Florian Rochat

 

Florian Rochat


Bonjour Florian Rochat, première question rituelle. Pouvez vous vous présenter ?
Un vieux jeune écrivain... 60 ans à l'heure où paraît  Cougar corridor... 39 ans de journalisme derrière lui dans différents médias, des enquêtes et reportages dans de nombreux pays du monde, mais pratiquement rien dans le domaine « nature ».  La nature, j'en suis pourtant proche, et elle est proche de moi, avec le massif du Jura suisse derrière ma maison et toutes ses possibilités de balades, ski de fond, vélo, etc. Mais la nature lointaine, et surtout les grands espaces que nous ne trouvons pas en Europe, m'ont attiré aussi depuis de longues années. Treks au Ladakh et au Népal, en Islande, Patagonie, Alaska, Amérique latine, et bien  sûr l'Ouest américain, si vaste, si beau, si mythique.



Comment est né votre premier roman Cougar corridor ?

D'une vieille envie d'écrire un roman, et de la découverte des cougars dans un article du National Geographic. J'ignorais tout de l'existence de ces félins dans les montagnes Rocheuses, leur sanctuaire après qu'ils aient été éradiqués dans le reste des Etats-Unis, mais même là-bas, ils sont menacés par l'expansion démographique, qui grignote leur territoire.



D'où vient votre fascination pour les cougars qui transpire à travers les lignes de votre livre ?
Peut-être simplement des chats... J'ai toujours été fasciné par leur grâce, leur mystère, leur capacité à apparaître et à disparaître, leur côté impénétrable alors qu'ils sont nos compagnons depuis des siècles. Et les cougars, c'est des chats à la puissance cent ! Ces félins ont survécu à tout en plus de trois millions d'années sur notre planète. Ca mérite un certain respect, non ? Et il y a chez eux un côté mystique. Les Indiens Zunis du sud-ouest américain, par exemple, croyaient que ces créatures pouvaient transmettre aux dieux (ou au Grand Esprit) les prières des hommes et leur rapporter les messages célestes qui pouvaient les exaucer.



Pouvez vous nous expliquer le principe des corridors ?

C'est un principe simple d'échanges de terrains privés contre des terres contrôlées par des instances publiques - communes, Etats, gouvernement fédéral. Si vous êtes par exemple propriétaire d'un domaine de plusieurs centaines d'hectares (typique d'un grand ranch dans le Montana, par exemple), et que celui-ci est stratégiquement important pour la migration des grands mammifères, une organisation écologique comme American Wildlands (Western Corridors dans mon roman) pourra vous proposer d'en échanger une partie contre des terres publiques situées en bordure de votre propriété pour constituer un corridor, qui permettra aux grands mammifères ( cerfs, cougars, ours, daims) de migrer sans entraves d'un endroit à l'autre dans une vaste région pour y trouver de la nourriture, et assurer leur dispersion génétique.

Vous pourrez bénéficier pour cette transaction d'avantages fiscaux ou en liquide importants. Vous pouvez également choisir de conserver votre domaine tel qu'il est - tout en bénéficiant de ces avantages pécuniers - et continuer à l'exploiter, mais le point cardinal, c'est qu' il devra rester intact pour remplir sa fonction de corridor, qui empêchera des interactions malheureuses entre les bêtes sauvages et les populations humaines. Vous gardez la possibilité de le louer ou de le vendre un jour, mais alors, il devra rester perpétuellement tel quel. Il sera impossible de subdiviser ces surfaces et d'y construire des maisons, des routes, ou autre chose. Les corridors représentent une formule intelligente et efficace de protection de l'environnement au sens large, une formule peu contraignante et finalement peu coûteuse. Elle est basée sur la bonne volonté. L'essentiel est que personne ne soit spolié. Max et Mary Lowell, le couple de ranchers qui décident d' adhérer au programme dans  Cougar corridor, y trouvent leur compte. Et sont heureux à l'idée que le fruit de leur travail de toute une vie puisse leur survivre.



Cougar corridor est une réflexion sur l'évolution de l'homme, sa place dans la nature et son respect. Quel est donc votre constat sur le monde actuel ? Existe-t-il encore des endroits où l'équilibre est  respecté ?
Je pense qu'il y a encore de nombreux endroits à travers le monde où cet équilibre est respecté, mais il est partout menacé. Par la démographie et les besoins qu'elle induit en nouvelles terres agricoles, constructions de logements, lieux de récréation, etc. Il y a aujourd'hui six milliards et demi d'humains sur la terre, dont les besoins - fondés ou non - croissent sans cesse. Les projections démographiques évoquent la possibilité de neuf milliards de personnes à l'horizon 2050. Quand on sait qu'aujourd'hui déjà, la planète peine à répondre à nos besoins, le constat d'un biologiste américain prend tout son poids : « Nous nous mangeons nous-mêmes vivants. » La nature peut se passer de nous. Mais sans une nature équilibrée, nous sommes menacés de disparition.



Est-ce que Cougar corridor est un acte militant en plus d'être un roman d'aventure ?
Non. Je me méfie de la littérature militante. Cougar corridor n'a pas la prétention de donner des leçons, mais de mettre en exergue, sous la forme d'un polar écologique, les dangers que nous faisons courir à la nature, donc à nous-mêmes. Je crois fortement au pouvoir de la fiction à cet égard, et Cougar corridor, en plus d'être un des rares romans à s'attaquer à une problématique soulevée par de nombreux rapports d'experts, est le premier à le faire avec l'exemple des lions de montagne - les cougars.



Votre roman est chaudement recommandé par Jim Fergus (Milles femmes blanches, La Fille sauvage). Quel effet cela fait d'être encensé de la sorte pour son premier roman ?
Un grand plaisir et un grand honneur. Jim Fergus, qui vit dans l'Ouest, le connaît bien. C'est également un spécialiste des Indiens des Plaines, comme il l'a démontré avec Mille Femmes blanches. Jim, qui parle le français, a lu et aimé mon roman. Et qu'un auteur ayant vendu 400 000 exemplaires ( bien quatre cents mille !) du livre précité en France cautionne ainsi mon propre ouvrage, eh bien, ça indique qu'un francophone qui s'est aventuré à situer une histoire dans le Montana ne s'est pas planté !



Quels sont vos projets ? Votre héros Michael Dupuis va-t-il poursuivre l'aventure ?

Je pense que Michael Dupuis, qui s'est impliqué dans la défense des cougars grâce à sa compagne, l'écologiste française Julie Bouchard, va poursuivre l'aventure. Il le dit, d'ailleurs, dans le livre. Mais il le fera sans moi et nous ne saurons pas comment. Cet homme jusque-là plutôt contemplatif a compris qu'il pouvait agir sur le cours des choses. On peut lui faire confiance pour tenter de « tirer une ligne », comme il dit, entre la nature et les appétits exagérés de la civilisation. Et faire triompher son credo : « Ce qui est encore sauvage aujourd'hui sur notre terre a le droit de le rester. Et la société a le devoir de le protéger. »

En ce qui me concerne, je reste « branché » Montana. J'ai trouvé là-bas une lettre qui m'a donné l'idée d'un nouveau roman, qui se déroulera à notre époque et durant la Deuxième Guerre mondiale, en France et dans le Montana.



Quelles sont vos influences littéraires ?

Ouh là là ! J'ai lu beaucoup de choses d'un peu partout. Mais il est vrai que j'ai un faible pour la littérature américaine (Dos Passos, Robert Penn Warren, Thomas Wolfe, et plus près de nous Philip Roth, Jeffrey Eugenides et d'autres.) Pour la littérature dite « de l'Ouest » aussi, évidemment : Wallace Stegner, Jim Harrisson. La littérature du Montana : les polars de James Crumley, les romans « indiens » de James Welch, les livres de Rick Bass sur la nature, et ceux de William Kittedge sur l'Ouest et les rapports de l'homme avec la nature, qui m'ont été très précieux pour appréhender cet univers mythique qu'est l'Ouest, à savoir qui fait rêver et qui repose souvent sur du vent...



Comment se porte la littérature suisse ? Avez-vous des compatriotes à nous recommander ?
Heu... Comment le dire sans vexer personne ? La littérature suisse est à mes yeux surtout introspective. Je n'ai rien contre, mais je préfère le grand large... J'ai connu Nicolas Bouvier et j'ai lu tous ses livres de voyage, mais j'ai un faible pour ses poèmes ( Le Dehors et le dedans, qui me parlent beaucoup. J'aime également les romans de Martin Sutter, bien qu'ils se déroulent dans des univers un peu glauques... Mais Small World est magnifique.
Et puis, j'ai envie de vous recommander un jeune auteur de 30 ans, Blaise Hoffmann. Il est licencié en lettres, a travaillé comme enseignant, journaliste, aide-infirmier, berger sur un alpage. Un peu comme les écrivains américains que j'admire, parce qu'ils mettent les mains dans le cambouis. Ils croient - comme moi avec mon immersion dans le monde des cougars - aux vertus et à la force de l'expérience. Son dernier roman, L'Assoiffée, vient de paraître aux éditions Zoé.



Nous vous laissons le mot de la fin.
J'aurais encore beaucoup à dire sur mon roman et son making of, sur les cougars, sur le Montana... Vous trouverez sur mon site www.cougarcorridor.com pas mal d'éléments relatifs à l'univers réel qui a inspiré ce polar.

Du même auteur : Biographie, chronique, interview




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