François-Xavier Dillard

 

 
 
 
François-Xavier Dillard




Bonjour François-Xavier Dillard, votre nouveau roman Ne dis rien à papa est paru en juin 2017. Pourriez-vous nous le présenter ?
    Bien entendu…. Alors voilà c’est l’histoire d ‘une famille parfaite… Ou plutôt non, d’un viol… Ou plutôt non, de meurtres sauvages de médecins… Ha non zut, en fait c’est l’histoire de la disparition de toute une fratrie en Australie… Mais c’est aussi l’histoire d’un amour maternel plus fort que tout, d’un voisin étrange et fascinant, d’un mari trop peu curieux, de jumeaux trop différents…
C’est difficile à raconter, lisez-le plutôt J !
En fait j’ai surtout été fasciné par le secret, par le fait de pouvoir vivre avec quelqu’un sans vraiment le connaitre, par la culpabilité, par le déni…. La nature humaine est complexe et parfois effroyable. Heureusement pour les auteurs de thriller !
J’espère que vous aimerez mes personnages comme je les ai moi-même aimés, avec leur défauts, leurs fêlures et leurs folies.  


 Des éclaircies en fin de journée - Agathe Colombier Hochberg

Ne dis rien à papa va très loin dans la folie, comment vous est venue l'idée d'une telle histoire ?
    Quelle transition, bravo Plume Libre ! Ce sont, une fois de plus, des faits divers particulièrement glaçants qui m’ont aiguillé vers cette histoire. L’avantage avec l’homme, avec l’humain, c’est qu’il n’y a pas de limite. Dans l’horreur, dans la souffrance, dans la cruauté mais aussi parfois dans l’amour et dans l’empathie. Mais ça j’en parle moins car mes lecteurs sont tous des sadiques. En fait personne ne parle des choses belles et sympathiques qui se passent dans le monde et la particularité des histoires atroces c’est qu’on s’aperçoit assez vite qu’elles sont universelles. Vous pouvez retrouver, d’un continent à un autre, le même genre de tragédies qui vous terrifient et vous scandalisent, avec les mêmes rituels meurtriers, les mêmes obsessions et les mêmes délires. Finalement l’universalité de l’âme humaine se trouve surtout dans ses fêlures, dans ses ruptures. Je ne sais pas si c’est vraiment rassurant mais je crois qu’un meurtrier en série serait aussi à l’aise en Chine qu’en Belgique. Pas besoin de guide du routard pour les déglingués du scalpel !


A quel membre de la famille allez-vous vous attaquer pour votre prochain roman ?
    Ma belle-mère…. Non, je l’adore et elle ne mérite certainement pas le sort que je réserve à la plupart de mes héros. Je crois que je vais laisser un peu tranquille la cellule familiale dans mon prochain roman même si c’est un terrain de jeu formidable pour un auteur de thriller. C’est ce qu’on se disait avec Barbara Abel quand nous nous sommes vus à Saint-Maur en poche. Bon bien sûr, moi j’exploite beaucoup mieux le sujet parce que elle, elle est belge et c’est une fille. Mais sinon ces bouquins sont pas mal…. C’est une plaisanterie bien sûr !!! J’adore Barbara, ses livres, les belges et la Belgique et je sais que les femmes sont largement plus talentueuses que les hommes. Inutile donc de m’envoyer des lettres d‘indignation. C’est une blague… belge. Et puis après Un vrai jeu d’enfant, Fais-le pour maman et Ne dis rien à papa, ma psy m’a dit que j’avais fait le tour et qu’on pouvait se mettre à travailler sur le fond.


Justement à ce sujet, quels sont vos projets ?

    Vous êtes bien curieuse Plume Libre ! Mais comme vous savez aussi que je suis extrêmement bavard et que j’adore parler de mon travail (complètement mégalo le garçon) je vais vous en dire deux mots. Vous saviez que certaines personnes, après un traumatisme, font des cauchemars récurrents tellement intenses qu’elles ne peuvent même plus avoir de vie sociale. J’ai vu des images d’hommes ou de femmes se battant dans leur sommeil contre des ennemis invisibles, poussant des cris de détresse à vous faire glacer le sang… Mon prochain héros est de ceux-là, il vit reclus et ne parle plus qu’avec le gérant d’une station essence en bas de son immeuble, une boutique Total dans laquelle il fait toute ses courses. Ce gérant est passionné par les faits divers et quand, un soir, il raconte à mon héros le dernier meurtre sadique qui a eu lieu la veille et dont il a regardé les détails sur internet, c’est exactement le cauchemar que notre homme a fait quelques jours plus tôt…. Mais il y a aussi un jeune garçon surdoué qui travaille pour la police et peut-être même que nous reverrons Dubois et Michaud, les deux enquêteurs de Ne dis rien.
Je crois que ça va être pas mal !


Merci beaucoup François-Xavier Dillard, nous vous laissons le mot de la fin.

J’ai pour habitude de remercier Plume libre pour le soutien qu’il apporte au livre en général, aux miens en particulier et ce depuis le tout premier. Mais si les remerciements c’est bien, les cadeaux c’est mieux. Alors, chère Delphine j’ai la grande joie de t’offrir en exclusivité mondiale un des deux chapitres dit « des pigeons » qui avait disparu sous les fourches caudines de ma très chère éditrice Céline Thoulouze au prétexte fallacieux que, je cite, « les pigeons ça pue » (voir interview février 2012). Heureusement je garde tout et je sais que les ami(e)s de Plume Libre (ce site porte vraiment bien son nom pour le coup) redonneront leur dignité à mes pigeons. Ouvrons, ouvrons la cage aux pigeons !!

A très bientôt

 
UN PIGEON

C’est pas une vie, cette vie de pigeon… Vous croyez que ça m’amuse moi de trottiner toute la journée, comme un malade, pour trouver des trucs à manger. Et puis parlons-en, justement, de ces trucs. Des vieux rogatons de sandwichs gris et sales, des morceaux de choses bizarres qui sont, dans le meilleur des cas, sans goût et sans saveur. Et pourtant, malgré la faible qualité des menus, je reste gros, définitivement et irrémédiablement gros. Savez-vous que je suis peut-être le plus gros pigeon de la place Vendôme. Je n’en tire aucune fierté à vrai dire. Je ne déploie pas plus d’énergie ni ne suis plus efficace ou plus malin qu’un autre. Je profite plus, c’est tout. Et je suis poussé sans relâche par cette faim irrépressible, cette fringale insatiable qui annexe mon corps et annihile ma petite volonté de gros pigeon. Tous mes efforts sont dirigés vers ce but ultime, cette finalité absurde : ingérer le plus rapidement possible le plus de nourriture probable.

Alors quand cette vieille dame là-bas a jeté un bout de pain, je peux vous dire que le premier sur l’affaire, c’était Bibi. C’est du vrai pain les amis, presque frais encore, ça vous glisse dans le gosier avec une facilité et un plaisir déconcertants. Et elle en a encore de cette mie salvatrice. Je les vois bien moi, ces petites mains fripées qui s’agitent et farfouillent dans son sac en papier. Alors je tourne, je tourne autour d’elle comme un derviche en poussant des roucoulements hystériques. Je sais ce que vous pensez, c’est pathétique… Mais ce n’est pas ma faute je vous dis, c’est cette faim, cette faim insupportable et pour toujours insatisfaite. Et puis surtout, ça fonctionne, je le sais. Lassée, amusée ou effrayée par mon manège infernal la vieille dame finit par vider le sac. Une pluie de miettes et de petits morceaux de pain s’abat alors sur moi comme une manne providentielle.

Je nettoie le maximum, privilégiant les plus grosses pièces avant que celles-ci ne s’échappent, emportées par le vent ou subtilisées par un collègue. Pourtant et malgré mes efforts et ma vigilance, une grosse miette, bien dodue, s’envole soudain sous mes yeux. Je la poursuis avec une célérité aveugle qui manque de causer ma perte. Alors que je suis à deux pattes de m’en saisir, la miette se retrouve sur la route et moi, comme un volatil imbécile, je m’élance, bec en avant, sans prendre la peine de respecter un minimum de règles de sécurité. Quand je pense que je passe mon temps à regarder à droite, à gauche, devant et derrière et ben là, rien. Je suis comme hypnotisé par cette grosse miette de plaisir à venir et je ne vois pas le bus qui surgit sur ma droite… Il fait nuit soudain et je suis submergé, bousculé, abasourdi par un bruit terrible et une fumée d’apocalypse. Pendant quelques instants, je crois bien ma dernière heure venue. Finie pour moi la quête incessante de nourriture, finies les danses d’apaches autour des vieilles dames, finies aussi les rixes imbéciles avec mes frères volatiles… Une forme intense de soulagement me submerge soudain. Enfin, enfin cette quête absurde touche à sa fin. Enfin je vais pouvoir me reposer un peu au paradis blanc des oiseaux gris… Mais finalement non, le bus s’éloigne me laissant seul et un peu désorienté mais, hélas, bien vivant. Mon instinct de survie animal puis ma fringale gigantesque me donnent alors la force de revenir sur la place et de continuer ma quête.

A nouveau je tourne, j’avance et je m’arrête. J’observe autour de moi à la recherche de, devinez quoi… Quelque chose à bouffer. Et là, au pied d’un grand humain, je vois quelques petites choses grises qui semblent s’agiter. Je me souviens alors en avoir rencontré, on dirait, je le crois, des vers sur ses souliers ! Alors je m’élance et je commence à tirer sur les petits animaux. Je tire et je m’agite mais rien ne vient. Alors je tire encore avec toute l’énergie et la force que peut déployer le plus gros pigeon de la Place. Mais au moment précis où je sens que la petite chose va céder, au moment même où je vais être récompensé de tant d’efforts, je reçois un coup violent qui me projette à plusieurs mètres. Douleur et confusion, je piaille mon désespoir et je vois quelques plumes voler sur le trottoir. Humains, vous êtes violents, coléreux et ingrats. Et moi pauvre pigeon, malhabile et trop gras, c’est avec vous hélas que je dois habiter. Mon destin est ainsi, c’est triste à en pleurer.
 
 

 

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