. Il a compris que la littérature était une occupation sérieuse qu'il faut mener sans gravité, qu'il ne sera jamais tout à fait tranquille et que ce n'est pas grave. Patrick est un auteur au tout début d'une œuvre, ça lui fout les jetons et il aime ça. Patrick mange comme une congrégation de bénédictins, boit comme un régiment de hussards, il raconte bien les histoires mais les écrit mieux encore. Patrick a une très belle famille, il sait qu'elle le sauve des gouffres. Il sait aussi que les mots les plus puissants sont dans les failles et qu'il est obligé d'aller souvent les y chercher.
Patrick a personnellement rencontré Daddy.
Patrick est Marie, Carzo, Holly et les nombreux héros à venir qui tiennent tête à Daddy et partent explorer les gouffres, s'y perdent et reviennent, jamais tout à fait les mêmes.
 

A l'occasion de la sortie de l'Apocalypse selon Marie" le 8 octobre 2008
Les éditions Anne Carrière et Patrick Graham offrent aux lecteurs de Plume Libre, les 40 premières pages.


                       

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