Patrick Graham - Retour à Rédemption




 


Patrick Graham - Salon du livre de Saint Etienne 2010
 
Pouvez-vous nous présenter votre nouveau roman « Retour à Rédemption » ?
   Retour à Rédemption est l'histoire d'un pacte scellé vingt ans plus tôt par des enfants dans les cachots d'un centre de redressement, et du prix à payer par celui qui n'a pas respecté ce pacte.
Peter Shepard, le personnage principal, est un avocat d'affaire installé et un père de famille comblé. Dans son métier, c'est un adversaire redoutable. Dans sa vie, la seule chose qui le plonge dans une angoisse irrépressible, c'est le Big One, ce grand tremblement de terre qui, un jour au l'autre, ravagera les villes de la côte Ouest. Ce que Shepard ne parvient pas à comprendre ni à admettre, c'est que les habitants de ces villes semblent trouver tout à fait normal de vivre sur les pentes d'un volcan qui va entrer en éruption alors que cette idée lui semble insupportable et, surtout, parfaitement dépourvue de sens. C'est pour cette raison que Shepard vient s'asseoir tous les jours sur le même banc au milieu de Golden Gate Park : pour guetter les signes qui vont précéder la grande extinction.  Et le Big One va effectivement avoir lieu mais sous la forme de ce passé qui va le rattraper et ravager sa vie, le forçant à se souvenir de ce qui s'est passé vingt ans plus tôt à Rédemption, ce centre de redressement au fin fond du Mississippi. Retour à Rédemption, c'est d'abord l'histoire de ce personnage, et, à travers lui, c'est l'histoire de ces autres enfants devenus adultes et qui portent au fond d'eux ce secret qui aura brisé leur vie. C'est un livre sur les regrets, l'oubli, l'amitié et la fin de l'innocence.


Comment est née cette histoire ?
   D'un malentendu avec moi-même. Au début, Retour à Rédemption (qui s'appelait alors « Rédemption ») devait être un thriller pur et dur avec des tueurs en série très méchants et des flaques de sang partout. Et puis, petit à petit, ce visage et ce buste que je modelais ont commencé à prendre des traits différents. Je m'en suis rendu compte au moment où j'écrivais les premiers chapitres sur ce qui s'était passé dans ce centre de redressement. J'avais (comme souvent dans mes livres) deux intrigues qui prenaient forme sur une même histoire, avec, cette fois-ci, deux thèmes qui allaient forcément s'opposer. Je me suis donc demandé ce que ces fichus mômes voulaient de moi et je suis resté en panne pendant plusieurs jours, le temps qu'ils veuillent bien me donner le top. Et puis, quand ils ont pris leurs marques pour la première vraie scène de ce centre de redressement, lorsqu'ils sont allongés dans l'herbe à l'abri des saules le soir de leur arrivée, j'ai compris qu'ils allaient prendre toute la place et que la montée progressive de l'horreur de Rédemption allait occulter le reste.


Dans vos précédents romans (L'évangile selon Satan et l'apocalypse selon Marie), il y avait une part de surnaturel. Cette fois-ci, vous avez préféré rester dans une certaine réalité pourquoi ce changement ?
   Ce n'est pas un choix, c'est une conséquence. Le surnaturel ne doit pas devenir un mécanisme mais servir une histoire, et, au besoin, la compléter. Quand vous parlez de satanisme, le surnaturel pointe forcément son nez. Quand vous parlez de mômes qui mâchent des chewing-gum en s'engueulant sur le prénom de madame Ingalls, vous développez forcément une approche différente. En fait, le surnaturel est directement lié au personnage de Marie Parks, ce qui me permet de reprendre à travers elle des enquêtes qui n'ont pas été résolues dans le passé. Ici, dans ce cantique de ces six mômes happés par un malstrom d'évènements qui les dépassent, le surnaturel ne s'imposait pas. Il s'excluait même dans la mesure où la vraie vie, quand elle rejoint et alimente l'imaginaire, est déjà en soit un mécanisme fantastique, terrifiant et puissant.  

Dans une précédente interview, vous nous disiez vous sentir proche de tous vos personnages. Après Marie, Peter et Wendy  ont-ils  fait naître cette même impression ?
   Oui, forcément. Il est urgent de s'attacher à ses personnages, bons ou mauvais, comme on aime ses propres enfants. Et puis, lorsque le livre est terminé, ils vous manquent, mais, écrire, comme aimer ou vivre, doit passer par l'acceptation de cette phase de deuil. Comme une maison pour des enfants devenus grands, l'esprit de celui qui écrit se vide lorsque ses personnages n'ont plus besoin de lui pour vivre. C'est l'image de l'épouvantable solitude de Dieu.  Et les raisons de sa noirceur.

Ézéchiel est un personnage très particulier, sa personnalité s'est-elle imposée à vous ou est-ce venu petit à petit ?
   Comme dans chacun de mes romans, un des personnages tient le rôle christique. Ici, c'est Ezzie. Il est l'innocence sacrifiée, chahutée par des événements qu'il ne cherche même pas à comprendre.  Il est la véritable victime de ce qui s'est passé à l'époque dans ce centre de redressement. Il en a été brisé infiniment plus que les autres. J'aime ces personnages extrêmes, ronds et massifs. Il y a du Lennie chez Ezzie. Un colosse fragile et dangereux qui ne réfléchit jamais au-delà de l'instant qu'il traverse. Au début, forcément, on ressent une aversion teintée d'effroi pour ce personnage. Et puis, au-delà de cette enveloppe épaisse et brutale, malgré nous, on est obligé de commencer à l'aimer. C'est ce qui m'est arrivé avec Ezzie.

On ne peut lire « Retour à Rédemption » sans penser à Stephen King et « Désolation », hommage que vous avez voulu rendre à celui qui vous a donné l'envie d'écrire ?
   Oui, le clin d'œil à Désolation est évident et assumé, mais je  pense aussi que le temps vient toujours pour un auteur de tuer ses idoles comme on tue (symboliquement ?) le père. J'ai une admiration profonde pour King et tant d'autres, mais j'ai de plus en plus envie de tracer ma propre route. Donc Désolation pour les scènes du début, mais, ensuite, comme un môme qui grandit et qui apprend à marcher tout seul, je commence à m'habituer à l'idée de lâcher la main de ces pères gigantesques et d'avancer sans eux.


Que devient Marie ?
   Marie va très (mal) bien. Nous partageons la garde des enfants. Elle me manque terriblement mais elle serait trop heureuse si je le lui avouais. Elle a essayé à plusieurs reprises de se glisser dans le personnage de Wendy mais j'ai su résister et je suis sûr qu'elle m'en veut à mort pour ça. Je sais qu'elle voudrait revenir mais c'est encore trop tôt. J'ai besoin de cette séparation. Elle va de toute façon bientôt revenir, sans doute pour celui d'après dans la suite de l'Evangile dont j'ai enfin défini les contours. Ou pour une autre histoire qui me trotte dans la tête et que j'ai commencé à écrire aujourd'hui, en même temps que le prochain.


Vous parliez d'une arche que vous vouliez construire et la remplir de caniches ? (ref interview octobre 2008) est-ce que ça avance ? Plus sérieusement quels sont vos projets pour l'année à venir ?
   Après l'écriture de Retour à Rédemption, j'ai eu envie d'une longue pause consacrée à une orgie de lecture et à des séances de musculation mentale par l'écriture de petites histoires sans but précis. Comme des croquis de peintre. Surprendre une scène dans une rue et la développer, suivre une odeur, capturer des sensations, retrouver la non préméditation  de l'acte. Cette phase se poursuit et je vais la faire durer le plus longtemps possible car ça fait un bien fou.  Mais, comme un drogué en manque, j'ai toujours autant de mal à vivre sans qu'un livre ne me remplisse et m'obsède. J'ai donc commencé à contourner ce problème en orientant mes croquis vers l'écriture de plusieurs débuts et de plusieurs fins de prochains livres. Puis, furieux d'autant d'inconstance, je suis revenu à mes croquis et c'est finalement mon éditeur qui a trouvé la solution en me commandant un recueil de nouvelles sur la base de ces esquisses.  N'empêche, puisque drogué je suis, il a aussi rebondi sur mes débuts et mes fins et il m'a dit « c'est celui-là que je veux ». Alors, oui, le suivant a commencé et il apaise mes tremblements. Pour lui, je rêve de quelque chose de lent, d'atroce et de doux. Un road movie meurtrier à travers les États-Unis. J'ai des airs de saxo dans la tête, des bruits de trains de marchandise et des odeurs de bitume chaud. Mon éditeur va d'ailleurs m'acheter un train de marchandise et du bitume chaud. Ainsi qu'une vieille Chevrolet décapotable. Ou une Cadillac Eldorado 1959 qui consomme un million de litres au cent. Ou alors une Studebaker Commander. Ouais, une Stud, c'est cool. J'enfilerais un costume trois pièces de commis-voyageur et j'ouvrirais le pare-brise pour laisser le vent chaud du sud souffler sur mon visage. J'ai aussi d'autres projets plus horribles, mais, pour le moment, j'ai beaucoup plus envie de continuer à explorer que de m'installer.


Merci, Patrick Graham, nous vous laissons le mot de la fin.
   Les caniches flottent. Je n'avais pas prévu qu'ils flotteraient mais ils flottent. Ils flottent tous.    

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